Hommage de Madiran à François Brigneau

Un bel hommage de Madiran dans le « Présent » à paraitre demain :

Notre presse de réfractaires et de contre-révolutionnaires vient de perdre son doyen. Parmi nous, depuis plus d’un demi-siècle, il était le meilleur. Il était aussi romancier, historien, et orateur de meetings. Mais c’est dans le journalisme, je crois, qu’il avait davantage le don, l’imagination, le mot juste et la formule qui frappe. Aucune rubrique, de l’éditorial politique au reportage du Tour de France, ne lui était étrangère, et dans chacune, il inventait une manière, un style inédit. Pour faire la chronique de la télévision, il avait créé le commentaire anticipé des programmes annoncés, afin de n’être jamais en retard auprès des téléspectateurs, c’est une invention qui a été beaucoup imitée. Il aimait l’écriture, il aimait la mise en pages, il aimait l’esprit d’équipe et l’improvisation, il aimait ce métier, il l’avait appris sur le tas, il savait qu’il y excellait. Brasillach avait distingué son talent et pressenti la puissance de feu de sa forte personnalité, il lui avait donné cette sorte d’encouragement qui peut être décisif dans une destinée. Il l’avait retrouvé voisin de prison et avait consacré à « l’ami têtu » une strophe dans Le Testament d’un condamné qu’il écrivait à Fresnes après sa condamnation à mort. C’est une strophe dont le murmure à mi-voix vient accompagner aujourd’hui le départ de François Brigneau :
Cher Well, notre sainte colline,
Le petit peuple du marché,
La rue grouillante où l’on chemine,
Les charrettes des maraîchers,
Ils sont à toi, ami têtu,
Qui dans l’ombre toujours devines
Ce que l’espoir jamais battu
Malgré l’apparence dessine
La sainte colline est la colline Sainte-Geneviève, « Well » est l’abréviation d’Emanuel (Allot), les charrettes des maraîchers et la rue grouillante, quelques-uns peut-être s’en souviennent, était la rue Mouffetard. L’âme de François Brigneau fut marquée pour toujours par le souvenir de Robert Brasillach, et par l’atmosphère de ces temps-là.
La génération de François Brigneau a eu vingt ans pour l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale, suivie en 1940 par le désastre militaire le plus grand de l’histoire de France. Et puis il y eut la divine surprise du maréchal Pétain, « travail-famille-patrie », le pays réel de la France française. Ce fut la génération des « quarante millions de pétainistes », bientôt submergés, disséminés, voire exécutés avec ou sans jugement. François Brigneau, longuement emprisonné sans motif et sans preuve, fut libéré après avoir été torturé d’une manière particulièrement immonde et cruelle. A vingt-six, à trente ans, il avait le sentiment d’avoir complètement fait l’expérience de la vie. Elle ne faisait que commencer, mais toute sa vie, malgré l’extrême diversité de ses œuvres littéraires et politiques, il a gardé en lui quelque chose de « l’homme qui a connu tout cela ». Son admiration filiale pour le Maréchal, sa ferveur pour Brasillach, son horreur du gaullo-communisme, sa méditation sur Israël, – vieilles histoires, diront peut-être quelques étourdis, – ont constitué une grande part de son enracinement personnel.
Ecrivain, journaliste, polémiste, il ne fut pas un homme de cabinet. Je le vois du côté de Montaigne (frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui) plutôt que de Pascal (demeurer en repos dans une chambre). Il était un cycliste homologué. Il fut un marin breton naviguant à la voile d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Il était un fin cuisinier pour ses amis, – et un franc buveur, un gai luron, plein de farces et de drôleries, pas au point cependant d’effacer un mince filet persistant de mélancolie. J’essaie de me répéter ce qu’il écrivait en 1992 à la mort d’Arletty : « Elle vient de nous quitter, discrètement, pour ne pas nous faire de chagrin. » J’essaie… Eh bien, ça ne marche pas.
JEAN MADIRAN

Merci à Sébastien