Dans Le Banquier du diable, tout juste publié aux éditions Max Milo, l’économiste Jean-François Bouchard dresse le portrait de ce patriote allemand, brillant, modeste et détaché de toute idéologie (même économique).
Entretien réalisé par 20minutes :
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Hjalmar Schacht?
Alors que les dirigeants actuels sont incapables de redresser nos économies, cet homme a réussi à sauver l’Allemagne de la ruine… à trois reprises! D’abord en 1923, en mettant fin à l’hyperinflation. Puis en 1924 et en 1929, en arnaquant les Alliés sur le paiement de la dette de guerre allemande. Enfin, dans les années 1930, en réduisant le chômage à néant. En cinq ans, il a remis 7 millions de demandeurs d’emploi au travail…
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris chez cet homme?
Son œuvre après la Seconde Guerre mondiale. Il a été –étrangement– l’un des trois acquittés du procès de Nuremberg. A sa sortie de prison, il a 74 ans et le sentiment qu’une nouvelle vie s’ouvre à lui. Ce sera le cas: il va devenir le conseiller économique de plusieurs pays en voie de développement. Il a notamment accompagné l’Iran dans la renégociation de ses contrats pétroliers avec des compagnies américaines et britanniques. Au cours de ces discussions, il sera menacé physiquement à plusieurs reprises. Ces intimidations n’entameront pas sa détermination. Il a consacré la fin de sa vie –il est mort à 93 ans dans son lit– à œuvrer pour le développement d’une économie plus harmonieuse et plus respectueuse du bien-être des populations.
Schacht n’a d’ailleurs jamais été intéressé par l’argent…
Issu d’une famille modeste, il est devenu très riche jeune en grimpant rapidement les échelons hiérarchiques dans le milieu bancaire allemand mais, effectivement, l’argent n’a jamais été un moteur pour lui. Lorsqu’il prend ses fonctions de commissaire du Reich à la monnaie, en 1923, il renonce à percevoir tout salaire, préférant attribuer sa rémunération à sa secrétaire. Il porte des costumes sobres et rentre chez lui en empruntant les trains de banlieue de troisième classe… Patriote, il n’a jamais été accessible à la corruption. Sa seule obsession était le destin de l’Allemagne… Et le pouvoir, qu’il a toujours recherché.
On sent chez vous une certaine admiration pour cet homme…
C’est difficile à reconnaître dans la mesure où, sans lui, le régime hitlérien et ses atrocités n’auraient jamais existé… Mais oui, j’admire sa détermination. Sur le plan économique, il a été un véritable génie. Il a transformé un pays arriéré, handicapé par le paiement de la dette de la Première Guerre mondiale en un Etat doté d’équipements extraordinaires –autoroutes, barrages, centrales thermiques, réseau téléphonique, etc. Il a transformé une ruine historique en une réussite historique… En 1940, grâce à lui, l’Allemagne serait devenue la première puissance économique au monde si elle n’était pas partie en guerre. Mais sur le plan personnel, il s’est beaucoup trompé. Lui qui n’a jamais vraiment été séduit par le nazisme pensait pouvoir manipuler Hitler… C’est Hitler qui l’a manipulé. Il pensait que Goering était son ami… Ce dernier l’a trahi sans ménagement.
Que ferait Schacht s’il était aujourd’hui le ministre de l’Economie de la Grèce?
Il s’arrangerait pour ne pas payer la dette, comme il l’a fait lorsqu’il était président de la Reichsbank. Au lendemain de la Grande Guerre, son pays doit payer 130 milliards de marks-or aux Alliés. Grâce à Schacht, il ne versera en tout et pour tout qu’une dizaine de milliards de marks-or et encore, en empruntant cet argent aux Américains et aux Anglais… Schacht a fait croire aux Alliés qu’il voulait payer, mais il les a complètement mystifiés. L’Allemagne est le pays qui a connu le plus fort allègement de sa dette au XXe siècle –il a bénéficié d’une autre réduction conséquente après la Seconde Guerre mondiale- et au XXIe siècle, il est celui qui se montre le plus intransigeant pour que les autres pays s’acquittent des leurs…
Et s’il était le ministre de l’Economie de la France, que ferait Schacht?
Sa priorité ne serait sans doute pas de restaurer les comptes publics mais de résorber le chômage. Pour atteindre cet objectif, il mettrait au point un véritable plan de guerre au service de la transition énergétique. Il ferait émerger de grandes industries capables de produire des panneaux solaires, des piles à combustibles, etc. La Banque publique d’investissement (BPI) pourrait financer ce plan… A condition de ne pas respecter certains traités européens, qui interdisent aux Etats de financer directement leur économie productive.
Quelle leçon «positive» devrions-nous retenir de lui?
En 1923, il a appliqué une politique déflationniste d’une rigueur inouïe. En 1933, il a fait exactement l’inverse, en lançant une politique de déficit extraordinaire. Dans les deux cas, ses solutions ont très bien fonctionné. Hjalmar Schacht n’était pas un théoricien, il était un rationaliste: il analysait la situation, déterminait le principal problème à résoudre puis prenait toutes les décisions nécessaires pour y parvenir. Il prenait une décision et s’y tenait, à tout prix.
Source : 20minutes