Le professeur américain John Bruchalski, spécialisé en obstétrique, est passé du camp des pro-choice aux pro-life, à la faveur d’un texte rédigé par Jérôme Lejeune.
Malgré son air bonhomme, ce barbu de 57 ans, qui plaisante pendant l’interview avec son épouse, assise à côté de lui, assure qu’il était devenu, à un moment de sa vie, « un docteur dur et colérique ». Médecin brillant, il officiait au Jones Institute for Reproductive Medicine in Virginia où il était à la pointe des pratiques obstétriques et gynécologiques — ou du moins c’est ce qu’il croyait à l’époque, tempère-t-il. Il témoigne de son changement de perspective radical.
Aleteia : Quelle sorte de médecin étiez-vous ?
John Bruchalski : Le genre bosseur ! Mes études, puis le milieu dans lequel j’évoluais m’amenaient imperceptiblement à considérer le corps comme une machine qu’il fallait améliorer. L’avortement était un acte médical comme un autre, que nous préconisions à la moindre difficulté, au moindre risque de handicap.
Vous veniez pourtant d’une famille catholique ?
Une famille polonaise très pratiquante, effectivement, mais au fil de mes études de médecine, j’en étais venu à considérer mes parents comme des gens simples, dont les croyances dépassées n’avaient plus de lien avec ma réalité quotidienne. Je perdais ma foi petit à petit. L’éthique médicale, elle aussi, s’étiolait avec le temps. Je pratiquais des actes que je n’aurais jamais envisagé au début de ma carrière, comme des avortements tardifs. À force de manipuler des embryons, de les plier au désir des parents, nous les considérions comme un matériau. Pour leur dénier tout rapport avec l’humanité, nous les appelions des pré-embryons.
Étiez-vous satisfait de votre travail ?
Non. Je ne soignais pas les gens, je faisais ce qu’ils me disaient de faire. En tant que médecin, j’imaginais que mon travail sur les patientes les rendrait en meilleure santé, et plus heureuses. Or c’est l’inverse qui arrivait. Beaucoup d’entre elles déprimaient et cela avait des conséquences physiologiques. Certaines développaient des infections, d’autres prenaient du poids… Quant à moi, mon cœur s’endurcissait, j’étais froid. Mais j’avais envie de me sortir de cette situation et ce sentiment d’insatisfaction a préparé le terrain à ma conversion.
Un texte du professeur Lejeune a alors suffi à ébranler vos convictions ?
C’était en 1989, lors du procès de Maryville (Tennessee, États-Unis, ndlr). Un couple divorçait, et se disputait la propriété de sept embryons congelés. La justice devait déterminer ce qu’il convenait de faire des embryons. Le généticien français Jérôme Lejeune, docteur « honoris causa », membre et lauréat de nombreuses académies, donna son témoignage à cette occasion. Un témoignage que j’ai lu et qui m’a bouleversé. Son argumentation était strictement scientifique, et reposait sur l’ADN. L’ADN ne change pas avec le temps, nous avons le même à l’état de fœtus et d’homme adulte. Cette donnée nous contraint à considérer l’embryon comme une partie de notre famille. Le professeur Lejeune en venait à la conclusion que la vie humaine commence dès la conception d’un être humain. Par conséquent, un fœtus devrait être traité avec les mêmes égards qu’un homme adulte. Je me suis mis à questionner mes pratiques, et un beau jour je suis allé voir mon chef de service pour lui dire que je ne pouvais plus pratiquer d’avortement.
Vous avez ensuite fondé, en 1994, votre propre centre médical. En quoi les pratiques y sont-elles différentes de ce que vous aviez connu auparavant ?
Oui, il s’agit du Tepeyac Family Center à Fairfax, en Virginie. Nous recevons des femmes qui souhaitent poursuivre leur grossesse, même dans des situations compliquées. L’une d’entre elles, par exemple, avait perdu les eaux alors que sa grossesse n’était qu’à quatorze semaines. Son bébé faisait deux centimètres et tous les médecins qu’elle avait rencontrés lui conseillaient d’avorter. Nous l’avons pris en charge et en fin de compte sommes parvenus, avec elle, à ce qu’elle conserve son bébé jusqu’à 25 semaines. Son tout petit Jamie a ensuite été pris en charge comme bébé prématuré, et aujourd’hui c’est un garçon en bonne santé et sans séquelle, qui va à l’école. Ce sont ce genre d’histoires qui nous démontrent que notre façon d’aborder la médecine est efficace. Parfois, les patientes n’ont pas besoin de traitements compliqués mais d’être écoutées, de pratiquer un mode de vie sain pour retrouver leur fertilité. Il faut simplement une médecine qui prenne en compte toute la personne.
La Fondation Jérôme Lejeune et votre propre centre médical ont des pratiques assez similaires, comment l’expliquez-vous ?
Personne n’a copié sur personne, je vous l’assure ! Simplement, nous partageons la même vision du rôle du médecin et de la dignité de la personne humaine. Lorsque je suis venu visiter l’Institut Jérôme Lejeune, il y avait un docteur qui devait me recevoir pour un entretien, mais il a été assez en retard, parce qu’il devait prendre le temps d’annoncer un diagnostic difficile à un patient. Je me retrouve parfaitement dans ce genre d’attitude, le patient d’abord ! Il faut passer du temps avec lui, s’intéresser à la personne et pas seulement aux symptômes. Le professeur Lejeune avait une formule qui résumait les choses, haïr la maladie, aimer le patient. Cela correspond tout à fait à nos objectifs dans notre centre médical. Il est donc naturel que l’on ne se sente pas dépaysé quand on passe de l’un à l’autre !