Inexistant en France métropolitaine avant 1914, l’islam occupe un siècle plus tard l’attention par ses millions de fidèles, les conversions de Français de souche et la question du djihad. Mais une autre « religion » s’implante massivement en France en faisant beaucoup moins de bruit, le bouddhisme. Et plus encore un ersatz populaire du bouddhisme qui se marie bien à la sensibilité « humaniste » et sert de véhicule au panthéisme.
On compte en France quelques centaines milliers de bouddhistes venus d’Asie du Sud-Est, Vietnamiens, Cambodgiens, Laotiens. Plus des Chinois qui suivent leur syncrétisme traditionnel des trois voies. Cela ferait en tout 600.000 pratiquants. Et l’on doit y ajouter plus de 200.000 Européens qui suivent strictement le bouddhisme, et sont reconnus comme tels par leurs coreligionnaires d’origine asiatique. Soit au moins autant que le nombre de convertis à l’Islam, qu’on situe dans une fourchette fort imprécise de cent à trois cent mille individus. Mais plus que l’islam, le bouddhisme exerce en Europe et en France une attraction par sympathie. Il rayonne et atteint plusieurs millions de sympathisants, peut-être 5 à 6 millions dont 1 à 2 que l’on peut assimiler à des pratiquants occasionnels, les autres étant culturellement influencé par des principes qu’ils croient tirés du bouddhisme, à tort ou raison.
Ce qu’est le bouddhisme à l’origine
Le bouddhisme consiste en principe à suivre la pensée du Bouddha, un ascète de l’Inde ancienne, Siddhârta Gautama. Le personnage est historiquement attesté, probablement autour de 550 avant Jésus Christ, même si les débats demeurent vifs sur la datation précise de son existence, tout comme évidemment sa longueur, avec une mort sexagénaire ou octogénaire. De même le récit de sa vie est-il encombré de légendes ajoutées au cours des siècles, au moins jusqu’au XIIIème, certaines lui faisant dire à l’occasion le contraire du message initial. Il est certain que le Bouddha s’est voulu, dans la Vallée du Gange, un réformateur de l’hindouisme. Il a insisté sur le détachement des vanités de ce monde, de la recherche effrénée des biens temporels évidemment, mais aussi de toute participation à la vie de la Cité ou de la famille. Il a réformé précisément l’ascétisme hindou en inventant le cénobitisme, des communautés de moines, moins propices que l’érémitisme aux dérives qui affectent ordinairement les solitaires.
Parmi ses réformes importantes figure l’interdiction du suicide. C’est en effet une mauvaise réponse à la question essentielle que pose selon lui la vie, et qui est l’extinction de la souffrance. En effet, toujours selon lui, le faux sage hindou en se suicidant ne se libérerait nullement des réincarnations à venir. Le cycle des réincarnations serait une malédiction frappant tous les êtres vivants, incarnations éphémères, des insectes aux dieux. Ceux-ci ne sont nullement niés mais assimilés à des surhommes vivant un peu plus longtemps, des dizaines de milliers d’années, mais mortels. De bons actes permettraient d’atteindre une meilleure incarnation postérieure, comme des mauvais provoquent une rétrogradation. Surtout le Bouddha aurait découvert la voie de la sortie du cycle des réincarnations, l’extinction de soi, via celle de tout désir, garantissant une disparition pure et simple dans le cosmos. L’idéal et le but de l’ascèse et du bouddhisme sont donc le néant.
Un panthéisme sans enthousiasme pour les dieux
Le Bouddha historique n’a semble-t-il jamais évoqué des dieux à honorer. Mais il tenait du panthéisme, non de l’athéisme comme on l’écrit parfois à tort en France. Il a admis ainsi l’existence des dieux traditionnels hindous, sans les apprécier, n’y voyant aucun modèle de vertu à imiter, à juste titre d’ailleurs. Le bouddhisme a concurrencé en Inde, avec des fortunes diverses, l’hindouisme jusqu’au XIIIème siècle, avant d’être anéanti par l’Islam, tandis que l’hindouisme subsistait. Entre temps il avait pu se répandre de la Mer Caspienne au Japon, avec des forts reculs historiques au profit de l’Islam encore en Asie Centrale et en Insulinde.
Au Ier siècle avant Jésus Christ se séparent deux grandes voies du bouddhisme, qui se subdiviseront encore par la suite, le Petit Véhicule ou Voie des Anciens, et le Grand Véhicule. Le Petit Véhicule ou Hinayana s’en tient plus strictement à la doctrine originelle et la voie de l’extinction, tandis que le Grand Véhicule ou Mahayana, s’inspire d’un refondateur du bouddhisme, Maitreya. Maitreya est un personnage légendaire, supposé auteur de miracles exceptionnels et incroyables, à l’existence réelle très discutée. Le message de Maitreya insiste sur la possibilité de la joie comme manifestation extérieure de l’illumination intérieure, abomination pour l’autre école. Il propose une forme d’attente messianique autour du retour de Maitreya en une prochaine incarnation, et va jusqu’à envisager une forme de subsistance individuelle bienheureuse et durable, sinon permanente. Bref, on est loin du bouddhisme originel.
Aussi le bouddhisme constitue-t-il un très large conglomérat, comportant des centaines, voire des milliers, de variations significatives, dans le temps et l’espace. Elles se retrouvent pour beaucoup, dans le bouddhisme en France d’aujourd’hui, avec les deux grandes écoles principales, et une tendance à la synthèse et au syncrétisme conforme à l’esprit maçonnique de notre époque.
Petit ou grand véhicule, opposé au christianisme
Le bouddhisme bénéficie largement, depuis les années 1950 pour le grand-public, d’un contexte culturel très favorable. En effet, le christianisme est systématiquement moqué, insulté, et les réformes des années 1960-70 l’ont affaibli de l’intérieur, d’où une faible attractivité pour un public déchristianisé. Malgré une certaine papolâtrie médiatique, l’Eglise catholique est, au fond, sans cesse calomniée et violemment attaquée. Inversement, est promue la figure du Dalaï-lama, que l’on présente bien à tort en « pape » du bouddhisme, alors qu’il ne représente au mieux que le très particulier bouddhisme tibétain, variante himalayenne du Grand Véhicule. Le Dalaï-lama, dans ses nombreux voyages, propose parfois des réflexions de bon sens. Mais elles ne sont pas séparables d’un enseignement religieux spécifique, opposé de fait sur de nombreux points essentiels au christianisme, et qui ne peut se comprendre qu’après une initiation.
Le bouddhisme, ou plutôt un ersatz de bouddhisme, c’est-à-dire un corpus simplifié et éloigné de la stricte doctrine, est devenu un domaine de réflexion courant en France, touchant des millions d’individus. Le bouddhisme et son ersatz possèdent un socle de croyances communes. Faire le bien, croire en la réincarnation, au panthéisme et aux mondes spirituels. Ces principes de base forment une opposition claire au christianisme, qui professe la croyance en une âme immortelle, personnelle, clairement distincte de l’univers, qui traverse une seule vie avec un seul corps sur Terre. Ce passage donne l’occasion d’actions décisives déterminant une Eternité heureuse ou malheureuse, suivant la Justice et la Miséricorde de Dieu. Le Dieu chrétien, personnel, et trinitaire, n’est à l’évidence pas celui des bouddhistes, totalement confondu avec le Monde.
Un ersatz de bouddhisme qui convient à la maçonnerie
Depuis une décennie, le chercheur en sociologie des religions Frédéric Lenoir, directeur du Monde des Religions, décrit avec un enthousiasme que seul son antichristianisme explique la formation en France de ce qu’il appelle un corpus bouddhiste populaire, qui concerne plusieurs millions d’individus, que nous appelons ersatz de bouddhisme. Elle est la seule religion d’importation à avoir atteint ce stade. Il faut remarquer que les bouddhistes officiels, à travers leurs publications, sites internet, ou émission télévisée du dimanche matin sur le service public, Sagesses Bouddhistes, diffusée sur France 2, essayent de rétablir une orthodoxie bouddhiste, rappelant les dogmes fondamentaux dont s’éloigne considérablement cet ersatz courant de bouddhisme. Sont mis en valeur par les bouddhistes officiels les parcours les plus orthodoxes, avec la complicité active des médias désinformateurs admiratifs, dont celui de la gymnaste télévisuelle des années 1980 Davina, devenue la nonne Gelek Drölkar, de tradition tibétaine stricte. De façon plus intellectuelle, le moine de même obédience Matthieu Ricard est médiatisé, à travers ses réflexions religieuses de la meilleure orthodoxie thibétaine, son indéniable culture scientifique, ses actions humanitaires. Ces efforts touchent certainement les plus motivés. Toutefois la grande masse des Français influencés par le bouddhisme demeure bien plus dans l’ersatz. Peu orthodoxe, mais très syncrétique et maçon.
L’ersatz de bouddhisme véhicule le panthéisme en France
D’un point de vue sociologique, « démocratique », c’est l’ersatz de bouddhisme, cette philosophie bouddhiste appauvrie qui s’oppose en fait au christianisme. Il convient largement à l’esprit de l’époque et regroupe plusieurs millions d’adeptes plus ou moins sérieux. Il se confond largement avec un vague humanisme commun, dotée d’une spiritualité elle-même floue. Il correspond aux valeurs de la franc-maçonnerie anglo-saxonne, ou plutôt à la française, car il n’implique pas vraiment la croyance en un Grand Architecte. L’univers n’aurait pas été créé par un Dieu-horloger, il serait confondu avec lui, soit éternel, soit engendré par un univers précédent, les univers anciens se réincarnant en univers nouveaux.
La conformité de cet ersatz de bouddhisme avec l’esprit de notre société est apparue avec éclat lors de la fausse-consultation des religions en 2012 sur le projet de loi sur le mariage homosexuel. Pour une fois logiques avec eux-mêmes, le prêtre, le rabbin, le pasteur, et bien sûr, l’imam, avaient dit clairement non à cette perspective unique dans l’histoire humaine. Il n’en a pas été de même pour la représentante française des bouddhistes, la Vénérable Marie-Stella Boussemart, dont prénoms indiquent son apostasie du catholicisme. Elle a donné une réponse de normand ni oui, ni non. Elle a montré ainsi l’idiosyncrasie caractéristique du « bouddhisme » français. En principe, en effet, le bouddhisme, international officiel, malgré sa diversité, condamne le mariage homosexuel. Pas le bouddhisme français, qui suit la plus grande pente des médias et des sociétés de pensées en France. Ce n’est pas le seul point où la copie française s’éloigne de l’original indien : il y en a en fait de nombreux, à commencer par la réincarnation, que l’on comprend à Paris non comme un sort douloureux, un cycle dont il faut sortir, mais une suite d’expériences amusantes, dont on se souviendrait avec délectation, en attendant joyeusement les suivantes.
Cet ersatz de bouddhisme, est systématiquement promu dans les médias désinformateurs. Il tient lieu de religion de substitution au christianisme, d’apport spirituel toléré à la république, remplaçant les éphémères Déesse Raison ou Etre Suprême des révolutionnaires de 1793-1794. Il ne pose pas de problèmes de dérives terroristes comme d’autres cultes récents en France, et les associations bouddhistes, très diverses, coopèreraient à peu près correctement entre elles, autour de l’Union Bouddhiste, ou avec les autorités, à l’inverse de la zizanie que l’on observe dans l’islam qui est en France. Les bouddhistes, anciens ou nouveaux, conviennent donc parfaitement à la Place Beauvau, à la rue Cadet et à la république en général.