Les deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, auraient été enlevés et assassinés par Al-Qaïda, en représailles au versement incomplet de la rançon pour la libération des otages d’Arlit. Scandale d’Etat en perspective si cette révélation explosive d’“Envoyé Spécial” se vérifiait.
Un an durant Envoyé spécial a enquêté sur une affaire d’Etat : la question des négociations qui ont rendu possible la libération des otages d’Arlit, enlevés au Niger en septembre 2010. Signée Geoffrey Livolsi, Michel Despratx, Antoine Husser, Loup Krikorian et Marielle Krouk, cette investigation aux révélations explosives, explore les liens qui existent avec une seconde affaire : l’enlèvement et l’assassinat de deux journalistes français de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Kidal, au Mali.
Le point de départ, c’est l’enlèvement, le 16 septembre 2010, à Arlit, dans le Sahel, de six hommes et une femme travaillant sur le site minier d’Areva, par un commando d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique). Leur kidnapping a eu lieu en pleine nuit, après une fête entre collègues. Les ex-otages racontent qu’à 2h30 du matin, ils se sont fait sortir du lit « de manière assez violente » puis ont été embarqué « encore pieds nus » dans un véhicule. Direction le massif des Ifoghas au nord-est du Mali, une zone contrôlée par les Islamistes. Sur ces sept employés d’Areva, quatre hommes, Pierre Legrand, Marc Féret, Thierry Dol et Daniel Larribe, vont rester captifs durant trois ans. Lorsque ces quatre ressortissants français sont finalement libérés le 29 octobre 2013, la France se félicite d’avoir récupéré ses otages « vivants », et d’avoir maintenu « l’unité de la Nation ».
Loin de ces satisfecit, Envoyé spécial, au terme d’une enquête extrêmement délicate, ponctuée de menaces sur son équipe et la rétractation de certains témoins-clés, révèle une autre histoire. Un récit très différent de la version officielle qui, s’il se vérifiait, constituerait un véritable scandale d’Etat qui éclabousserait la présidence de la République, le ministère de la Défense et la DGSE. Explications en quatre points.
Comment la France a mis en place deux équipes rivales de négociateurs pour obtenir la libération des otages
Très vite, l’identité des ravisseurs des Français est connue : il s’agit d’une équipe sous les ordres d’Abou Zeid, cofondateur d’AQMI. L’homme s’est spécialisé, depuis 2003, dans le rapt de touristes dans le Sud de l’Algérie. Avec lui naît le business juteux des otages.
Le film explique bien comment deux équipes de négociateurs ont travaillé en parallèle. Soutenu par Areva et la DGSE, Jean-Marc Gadoullet, ex-agent secret, est le premier à être mandaté par la France pour aller négocier la libération des otages. Officiellement, c’est Areva qui paye, mais c’est l’Elysée qui supervise les opérations. Gadoullet finit par rencontrer Abou Zeid, qui est prêt à libérer les otages par paquets. Mais la négociation n’aboutit pas et Gadoullet est blessé par balles en novembre 2011 : il doit rentrer se faire soigner en France, mais assure qu’il continue à travailler.
Un nouveau négociateur (concurrent) surgit en la personne de Pierre-Antoine Lorenzi. Lui aussi ex-agent de la DGSE et patron de la société de sécurité Amarante, il est introduit dans le jeu avec l’aval du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Plan A contre à plan B, DGSE contre ministère de la Défense… Envoyé spécial dépeint un fiasco, une guerre des négociateurs, de l’argent qui s’évapore, le refus de la France de payer une rallonge au nom des « frais d’opérations »…
Pendant ce temps, les otages vivent l’enfer : « des interrogatoires, des simulacres d’exécution, beaucoup de tirs de kalashnikov. La haine et l’atrocité de ces individus, c’était de la torture », résume l’un d’entre eux, Thierry Dol devant la caméra.
Comment la France a fait traîner les négociations, laissant ses ressortissants en danger dix-huit mois supplémentaires
Pourquoi la France a-t-elle annulé une mission menée par le négociateur Jean-Marc Gadoullet en mai 2012 ? L’enquête rappelle les circonstances. Le 1er avril 2012, un accord signé par AQMI confirme que l’otage Marc Feret va être libéré contre le versement d’une rançon de 6,5 millions d’euros. L’homme se prépare à sa libération. Il raconte comment l’un de ses ravisseurs lui offre en souvenir un petit cadeau : une boîte d’ananas. De son côté, Gadoullet espère que cette première libération va permettre d’entrer en négociation pour les trois autres employés d’Areva et de Vinci. Arrivé à Niamey, au Niger, l’intermédiaire attend le feu vert de l’Etat français pour aller chercher l’otage. Mais rien ne va se passer comme prévu. Le 3 mai 2012, trois jours avant le second tour de l’élection présidentielle, Areva est informée que « l’opération est annulée ». Le général Benoît Puga, chef de l’état-major de Nicolas Sarkozy (il deviendra celui de François Hollande) a-t-il décidé seul, comme l’affirme le magazine de France 2, d’annuler la mission de libération ? A-t-il fait obstruction à la libération des otages ? Conséquence grave : Abou Zeid, chef des ravisseurs d’AQMI, n’aura plus confiance et Marc Feret et ses camarades resteront otages dix-huit mois de plus. Depuis sa libération, Marc Féret a porté plainte pour connaître la vérité et savoir « si des personnes ont, à un moment donné, pris la décision de mettre sa libération en suspens pour une raison X », explique-t-il aux journalistes d’Envoyé spécial.
Comment “Envoyé spécial” démonte l’affirmation de François Hollande : “La France ne paye pas de rançon”
En arrivant au pouvoir, François Hollande impose une nouvelle doctrine : « La France ne verse pas de rançon pour libérer ses otages ».
Contrairement à ce credo martelé régulièrement, l’enquête met au jour les sommes versées. La France aurait dépensé plusieurs dizaines de millions d’euros pour libérer ses otages. Trente millions d’euros, tirés des fonds secrets de la République, ont ainsi été versés pour obtenir libération de Pierre Legrand, Marc Féret Thierry Dol et Daniel Larribe le 29 octobre 2013 après 1139 jours de captivité.
Au-delà de cette affaire, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les pays occidentaux auraient versé plus de 120 millions d’euros à AQMI de 2008 à 2013. A elle seule, la France aurait, durant cette période, versé 55 millions d’euros, se plaçant ainsi au premier rang des payeurs.
Comment “Envoyé spécial” relie l’assassinat des deux journalistes français de RFI à la libération des otages d’Arlit
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes à RFI, étaient venus couvrir les élections législatives au Mali. Mais, selon Envoyé spécial, les deux journalistes travaillaient discrètement sur un autre sujet, sans en avoir parlé à leur rédaction : le possible détournement d’argent des rançons des otages d’Arlit. Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont enlevés et assassinés exactement trois jours après la libération des otages, dans une proximité de temps mais aussi de lieu (dans la même région de Kidal).
« Quand on a commencé notre enquête (il y a un an), on n’avait pas du tout établi de lien entre les otages et les assassinats des journalistes de RFI », explique Geoffrey Livolsi, coauteur du reportage. « C’est au fur et à mesure qu’on l’a compris […] que des gens nous ont fait état de ce lien, nous ont dit de creuser… Quand quelqu’un comme Alain Juillet (ancien directeur au sein de la DGSE) s’exprime face caméra comme il le fait, cela nous a étonné qu’il s’aventure de lui-même sur ce sujet », ajoute Livolsi.
Témoignage après témoignage, il apparaît, dans cette affaire complexe, que l’intégralité de la somme versée par la France n’est pas allée aux ravisseurs. Des témoins-clés évoquent des détournements d’argent. AQMI parle d’« une facture non réglée ». Certains intermédiaires (chauffeurs, gardes du corps, types qui ouvraient les routes, sécurisaient les contacts, gardiens…) n’auraient pas été payés et se seraient sentis lésés. C’est par vengeance que l’organisation terroriste aurait exécuté les deux journalistes français le 2 novembre 2013.
Jusqu’ici, seul le soupçon d’un lien entre les deux affaires existait (comme le confirment les proches de Ghislaine Dupont et Claude Verlon), mais n’avait jamais été établi. C’est désormais le cas.
Enfin, dernier élément troublant (mais pas incriminant de façon formelle), révélé par Envoyé spécial : l’ordinateur personnel de Ghislaine Dupont qu’elle avait laissé à Paris, a été piraté une heure avant son enlèvement. Ses mails ont été copiés et vidés. Ultime détail troublant d’une enquête aux multiples rebondissements.
Source : Télérama