13e dimanche après la Pentecôte – textes de la messe commentés

Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel, tel que le suivaient nos aïeux), avec leur commentaire.

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« Les Juifs voulaient imposer la loi mosaïque aux chrétiens ; saint Paul montre que ce n’est pas elle qui donne la sainteté aux âmes, puisque, avant la loi, Abraham, le père du peuple juif, fut sanctifié par sa foi en Jésus. Tous ceux donc, juifs ou païens, qui entrent dans l’Eglise et mettent leur foi dans les mérites de la passion du Christ seront sauvés. Le divin sauveur, en effet, guérit tous les lépreux, juifs ou samaritains, qui recourent à Lui. « Lève-toi, dit Jésus à ce dernier, c’est ta foi qui t’a sauvé ». C’est lui qui par son Eglise rend la santé de l’âme à tous ceux, juifs ou païens, qui viennent à Lui.

Parmi les dix lépreux guéris, il y en eut un qui eut foi au Christ. Et sa foi lui obtint le salut. Nous aussi, pécheurs, nous devons attendre de Jésus-Christ le salut. Nous rappelons aujourd’hui à Dieu l’Alliance qu’il a scellée avec nous. Alliance et salut restent de pures libéralités de sa part. Nous sommes incapables de sortir, par nos mérites, du péché dont nous sommes prisonniers. Seule nous libère la foi au Christ. Et cette espérance donne plus de sécurité que ne le ferait une confiance humaine. »

(extraits de missels).

COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgiquedisponible ici avec ses autres livres)

« L’Église, en possession des promesses si longtemps attendues par le monde, aime à revenir sur l’expression des sentiments qui remplissaient l’âme des justes durant ces siècles désolés où le genre humain végétait sous les ombres de la mort. Elle redoute le danger où se trouvent ses trop heureux fils d’oublier, dans leur abondance, les conditions désastreuses que l’éternelle Sagesse leur a épargnées, en les appelants à vivre dans les temps qui ont suivi l’accomplissement des mystères du salut. D’un tel oubli naîtrait sans peine l’ingratitude, condamnée à bon droit par l’Évangile du jour. C’est pourquoi l’Épître, et, avant elle, l’Introït, nous reportent au temps où l’homme vivait de la seule espérance, ayant bien la promesse d’une alliance sublime qui devait se consommer dans les siècles futurs, mais, cependant, dénué de tout, en butte aux perfidies de Satan, abandonné aux représailles de la justice divine en attendant de retrouver l’amour.

Introït (Ps. 73, 20, 19 et 23.) :
Ayez égard à votre alliance, Seigneur, n’abandonnez pas à la fin les âmes de vos pauvres. Levez- vous, Seigneur et jugez votre cause, et n’oubliez pas les appels de ceux qui vous cherchent.
(Ps. ibid., 1.) Pourquoi, ô Dieu, nous avez-vous rejetés finalement ? Pourquoi votre colère s’est-elle allumée contre les brebis de vos pâturages ?

Nous avons vu, il y a huit jours, le rôle de la foi et l’importance de la charité dans le chrétien vivant sous la loi de grâce. L’espérance aussi lui est nécessaire ; car bien que déjà en possession substantielle des trésors qui feront à jamais son bonheur, l’obscurité de cette terre d’exil les dérobe à sa vue, et, la vie présente restant toujours le temps d’épreuve où chacun doit mériter sa couronne [1]I Cor. IX, 25., la lutte fait peser jusqu’au bout sur les meilleurs son incertitude et ses amertumes. Implorons donc avec l’Église, dans la Collecte, l’accroissement en nous des trois vertus fondamentales de foi, d’espérance et de charité ; pour mériter d’arriver à la consommation de tout bien qui nous est promise au ciel, obtenons la grâce de nous attacher de cœur à ces commandements de Dieu qui nous y conduisent, et que l’Évangile de Dimanche dernier résumait dans l’amour.

Collecte :
Dieu tout-puissant et éternel, augmentez en nous la foi, l’espérance et la charité ; et pour que nous méritions d’obtenir ce que vous promettez, faites-nous aimer ce que vous commandez.

ÉPÎTRE.
Lecture de l’Épître de Saint Paul Apôtre aux Galates (Gal. 3, 16-22.) :
Mes frères, les promesses ont été faites à Abraham, et à sa postérité. Il ne dit pas : Et à ses postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs ; mais il dit : comme parlant d’un seul : Et à ta postérité, qui est le Christ. Voici ce que je veux dire : Dieu ayant conclu une alliance en bonne forme, la loi, qui a été donnée quatre cent trente ans après, n’a pu la rendre nulle, ni abroger la promesse. Car si c’est par la loi qu’est donné l’héritage, ce n’est donc plus par la promesse. Or, Dieu l’a donné à Abraham par une promesse. Pourquoi donc la loi ? Elle a été établie à cause des transgressions, jusqu’à ce que vînt la postérité à qui la promesse avait été faite ; cette loi a été promulguée par les anges et par l’entremise d’un médiateur. Or un médiateur n’est pas le médiateur d’un seul ; et Dieu est un seul. La loi est-elle donc opposée aux promesses de Dieu ? Loin de là ! Car s’il avait été donné une loi qui pût produire la vie, la justice viendrait véritablement de la loi. Mais l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût réalisée, pour les croyants par la foi en Jésus-Christ.

Regarde le ciel et comptes-en, si tu peux, les étoiles : aussi nombreuse sera ta descendance [2]Gen. XV, 5.. » Abraham avait près de cent ans [3]Rom. IV, 19., et la stérilité de Sara lui enlevait tout espoir naturel de postérité, quand le Seigneur lui parla de la sorte. Abraham cependant crut à Dieu, nous dit l’Écriture, et sa foi lui fut imputée à justice [4]Gen. XV, 6.. Et quand, plus tard, la même foi [5]Heb. XI, 17-19. lui eut fait offrir sur la montagne le fils de la promesse, son unique espérance, Dieu renouvela sa prophétie, et il ajouta : En ton germe seront bénies toutes les nations de la terre [6]Gen. XXII, 18..

Or voici qu’à cette heure la promesse s’accomplit ; l’événement donne raison à la foi d’Abraham. Il crut contre toute espérance, se confiant au Dieu qui donne la vie aux morts et appelle ce qui est comme ce qui n’est pas [7]Rom. IV, 17-18. ; et voici que, selon la parole de Jean-Baptiste, des pierres mêmes de la gentilité surgissent en tous lieux des fils d’Abraham [8]Matth. III, 9..

Sa foi, en même temps si ferme et si simple, rendit à Dieu la gloire qu’il attend de la créature [9]Rom. IV, 20.. L’homme ne peut rien ajouter aux perfections divines ; mais, sur la parole du Seigneur lui-même, quoique ne les voyant point directement ici-bas, il reconnaît ces perfections dans l’adoration et l’amour, il inspire de la foi sa vie entière ; et cet usage qu’il fait librement de ses facultés, cette adhésion spontanée d’un être intelligent, magnifie Dieu par l’extension de sa gloire extérieure.

Sur les traces d’Abraham [10]Rom. IV, 12. sont donc venues des multitudes nées pour le ciel de la foi dont il donna le spectacle au monde, vivant d’elle seule [11]Ibid. 1, 17., rendant au Seigneur, dans tous leurs actes, l’hommage de la confession et de la louange par Jésus-Christ son Fils, et comme Abraham, recevant en retour la bénédiction d’une justice toujours croissante [12]Ibid. IV, 23-24 ; Gal. III, 9.. Le splendide épanouissement de la sainte Église, qui suscite au père des croyants cette nouvelle descendance, s’est encore accentué depuis la chute d’Israël. Dans les contrées les plus reculées, au sein des villes jadis païennes, voyons ces foules nombreuses d’hommes, de femmes et d’enfants quittant comme Abraham[Gen. XII, 1.[]], à la voix du ciel, sinon leur pays, du moins tout ce qui les rattachait à la terre ; confiants comme lui dans la fidélité de Dieu et sa puissance [13]Rom. IV, 20-21., ils se sont faits étrangers au milieu de leurs proches et dans leurs maisons mêmes, usant de ce monde comme n’en usant pas [14]I Cor. VII, 31.. Dans le tumulte des cités comme au désert, au milieu des vains plaisirs de ce monde dont la figure passe [15]Ibid., ils n’ont d’autre pensée que celle des réalités invisibles [16]Heb. XI, 1., d’autre souci que de plaire au Seigneur [17]I Cor. VII, 32.. Ils prennent pour eux la parole qui fut dite à leur père : Marche en ma présence, et sois parfait [18]Gen XVII, 1.. C’était bien, en effet, à eux tous qu’elle s’adressait dès lors ; c’était la clause de l’alliance conclue par Dieu pour la suite des âges avec ces hommes fidèles, dans la personne du patriarche leur modèle et leur souche ; et Dieu répond de même à leur foi en d’intimes manifestations, ou par la voix plus sûre encore des Écritures [19]II Petr. I, 19., disant : Ne crains pas, je suis moi-même ta récompense immense [20]Gen. XV, 1. !

Véritablement donc la bénédiction d’Abraham s’est répandue sur les nations [21]Gal. III, 14.. Jésus-Christ, vrai fils de la promesse, germe unique du salut, a par la foi dans sa résurrection [22]Rom. IV, 24. rassemblé de toute race [23]Gal. III, 28.les hommes de bonne volonté [24]Luc. II, 14., les faisant un en lui, les rendant comme lui fils d’Abraham [25]Gal. III, 29. et, qui mieux est, fils de Dieu [26]Ibid. IV. 5-7.. Car la bénédiction promise au début de l’alliance, c’était l’Esprit-Saint lui-même [27]Ibid. III, 14., l’Esprit d’adoption des enfants descendu dans nos cœurs pour faire de tous les héritiers de Dieu et les cohéritiers du Christ [28]Rom. VIII, 15-17.. Puissance merveilleuse de la foi qui brise les anciennes barrières de séparation, unit les peuples [29]Eph. II, 14-18., et substitue l’amour et la liberté sainte des fils du Très-Haut à la loi d’esclavage et de défiance [30]Rom. VIII, 2. !

Pourtant ce spectacle grandiose des nations incorporées à la race élue, et devenant participantes en Jésus-Christ des promesses sacrées [31]Eph. III, 6., n’agrée pas à tous. Le Juif charnel qui se vante d’avoir Abraham pour père sans se soucier d’imiter ses œuvres [32]Jean. VIII, 39., le circoncis qui se glorifie de porter en sa chair les marques d’une foi qui n’est pas dans son cœur [33]Rom. IV, 11., ces hommes qui ont renié le Christ renient maintenant ses membres et voudraient repousser ou tronquer son Église. C’est avec rage qu’ils voient de tous les points de l’horizon [34]Luc XIII, 29. ce concours immense que leur jalousie mesquine n’a pu arrêter. Tandis que leur orgueil froissé se tenait à l’écart [35]Luc. XV, 28., les peuples s’asseyaient en foule avec Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes, au banquet du royaume de Dieu [36]Ibid. XIII, 28. ; les derniers devenaient les premiers [37]Ibid. 3o.. Jusqu’à la fin des temps, Israël, déchu par son obstination de son antique gloire, restera l’ennemi de cette postérité spirituelle d’Abraham qui l’a supplanté [38]Gen. XXVII, 36. ; mais ses persécutions contre les fils de la promesse et l’Épouse légitime n’aboutiront qu’à faire voir en lui, comme dit saint Paul, le fils d’Agar, le fils de l’esclave exclue avec son fruit de l’héritage et du royaume [39]Gal. IV, 22-31..

Libre à lui de repousser l’affranchissement que lui offrait le Seigneur, plutôt que de reconnaître l’abrogation définitive de sa loi périmée. Sa haine n’amènera point les fils de l’Église, figurée par Sara la femme libre, à rejeter la grâce de leur Dieu pour lui complaire, à délaisser la justice de la foi, les richesses de l’Esprit, la vie dans le Christ, pour retourner au joug de servitude [40]Ibid. V, 1. brisé à jamais, quoi qu’en ait le Juif, par la croix qu’il dressa au Calvaire [41]Ibid. II, 19-21.. Jusqu’à la fin la vraie Jérusalem, la cité libre notre mère, l’Épouse jadis stérile, maintenant si féconde, opposera aux prétentions surannées et cependant toujours vivaces de la synagogue, la lecture publique de l’Épître qu’on vient d’entendre. Jusqu’à la fin, Paul, en son nom, traitant de la loi du Sinaï signifiée aux hommes qu’elle concernait par l’intermédiaire de Moïse et des anges, fera ressortir son infériorité relativement à l’alliance conclue par Abraham directement avec Dieu ; chaque année, aussi fortement qu’au premier jour, il redira le caractère transitoire de cette législation venue quatre cent trente ans après une promesse qui ne pouvait changer, pour durer seulement jusqu’au jour où paraîtrait ce fils d’Abraham de qui le monde attendait la bénédiction promise.

Mais que dire de l’impuissance du ministère mosaïque à fortifier l’homme, à le relever de sa chute ? L’Évangile que nous méditions il y a huit jours donnait de l’inutilité de l’ancienne loi sous ce rapport un symbolique et frappant commentaire, en même temps qu’il affirmait la puissance de guérison résidant dans le Christ et transmise par lui aux ministres de la loi nouvelle. Or, n’oublions pas que cet Évangile était autrefois l’Évangile du jour même où nous sommes. « Tout dans l’Office du treizième Dimanche, dit justement l’Abbé Rupert, se rapporte à l’histoire de ce Samaritain dont le nom signifie le gardien divin, notre Seigneur Jésus-Christ, venant par son incarnation au secours de l’homme que l’ancienne loi n’a pu sauver, et le remettant, quand il quitte la terre, aux soins des Apôtres et des hommes apostoliques dans l’hôtellerie de l’Église. La proximité voulue de cet Évangile jette une grande lumière sur notre Épître, ainsi que sur toute la Lettre aux Galates d’où elle est tirée. Le prêtre et le lévite de la parabole, en effet, c’est toute la loi représentée ; et leur passage auprès de l’homme à demi-mort qu’ils voient, sans chercher à le guérir, marque ce qu’a fait la loi. Elle n’allait point à l’encontre des promesses de Dieu, mais par elle-même ne pouvait justifier personne. Quelquefois le médecin qui ne doit pas venir encore envoie au malade un serviteur expert dans la connaissance des causes de maladie, mais inhabile à composer le remède contraire, et pouvant seulement indiquer à l’infirme les aliments, les breuvages dont il doit s’abstenir de crainte que son mal, en s’aggravant, n’amène la mort. Telle fut la loi, établie, nous dit l’Épître, à cause des transgressions, comme simple surveillante, jusqu’à l’arrivée du bon Samaritain, du médecin céleste. L’homme, en effet, tombé dès son entrée dans la vie entre les mains des voleurs, naît dépouillé de ses biens surnaturels et couvert des plaies que lui a faites le péché d’origine ; s’il ne s’abstient des péchés actuels, de ces transgressions pour l’indication desquelles la loi a été établie, il court risque de mourir tout à fait sans retour [42]Rup. De div. Off. XII, 13.. »

C’est pourquoi on reprend de nouveau, dans le Graduel, la supplication de l’Introït : Respice, Domine, in testamentum tuum. Car, dit Rupert [43]Ibid., c’était la parole des anciens qui, gémissant sous l’infirmité de la loi impuissante du Sinaï, imploraient la consommation de l’alliance promise à la foi d’Abraham. Ils criaient au Christ, comme pouvait le faire au Samaritain libérateur le pauvre blessé qui voyait le prêtre et le lévite passer outre, sans apporter de remède à ses maux.

Graduel (Ps. 73, 20, 19 et 22.) :
Ayez égard à votre alliance, Seigneur, n’oubliez pas pour toujours les âmes de vos pauvres.
V./ Levez-vous, Seigneur, et jugez votre cause, souvenez-vous des outrages faits à vos serviteurs.
Allelúia, allelúia. V/. Ps. 89, 1.
Le Seigneur s’est fait notre refuge de génération en génération. Alléluia.

ÉVANGILE.
Suite du Saint Évangile selon saint Luc :
En ce temps-là, en se rendant à Jérusalem, Jésus côtoyait la frontière de la Samarie et de la Galilée. Et comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent au-devant de lui ; et, se tenant éloignés, ils élevèrent la voix, en disant : Jésus, maître, ayez pitié de nous. Lorsqu’il les eut vus, il dit : Allez, montrez-vous aux prêtres. Et comme ils y allaient, ils furent guéris. Or l’un d’eux, voyant qu’il était guéri revint, glorifiant Dieu à haute voix. Et il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus, lui rendant grâces ; et celui-là était Samaritain. Alors Jésus, prenant la parole, dit : Est-ce que les dix n’ont pas été guéris ? Où sont donc les neuf autres ? Il ne s’en est pas trouvé qui soit revenu, et qui ait rendu gloire à Dieu, sinon cet étranger. Et il lui dit : Lève-toi, va ; ta foi t’a sauvé.

Le lépreux Samaritain, guéri de sa hideuse maladie, figure du péché, en compagnie de neuf lépreux de nationalité juive, représente la race décriée des gentils admise d’abord comme à la dérobée, et par surcroît, en communication des grâces destinées aux brebis perdues de la maison d’Israël [44]Matth XV, 24.. La conduite différente que tiennent ces dix hommes, à l’occasion du miracle qui les concerne, répond elle-même à l’attitude des deux peuples dont ils sont l’image, en présence du salut apporté au monde par le Fils de Dieu. Elle démontre une fois de plus le principe posé par l’Apôtre : « Tous ceux-là ne sont pas Israélites qui sont nés d’Israël, tous ceux-là ne sont pas fils d’Abraham qui sont sortis de lui ; mais en Isaac, dit l’Écriture [45]Gen. XXI, 12, est établie la race qui portera son nom : c’est-à-dire, ce ne sont pas les enfants nés de la chair qui sont les fils de Dieu, mais bien les fils de la promesse, nés de la foi d’Abraham et formant sa vraie race devant le Seigneur [46]Rom. IX, 6-8.. »

La sainte Église ne se lasse point de revenir sur cette comparaison des deux Testaments et le contraste offert par les deux peuples. C’est pourquoi, avant d’aller plus loin, nous sentons la nécessité de répondre à l’étonnement qu’une telle insistance ne peut manquer d’exciter en certaines âmes déshabituées de la sainte Liturgie. Le genre de spiritualité qui remplace aujourd’hui chez plusieurs l’ancienne vie liturgique de nos pères, ne les dispose en effet que médiocrement à entrer dans cet ordre d’idées. Accoutumés à ne vivre qu’en face d’eux-mêmes et de la vérité telle qu’ils la conçoivent, mettant la perfection dans l’oubli de tout le reste, il n’est pas surprenant que ces chrétiens ne comprennent aucunement ce retour continuel vers un passé fini, croient-ils, depuis des siècles. Mais la vie intérieure, vraiment digne de ce nom, n’est point ce que ces chrétiens s’imaginent ; aucune école de spiritualité, ni maintenant, ni jamais, ne plaça l’idéal de la vertu dans l’oubli des grands faits de l’histoire qui intéressent à ce point l’Église et Dieu même. Aussi qu’advient-il, trop souvent, de ce délaissement de la Mère commune par ses fils ? C’est que, dans l’isolement voulu de leurs prières privées, ils perdent de vue, par une juste punition, le but suprême de l’oraison qui est l’union et l’amour. La méditation dépouille en eux ce caractère de conversation intime avec Dieu, que lui assignent tous les maîtres de la vie spirituelle ; elle n’est bientôt plus qu’un exercice stérile d’analyse et de raisonnement, où l’abstraction domine en souveraine.

Quand Dieu, cependant, voulut manifester son Verbe, en appelant l’homme aux noces divines, il ne recourut point à l’abstraction pour traduire à la terre ce fils de sa substance éternelle que l’homme ne pouvait voir encore directement dans sa divinité. Pareille traduction de l’éternelle Sagesse, où résident dans l’amour toute beauté, toute chaleur et toute vie, eût été plus qu’imparfaite et que froide. Aussi Dieu, selon l’expression de saint Paul, jeta dans la chair ce grand mystère de la piété [47]I Tim. III, 16. ; le Verbe fut fait âme vivante [48]Gen. II, 7. ; l’éternelle Vérité prit un corps pour converser avec les hommes [49]Bar. III, 38. et grandit comme l’un d’eux [50]Luc. II, 52.. Et quand ce corps que la Vérité doit garder à jamais fut enlevé dans la gloire [51]I Tim. III, 16., l’Église, Épouse de l’Homme-Dieu, os de ses os, chair de sa chair [52]Eph. V, 3o-32., continua dans le monde cette manifestation de Dieu par les membres du Christ, ce développement [53]Ibid. 1, 23. historique du Verbe, qui ne s’arrêtera qu’au dernier jour, qui surpasse tout raisonnement, et révèle aux anges mêmes sous des aspects nouveaux la Sagesse de Dieu [54]Ibid. III, 10.. Assurément un respect profond est dû aux axiomes où l’homme renferme dans un ordre logique, indépendant de l’histoire et des faits, les principes de la science ; mais pas plus en Dieu qu’en l’homme même, la vie ne répond à cette immobilité de raison qui ne ressemble en rien, qu’on se garde de le croire, à l’immutabilité toujours féconde, essentiellement active, de la Vérité substantielle. Or donc, dans l’Eglise comme en Dieu, la vérité est vie et lumière [55]Jean. I, 4.. S’il ne fallait y voir qu’une suite de formules, les accents de son Credo n’éclateraient pas aussi triomphants sous les voûtes de ses temples. S’il force victorieusement les portes du ciel, c’est que tous ses articles ont jusqu’à nous leur sublime histoire : c’est que chaque mot qui le compose se présente au Dieu très haut ruisselant du sang des martyrs ; que de siècle en siècle il rayonne toujours plus de l’éclat des travaux et des luttes glorieuses de tant de saints confesseurs, qui sont l’élite de l’humanité baptisée chargée de compléter le Christ ici-bas [56]Col. I, 24 ; II, 19..

Il nous faut abréger ces considérations. Disons donc de suite qu’après ce grand fait de l’incarnation du Verbe venu en terre pour manifester Dieu dans la suite des âges par le Christ et ses membres [57]II Cor. IV, 10, 11., il n’en est point de plus important, il n’en est point qui ait tenu, qui tienne encore davantage au cœur de Dieu, que l’élection des deux peuples appelés par lui successivement au bénéfice de son alliance. Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir, nous dit l’Apôtre ; ces Juifs, ennemis aujourd’hui parce qu’ils repoussent l’Évangile, n’en sont pas moins toujours aimés et très aimés, carissimi, à cause de leurs pères [58]Rom. XI, 28-29.. C’est pourquoi aussi un temps viendra, attendu par le monde, où le reniement de Juda étant rétracté, ses iniquités effacées, les promesses reçues par Abraham, Isaac et Jacob auront leur accomplissement littéral [59]Ibid. 25-27.. Alors apparaîtra la divine unité des deux Testaments ; les deux peuples eux-mêmes n’en feront plus qu’un sous le Christ leur chef [60]Eph. II, 14.. L’alliance de Dieu avec l’homme étant dès lors pleinement consommée telle qu’il l’avait voulue dans ses desseins éternels, la terre ayant donné son fruit [61]Psalm. LXVI, 7., le monde ayant atteint son but, les tombes rendront leurs morts [62]Rom. XI, 15. et l’histoire cessera ici-bas, pour laisser l’humanité glorifiée s’épanouir dans la plénitude de la vie sous le regard éternel.

Rien donc n’est moins suranné que l’ordre d’idées auquel nous ramène de nouveau l’Évangile du jour ; rien n’est plus grand ; et ajoutons, quoi qu’il en puisse sembler à première vue : rien n’est plus pratique, dans cette partie de l’année consacrée aux mystères de la Vie unitive. Qu’est-ce, en effet, que l’union entre Dieu et l’homme, sinon tout d’abord la communauté des sentiments et des vues ? Or, nous venons de le montrer, les vues divines se trouvent résumées tout entières dans l’histoire comparée des deux Testaments et des deux peuples ; le résultat final qui clora l’histoire de ces rapports est l’unique but que poursuivait et que poursuive l’amour infini, au commencement, maintenant et toujours. L’Église donc, loin de se montrer d’un autre âge en revenant continuellement à ces pensées, ne fait que manifester ainsi l’éternelle jeunesse de son cœur d’Épouse à l’unisson toujours de celui de l’Époux.

Reprenons brièvement l’explication littérale de notre Évangile, interrompue par cette longue digression. Ici encore donc le Seigneur veut plutôt nous instruire symboliquement, que montrer sa puissance. C’est pourquoi il ne rend pas d’un mot la santé aux malheureux qui l’invoquent, comme il le fit dans une autre circonstance pour un cas semblable »Je le veux, sois guéri, » dit-il un jour à un de ces infortunés qui implorait son secours dans les débuts de sa vie publique, et la lèpre avait disparu aussitôt [63]Matth. VIII, 3. Les lépreux de notre Évangile, qui se rapporte aux derniers temps du Sauveur, sont délivrés seulement en allant se montrer aux prêtres ; Jésus les y renvoie, comme il l’avait fait pour le premier, donnant à tous, depuis le commencement jusqu’au dernier jour de sa vie mortelle, l’exemple du respect dû jusqu’au bout à l’ancienne loi non encore abrogée. Cette loi en effet donnait au fils d’Aaron le pouvoir, non de guérir, mais de discerner la lèpre et de prononcer sur sa guérison [64]Levit. XIII..

Le temps est venu cependant d’une loi plus auguste que celle du Sinaï, d’un sacerdoce dont les jugements n’auront plus pour objet de constater l’état des corps, mais d’enlever effectivement, par le prononcé même de leur sentence d’absolution, la lèpre des âmes. La guérison rencontrée par les dix lépreux avant d’être arrivés aux prêtres qu’ils cherchent, devrait suffire à leur montrer dans l’Homme-Dieu la puissance du sacerdoce nouveau qu’annonçaient les prophètes [65]Isai. LXVI, 21-23. ; le pouvoir qui surpasse pour eux, en la prévenant ainsi, l’autorité du ministère antique, révèle de soi dans celui qui l’exerce une dignité plus grande. Si, du moins, ils apportaient les dispositions convenables aux rites sacrés qui vont s’accomplir dans la cérémonie de leur purification [66]Levit. XIV, 1-32., l’Esprit-Saint, qui régla autrefois, en vue du moment où ils sont, les prophétiques détails de cette fonction mystérieuse, les aiderait à comprendre la signification du passereau expiatoire dont le sang, versé sur les eaux vives, délivre par le bois l’autre passereau son semblable. Le premier, en effet, c’est le Christ, qui se compare dans le psaume au passereau solitaire [67]Psalm. CI, 8. ; son immolation sur la croix, qui donne à l’eau la vertu de laver les âmes, communique aux autres passereaux ses frères [68]Psalm. LXXXIII, 4. la pureté du sang divin.

Mais le Juif est loin d’être préparé à l’intelligence de ces grands mystères. La loi pourtant lui fut donnée pour le conduire au Christ comme par la main et sans crainte d’erreur [69]Gal. III, 24. : faveur précieuse qu’il ne méritait point, qu’il devait à ses pères [70]Deut. V, 37 ; IX, 4-6., et d’autant plus inestimable qu’au moment où elle lui fut accordée, la notion du sauveur à venir allait se corrompant toujours plus dans l’esprit des peuples. La reconnaissance eût dû s’imposer à Juda ; l’orgueil prit sa place. L’attache au privilège surmonte en lui le désir du Messie. Il refuse de se faire à la pensée qu’un temps viendra où, le Soleil de justice s’étant levé pour la terre entière, l’avantage fait à quelques-uns durant les heures de nuit s’effacera dans les flots surabondants d’une lumière égale pour tous. Il proclame donc sa loi définitive en dépit d’elle-même, affirmant ainsi l’éternité du règne des figures et des ombres. Il pose en dogme qu’aucune intervention divine n’égalera celle du Sinaï dans l’avenir, que tout prophète futur, tout envoyé de Dieu, ne pourra qu’être inférieur à Moïse, que tout salut possible est dans sa loi et que d’elle seule découle toute grâce.

C’est la raison pour laquelle de ces dix hommes guéris par Jésus de la lèpre, il s’en trouve neuf qui ne songent même pas à venir remercier leur libérateur : ceux-là sont juifs, et Jésus n’est pour eux qu’un disciple de Moïse, un instrument des grâces provenant du Sinaï ; la formalité légale de leur purification accomplie, ils se croient quittes envers le ciel. Seul le Samaritain abandonné, le gentil, disposé par sa longue misère à l’humilité qui rend au pécheur la simplicité du regard de l’âme, reconnaît Dieu à ses œuvres et lui rend grâces pour ses bienfaits. Que de siècles d’abandon apparent, d’humiliation et de souffrance, devront passer sur Juda à son tour, pour qu’enfin, reconnaissant lui-même son Dieu et son Roi dans l’adoration, le repentir et l’amour, il entende comme cet étranger tomber de la bouche du Christ les paroles de pardon : Lève-toi et va, ta foi t’a sauvé !

Hâtons de nos vœux le moment si glorieux pour le ciel où les deux peuples, réunis dans une même foi par la conscience des mêmes espérances réalisées, s’écrieront au Christ, comme dans l’Offertoire : Seigneur, j’ai espéré en vous, vous êtes mon Dieu !

Offertoire (Ps. 30, 15-16.) :
J’ai espéré en vous, Seigneur, j’ai dit : Vous êtes mon Dieu, mes jours sont entre vos mains.

C’est l’oblation déposée sur l’autel qui doit nous obtenir de Dieu le pardon du passé et les grâces de l’avenir. Prions-le, dans la Secrète, d’agréer pour le Sacrifice ces dons présentés par l’Église en notre nom à tous.

Secrète :
Seigneur, soyez propice à votre peuple et regardez favorablement les dons qu’il vous offre, de sorte qu’apaisé par cette oblation, vous nous accordiez le pardon et nous concédiez ce que nous demandons.

Préface de la Sainte Trinité

Quand donc les Juifs voudront-ils venir éprouver enfin la supériorité du pain de l’alliance nouvelle sur la manne du Vieux Testament ? Nous gentils, les derniers-venus, qui avons précédé nos aînés au banquet de l’amour, chantons d’autant mieux, dans la Communion, les divines suavités de ce vrai pain du ciel.

Communion (Sap. 16, 20.) :
Vous nous avez donné, Seigneur, le pain du ciel, un pain ayant toute saveur et toute douceur.

Comme l’exprime la Postcommunion, l’œuvre de notre rachat par Jésus-Christ s’affirme et croit en nous aussi souvent que nous recourons aux sacrés Mystères. L’Eglise demande pour ses enfants la grâce de cette fréquentation fructueuse des Mystères du salut. »

Postcommunion :
Ayant reçu ces célestes sacrements, nous vous supplions, Seigneur, de nous faire progresser pour que le fruit de l’éternelle rédemption augmente en nous.

***

Voici un texte de Saint Augustin (sermon CLXXVI) basé en partie sur cet extrait de l’Évangile (la guérison des dix lépreux, dont seul un, non juif, vient rendre grâce) :

« L’Apôtre veut d’abord nous apprendre à rendre grâces. Or, souvenez-vous que dans la dernière leçon, celle de l’Evangile, le Seigneur Jésus loue le lépreux guéri qui le remercie, et blâme les ingrats qui conservent dans le coeur la lèpre qu’il a effacée de leur corps. Comment donc s’exprime l’Apôtre? « Une vérité sûre et digne de toute confiance ». Quelle est cette vérité ? « C’est que Jésus-Christ est venu au monde ». Pourquoi ? « Pour sauver les pécheurs ». Et toi, qu’es-tu ? « Dont je suis le premier ». C’eût été de l’ingratitude envers le Sauveur, de dire : Je ne suis, je n’ai jamais été pécheur. Car il n’est aucun des descendants mortels d’Adam, il n’est aucun homme absolument qui ne soit malade et qui n’ait besoin pour guérir de la grâce du Christ.

Que penser des petits enfants, si tous les descendants d’Adam sont malades? Mais on les porte à l’Eglise ; ils ne peuvent y courir encore sur leurs propres pieds; ils y courent sur les pieds d’autrui pour y chercher la guérison. L’Eglise notre mère leur prête en quelque sorte les pieds des autres pour marcher, le coeur d’autrui pour croire et, pour confesser la foi, la bouche d’autrui encore. Si la maladie qui les accable vient d’un péché qu’ils n’ont pas commis, n’est-il pas juste que la santé leur soit rendue par une profession de foi faite par d’autres en leur nom? Que nul donc ne vienne murmurer à vos oreilles des doctrines étrangères. Tel est l’enseignement auquel l’Eglise s’est toujours attachée, qu’elle a professé toujours; l’enseignement qu’elle a puisé dans la foi des anciens et qu’elle conserve avec persévérance jusqu’à la fin des siècles. Dès que le médecin n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades, l’enfant, s’il n’est pas malade, a-t-il donc besoin du Christ? Pourquoi, s’il a la santé, ceux qui l’aiment le portent-ils au Médecin? S’il était vrai qu’au moment où ils courent à lui entre des bras dévoués, ils n’eussent aucune souillure originelle, pourquoi ne dirait-on pas dans l’Eglise même à ceux qui les présentent: Loin d’ici ces innocents; ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de Médecin, mais ceux qui sont malades; le Christ n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (1)? Jamais pourtant l’Eglise n’a tenu ce langage; elle ne le tiendra jamais. A chacun donc, mes frères, de dire ce qu’il peut en faveur de ces petits qui ne peuvent rien dire. Si l’on a soin de recommander aux évêques de veiller sur le patrimoine des orphelins ; avec combien plus de soin encore ne doit-on pas leur recommander de veiller sur la grâce des petits enfants? Si pour empêcher les étrangers d’opprimer l’orphelin après la mort de ses parents, l’évêque s’en fait le tuteur ; quels cris d’alarmes ne doit-on pas pousser en faveur des petits, lorsqu’on craint que leurs parents mêmes ne les mettent à mort? Ne doit-on pas répéter avec l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde » uniquement « pour sauver les pécheurs ? » Quiconque recourt au Christ a sans doute quelque infirmité à guérir; pourquoi, si l’on n’a rien, courrait-on au Médecin ? Que les parents choisissent donc entre ces deux partis: avouer que le Christ guérit dans leurs enfants la maladie du péché, ou cesser de les lui offrir; car ce se. rait conduire au Médecin celui qui est en pleine santé. Que présentes-tu ? — Quelqu’un à baptiser. — Qui ? — Un enfant. — A qui le présentes-tu ? — Au Christ. — Au Christ qui est venu au monde ? — Oui. — Pourquoi y est-il venu? — « Pour guérir les pécheurs ». — L’enfant que tu présentes a donc en lui quelque chose à guérir ? Si tu dis oui, cet aveu sert à dissiper son mal ; il le garde, si tu dis non.

« Pour guérir les pécheurs, dont je suis le premier ». N’y avait-il point de pécheurs avant Paul? Mais Adam fut sûrement le premier de tous; la terre était couverte de pécheurs lorsqu’elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comment dire alors: « Dont je suis le premier?» Il est le premier, non en date, mais en énormité. C’est l’énormité de son péché qui- lui a fait dire qu’il était le premier des pécheurs. Ne dit-on point, par exemple, qu’un homme est le premier des avocats, pour exprimer, non pas qu’il plaide depuis plus longtemps que les autres, mais qu’il l’emporte sur eux? Aussi bien, voici comment il dit ailleurs qu’il était le premier des pécheurs : « Je suis le dernier des Apôtres, je suis indigne du nom d’Apôtre, parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu (1) ». Aucun persécuteur ne fut plus ardent, ni, conséquemment, aucun pécheur plus coupable.

« Cependant, poursuit-il, j’ai obtenu miséricorde ». Pour quel motif ? Il l’expose en ces termes: « Afin que le Christ Jésus montrât en moi toute sa patience pour l’instruction de ceux qui croiront en lui, en vue de la vie éternelle ». En d’autres termes: Le Christ voulait pardonner aux pécheurs qui se convertiraient à lui, fussent-ils ses ennemis; or, il m’a choisi, moi, son plus ardent adversaire, afin que nul ne désespérât en me voyant guéri par lui. N’est-ce pas ce que font les médecins? Arrivent-ils dans une contrée où ils sont inconnus? ils choisissent d’abord, pour les guérir, des malades désespérés; ils veulent ainsi exercer sur eux leur humanité et donner de leur habileté une haute idée; ils veulent que dans cette contrée chacun puisse dire à son prochain malade : Adresse-toi à ce médecin, aie pleine confiance, il te guérira. Il me guérira? reprend l’infirme, tu ne sais donc ce que je souffre ? Je connais tes souffrances, car j’en ai enduré de semblables. — C’est ainsi que Paul dit à chaque malade, fût-il porté au désespoir : Celui qui m’a guéri m’envoie près de toi; il m’a dit lui-même: Cours vers ce désespéré, raconte-lui ce que tu souffrais, de quoi et avec quelle promptitude je t’ai guéri. Je fai appelé du haut du ciel ; avec une première parole je t’ai abattu et renversé; avec une autre je t’ai relevé et j’ai fait de toi un élu ; je t’ai comblé de mes dons et envoyé prêcher avec une troisième; avec une quatrième enfin, je t’ai sauvé et couronné (2). Va donc, dis aux malades, crie à ces désespérés: « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs». Que craignez-vous ? Que redoutez-vous ? « Je suis le premier » de ces pécheurs. Oui, moi qui vous parle, moi que vous voyez plein de santé, pendant que vous êtes malades; debout, pendant que vous êtes renversés; pénétré de confiance, pendant que vous vous abandonnez au désespoir: « Si j’ai obtenu miséricorde, c’est que le Christ Jésus voulait montrer en moi toute sa patience ». Longtemps il a souffert de mon mal, et c’est ainsi qu’il m’en a délivré ; tendre Médecin, il a patiemment supporté ma fureur, enduré mes coups, puis il m’a accordé le bonheur de souffrir pour-lui. Vraiment « il a montré en moi toute sa patience pour l’édification de ceux qui croiront en lui en vue de la vie éternelle ».

Gardez-vous par conséquent de vous désespérer. Etes-vous malades ? Allez à lui et vous serez guéris. Etes-vous aveugles? Allez à lui et vous serez éclairés. Avez-vous la santé? Rendez-lui grâces. Vous surtout qui souffrez, courez à lui pour chercher votre guérison, et dites tous : « Venez, adorons-le, prosternons-nous devant lui et pleurons devant le Seigneur qui nous a créés », qui nous a donné la vie et la santé. S’il ne nous avait donné que l’existence, et que la santé fût notre oeuvre, notre oeuvre vaudrait mieux que la sienne, puisque la santé l’emporte sur la simple existence. Oui donc, si Dieu t’a fait homme et que tu te sois fait bon, tu as fait mieux que lui. Ah ! ne t’élève pas au-dessus de Dieu, soumets-toi à lui, adore-le, abaisse-toi, bénis Celui qui t’a créé. Nul ne rend l’être, que Celui qui l’a donné ; nul ne refait, que Celui qui a fait. Aussi lit-on dans un autre psaume: « C’est lui qui nous a faits, ce n’est pas nous (1) ».

Quand il t’a créé, tu n’avais de ton côté rien à faire ; mais aujourd’hui que tu existes, il en. est autrement: il te faut recourir à ce Médecin qui est partout, l’implorer. Et pourtant c’est lui encore qui excite ton coeur à recourir à lui, qui t’accorde la grâce de le supplier. « Car c’est Dieu, est-il dit, qui produit en vous le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté (2) ». Il a fallu en effet, pour t’inspirer bonne volonté, que sa grâce te prévînt. Crie donc « Mon Dieu, sa miséricorde me préviendra (3) ». Oui, c’est sa miséricorde qui t’a prévenu pour te donner l’être, pour te donner le sentiment, pour te donner l’intelligence, pour te donner la soumission; elle t’a prévenu en toutes choses: préviens au moins, toi, sa colère en quelque chose. Comment? reprends-tu, comment ? En publiant que de Dieu te vient ce qu’il y a de bon en toi, et de toi ce qu’il y a de mal. Garde-toi de le mettre de côté pour t’exalter à la vue de ce que tu as de bien ; de t’excuser pour l’accuser à la vue de ce qui est mal en toi c’est le moyen de le bénir réellement.

Rappelle-toi aussi qu’après t’avoir comblé d’abord de tant d’avantages, il doit venir à toi pour te demander compte de ses dons et de tes iniquités; déjà il considère comment tu as usé de ses grâces. Mais s’il t’a prévenu de ses dons, examine comment à ton tour tu préviendras sa face quand il arrivera. Ecoute le Psaume « Prévenons sa présence en le bénissant. — Prévenons sa présence» ; rendons-le-nous propice avant qu’il vienne; apaisons-le avant qu’il se montre. N’y a-t-il pas un prêtre qui puisse t’aider à apaiser ton Dieu? Et ce prêtre n’est-il pas en même temps Dieu avec son :Père et homme pour l’amour de toi? C’est ainsi que tu chanteras avec allégresse des psaumes à sa gloire, que tu préviendras sa présence en le bénissant. Chante donc : préviens sa présence par tes aveux, accuse-toi ; tressaille en chantant, loue-le. Si tu as soin de t’accuser ainsi et de louer Celui qui t’a fait, Celui qui est mort pour toi viendra bientôt et te donnera la vie.

Attachez-vous à cette doctrine, persévérez-y. Que nul ne change, ne devienne lépreux; car un enseignement qui varie, qui n’offre pas toujours le même aspect, est comme la lèpre de l’âme; et c’est de cette lèpre que le Christ nous guérit. Peut-être as-tu changé de quelque manière et, après y avoir regardé de plus près, adopté un sentiment meilleur: tu aurais dans ce cas rétabli l’harmonie. Mais ne t’attribue pas ce changement heureux; ce serait te mettre au nombre des neuf lépreux qui n’ont pas rendu grâces. Un seul vint remercier. Les premiers étaient des juifs, et celui-ci était un étranger ; il représentait les gentils et donna au Christ comme la dîme qui lui était due.

Il est donc bien vrai que nous sommes redevables au Christ de l’existence, de la vie, de l’intelligence; si nous sommes hommes, si nous nous conduisons bien, si nous avons l’esprit droit, c’est à lui encore que nous en sommes redevables. Nous n’avons, de nous, que le péché. Eh ! qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu (1) ? O vous donc, vous surtout qui comprenez ce langage, après avoir purifié votre coeur de toute lèpre spirituelle, placez-le haut, sursum cor, pour le guérir de toute infirmité, et rendez grâces à Dieu. »

Notes   [ + ]

1. I Cor. IX, 25.
2. Gen. XV, 5.
3. Rom. IV, 19.
4. Gen. XV, 6.
5. Heb. XI, 17-19.
6. Gen. XXII, 18.
7. Rom. IV, 17-18.
8. Matth. III, 9.
9. Rom. IV, 20.
10. Rom. IV, 12.
11. Ibid. 1, 17.
12. Ibid. IV, 23-24 ; Gal. III, 9.
13. Rom. IV, 20-21.
14. I Cor. VII, 31.
15, 43. Ibid.
16. Heb. XI, 1.
17. I Cor. VII, 32.
18. Gen XVII, 1.
19. II Petr. I, 19.
20. Gen. XV, 1.
21. Gal. III, 14.
22. Rom. IV, 24.
23. Gal. III, 28.
24. Luc. II, 14.
25. Gal. III, 29.
26. Ibid. IV. 5-7.
27. Ibid. III, 14.
28. Rom. VIII, 15-17.
29. Eph. II, 14-18.
30. Rom. VIII, 2.
31. Eph. III, 6.
32. Jean. VIII, 39.
33. Rom. IV, 11.
34. Luc XIII, 29.
35. Luc. XV, 28.
36. Ibid. XIII, 28.
37. Ibid. 3o.
38. Gen. XXVII, 36.
39. Gal. IV, 22-31.
40. Ibid. V, 1.
41. Ibid. II, 19-21.
42. Rup. De div. Off. XII, 13.
44. Matth XV, 24.
45. Gen. XXI, 12
46. Rom. IX, 6-8.
47, 51. I Tim. III, 16.
48. Gen. II, 7.
49. Bar. III, 38.
50. Luc. II, 52.
52. Eph. V, 3o-32.
53. Ibid. 1, 23.
54. Ibid. III, 10.
55. Jean. I, 4.
56. Col. I, 24 ; II, 19.
57. II Cor. IV, 10, 11.
58. Rom. XI, 28-29.
59. Ibid. 25-27.
60. Eph. II, 14.
61. Psalm. LXVI, 7.
62. Rom. XI, 15.
63. Matth. VIII, 3
64. Levit. XIII.
65. Isai. LXVI, 21-23.
66. Levit. XIV, 1-32.
67. Psalm. CI, 8.
68. Psalm. LXXXIII, 4.
69. Gal. III, 24.
70. Deut. V, 37 ; IX, 4-6.

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