Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel, tel que le suivaient nos aïeux), avec leur commentaire.
« La loi de charité et de miséricorde, rappelée par l’Évangile, est présentée dans son exigence absolue, comme la réplique nécessaire de la manière dont Dieu agit envers nous ; pardonnés par Dieu, sous peine d’être condamnés sans pitié, nous devons remettre toute dette et pardonner à nos frères.
L’apôtre s. Paul décrit au chrétien l’armure dont il doit se revêtir pour être à même de résister efficacement aux puissances du mal (Ép.). S’il s’arme ainsi de la force même de Dieu, à qui rien ne résiste, le chrétien peut se sentir en sécurité et d’avance se réjouir de la victoire (intr. et coll.) »
Dom G. Lefebvre
TEXTES AVEC COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER (dans l’Année liturgique – disponible ici avec ses autres livres) :
« Durand de Mende, dans son Rational, s’applique à montrer que ce Dimanche et ceux qui le suivent relèvent toujours de l’Évangile des noces divines, et n’en sont que le développement. « Parce que, dit-il pour aujourd’hui, ces noces n’ont point de plus grand ennemi que la jalousie de Satan contre l’homme, l’Église traite, en ce Dimanche, de la guerre contre Satan et de l’armure qu’il nous faut revêtir pour soutenir cette guerre, comme on le verra dans l’Épître. Et parce que le cilice et la cendre sont les armes de la pénitence, l’Église emprunte, dans l’Introït, la voix de Mardochée qui priait Dieu sous le cilice et la cendre [2]. »
Introït :
Tout est soumis à votre volonté, Seigneur, et nul ne peut lui résister, car vous avez tout créé, le ciel et la terre et toutes les choses qui sont comprises dans le cours des cieux ; vous êtes le Seigneur de l’univers.
Bienheureux ceux qui sont purs dans leurs voies, qui marchent dans la loi du Seigneur.
Les réflexions de l’évêque de Mende sont fondées. Mais, si la pensée de l’union divine qui se consommera bientôt ne quitte pas l’Église, c’est surtout néanmoins en s’oubliant elle-même, pour ne songer qu’aux hommes dont le salut lui a été confié par l’Époux, qu’elle se montrera véritablement Épouse dans les malheurs des derniers temps. Nous l’avons dit : l’approche du jugement final, l’état lamentable du monde dans les années qui précéderont immédiatement ce dénouement de l’histoire humaine, inspire et remplit maintenant la Liturgie. Aujourd’hui, la partie de la Messe qui frappait surtout nos pères était l’Offertoire tiré de Job, avec ses Versets aux exclamations si expressives, aux répétitions si instantes ; et l’on peut dire, en effet, que cet Offertoire donne bien le vrai sens qu’il convient d’attribuer au vingt et unième Dimanche après la Pentecôte.
Le monde, réduit, comme Job sur son fumier, à la misère la plus extrême, n’a plus rien à espérer que de Dieu seul. Les saints qu’il renferme encore, entrant pour lui dans les dispositions du juste de l’Idumée, honorent le Seigneur par une patience et une résignation qui n’enlèvent rien à la puissance et à l’ardeur de leurs supplications. C’est le sentiment qui met tout d’abord en leur bouche la prière sublime que Mardochée formulait pour son peuple condamné à une extermination absolue, figure de celle qui attend le genre humain [3].
Collecte :
Nous vous supplions, Seigneur, de garder votre famille par l’assistance continuelle de votre bonté, afin que, par votre protection, elle soit délivrée de toute adversité et qu’elle soit fervente dans la pratique des bonnes œuvres, pour la gloire de votre nom.
L’Église, dans la Collecte, montre assez que si elle est prête à subir les temps mauvais, elle préfère toutefois la paix, qui lui permet d’offrir librement au Seigneur le tribut de la confession simultanée par les œuvres et la louange. La dernière supplication de Mardochée, dans la prière dont l’Introït nous a donné les premiers mots, était pour cette liberté de la louange divine qui sera le dernier rempart du monde : « Que nous puissions chanter votre Nom, ô Seigneur ! Ne fermez pas les bouches de ceux qui vous louent [4] ».
ÉPÎTRE.
Lecture de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Éphésien :
Mes frères : Fortifiez-vous dans le Seigneur, et par sa vertu toute-puissante. Revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin que vous puissiez tenir ferme contre les embûches du diable. Car ce n’est pas contre la chair et le sang que nous avons à lutter, mais contre les principautés et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice des régions célestes. C’est pourquoi, recevez l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister dans le jour mauvais, et rester debout après avoir tout supporté. Tenez ferme, ayant vos reins ceints de la vérité, revêtus de la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de zèle pour l’évangile de la paix, prenant par-dessus tout le bouclier de la foi, au moyen duquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin. Prenez aussi le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu.
Les commencements de l’union divine sont, d’ordinaire, sous le charme d’une sérénité sans mélange. L’éternelle Sagesse qui, tout d’abord, a conduit l’homme par les épreuves laborieuses de la purification de l’esprit et des sens, le laisse, quand l’alliance est conclue, reposer sur son sein, et achève de se l’attacher par des délices enivrantes qui sont l’avant-goût des joies célestes. Il semble que, selon la prescription du Deutéronome [5], nulle guerre, nul souci, ne doivent troubler les premiers temps de cette union fortunée. Mais une telle exemption des charges publiques ne se prolonge jamais ; car la guerre est la condition de tout homme ici-bas [6].
Le Très-Haut se complaît dans la lutte ; il n’est point de nom qui lui soit plus souvent appliqué par les Prophètes que celui de Dieu des armées. Son Fils, qui est l’Époux, se présente à la terre comme le Seigneur puissant dans les combats [7]. L’épithalame sacré nous le montre ceignant l’épée [8], et se faisant jour par ses flèches aiguës au travers des ennemis [9], pour arriver dans la valeur et la victoire jusqu’à son Épouse [10]. Pareille à lui, cette Épouse dont il a convoité la beauté [11], qu’il veut associer à toutes ses gloires [12], s’avance au-devant de lui dans l’éclat d’une parure de guerre [13], entourée de chœurs chantant les hauts faits de l’Époux [14], terrible elle-même comme une armée rangée en bataille [15]. L’armure des forts charge ses bras et sa poitrine ; son cou rappelle la tour de David avec ses remparts et ses mille boucliers.
Dans les délices de son union avec l’Époux, les plus vaillants guerriers l’entourent. Leur titre à cet honneur est la sûreté de leur glaive et leur science des combats ; chacun d’eux a l’épée au côté, dans la crainte des surprises de la nuit [16]. Car d’ici que se lève le jour éternel, et que les ombres de la vie présente s’évanouissent [17] dans la lumière de l’Agneau pleinement vainqueur [18], la puissance est aux chefs de ce monde de ténèbres, nous dit saint Paul ; et c’est contre eux qu’il nous faut revêtir l’armure de Dieu dont il parle, si nous voulons être en mesure de résister, au jour mauvais.
Les jours mauvais, que signalait l’Apôtre Dimanche dernier déjà [19], sont nombreux dans la vie de chaque homme et dans l’histoire du monde. Mais, pour chaque homme et pour le monde, il est un jour mauvais entre tous : celui de la fin et du jugement, dont l’Église chante que le malheur et la misère en feront un jour grand d’amertume [20]. Les années ne sont données à l’homme, les siècles ne se suivent pour le monde, que dans le but de préparer le dernier jour. Heureux les combattants du bon combat et les vainqueurs en ce jour terrible [21], ceux qui, selon le mot du Docteur des nations, apparaîtront alors debout sur les ruines et parfaits en tout ! Ils ne connaîtront point la seconde mort [22] ; couronnés du diadème de la justice [23], ils régneront avec Dieu [24] sur le trône de son Verbe [25].
La guerre est facile avec l’Homme-Dieu pour chef. Il ne nous demande, par son Apôtre, que de chercher notre force en lui seul et dans la puissance de sa vertu. C’est appuyée sur son Bien-Aimé que l’Église monte du désert ; soutenue ainsi, elle afflue de délices dans les plus mauvais jours [26]. L’âme fidèle se sent émue d’amour à la pensée que les armes qu’elle porte sont celles mêmes de l’Époux. Ce n’est point en vain que les Prophètes nous l’avaient dépeint à l’avance ceignant le premier le baudrier de la foi [27], prenant le casque du salut [28], le bouclier, la cuirasse de justice [29], le glaive de l’esprit qui est la parole de Dieu [30] : l’Évangile nous l’a montré descendu dans la lice pour former les siens, par son exemple, au maniement de ces armes divines.
Armes multiples en raison de leurs multiples effets, et qui toutes cependant, offensives ou défensives, se résument dans la foi. Il est facile de le voir en lisant notre Épître, et c’est ce que notre chef divin a voulu nous apprendre, lorsqu’à la triple attaque dirigée contre lui sur la montagne de la Quarantaine, il se contenta de répondre en invoquant par trois fois l’Écriture [31]. La victoire qui triomphe du monde est celle de notre foi, dit saint Jean [32] ; c’est dans le combat de la foi que Paul, à la fin de sa carrière, résume les luttes de son existence [33] et de toute vie chrétienne [34]. C’est la foi qui, en dépit des conditions désavantageuses signalées par l’Apôtre, assure le triomphe aux hommes de bonne volonté. Si l’on devait, dans la lutte engagée, estimer les espérances de succès des parties adverses à la comparaison de leurs forces respectives, la présomption ne serait certes pas en notre faveur. Car ce n’est point à des êtres de chair et de sang comme nous le sommes, qu’il nous faut tenir tête, mais à des ennemis insaisissables, remplissant l’air et pourtant invisibles, intelligents et forts, connaissant à merveille les tristes secrets de notre pauvre nature déchue, et tournant tous leurs avantages contre l’homme à le tromper, pour le perdre en haine de Dieu. Créés à l’origine pour refléter dans la pureté d’une nature toute spirituelle l’éclat divin de leur auteur, ils montrent, accompli en eux par l’orgueil, ce hideux prodige de pures intelligences dévouées au mal et à la haine de la lumière.
Comment donc nous, qui déjà ne sommes par notre nature qu’obscurité, lutterons-nous avec ces puissances spirituelles mettant leur intelligence au service de la nuit ? « En devenant lumière », dit saint Jean Chrysostome [35]. La face du Père, il est vrai, ne doit point luire directement sur nous avant le grand jour de la révélation des fils de Dieu ; mais d’ici là, pour suppléer à notre cécité, nous avons la parole révélée [36]. Le baptême a ouvert l’ouïe en nous, quoique non encore les yeux ; Dieu parle par l’Écriture et son Église, et la foi nous donne une certitude aussi grande que si déjà nous voyions.
Par sa docilité d’enfant, le juste marche en paix dans la simplicité de l’Évangile. Mieux que le bouclier, mieux que le casque et la cuirasse, la foi le couvre contre les dangers ; elle émousse les traits des passions, et rend impuissantes les ruses ennemies. Point n’est besoin avec elle de subtils raisonnements ni de considérations prolongées : pour découvrir les sophismes de l’enfer ou prendre une décision dans un sens ou dans l’autre, ne suffit-il pas, en toute circonstance, de la parole de Dieu qui ne manque jamais ? Satan craint qui s’en contente. Il redoute plus un tel homme que toutes les académies ; il sait qu’en toute rencontre, il sera broyé sous ses pieds [37] avec une rapidité plus grande que celle de la foudre [38]. Ainsi, au jour du grand combat [39], fut-il précipité des cieux par un seul mot de Michel l’Archange, devenu, comme nous l’avons dit, notre modèle et notre défenseur en ces jours.
L’Église, dans le Graduel et le Verset, rappelle au Seigneur qu’il n’a jamais cessé d’être le refuge de son peuple ; sa bonté, comme sa puissance, est d’avant tous les âges, parce qu’il est Dieu dès l’éternité. Qu’il protège donc maintenant les siens réduits à préparer dans leur petit nombre, comme autrefois Israël, l’exode final de l’Église quittant pour la vraie terre promise ce monde redevenu infidèle.
Graduel :
Seigneur, vous vous êtes fait notre refuge de génération en génération.
V./ Avant que les montagnes fussent créées, avant que la terre fût formée et sa sphère, au début des siècles et jusque dans tous les siècles, vous êtes Dieu.
Alléluia, alleluia. V./ Lorsque Israël sortit d’Egypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare. Alléluia.
ÉVANGILE.
Lecture du Saint Evangile selon saint Mathieu :
En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples cette parabole : Le royaume des cieux est semblable à un roi, qui voulut faire rendre leurs comptes à ses serviteurs. Et lorsqu’il eut commencé à faire rendre compte, on lui en présenta un qui lui devait dix mille talents. Mais, comme il n’avait pas de quoi les rendre, son maître ordonna qu’on le vendît, lui, sa femme et ses enfants, et tout ce qu’il avait, pour acquitter la dette. Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le priait, en disant : Ayez patience envers moi, et je vous rendrai tout. Touché de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller, et lui remit sa dette. Mais ce serviteur, étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers ; et le saisissant, il l’étouffait, en disant : Rends-moi ce que tu me dois. Et son compagnon, se jetant à ses pieds, le priait, en disant : Aie patience envers moi, et je te rendrai tout. Mais il ne voulut pas ; et il s’en alla, et le fit mettre en prison, jusqu’à ce qu’il lui rendît ce qu’il devait. Les autres serviteurs, ayant vu ce qui était arrivé, en furent vivement attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors son maître le fit appeler, et lui dit : Méchant serviteur, je t’ai remis toute ta dette, parce que tu m’en avais prié ; ne fallait-il donc pas avoir pitié, toi aussi, de ton compagnon, comme j’avais eu pitié de toi ? Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il payât tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur.
« Juge vengeur et juste, accordez-nous remise avant le jour des comptes [40] ! » C’est le cri qui s’échappe du cœur de l’Église en ces jours, lorsqu’elle songe au sort de ses innombrables fils moissonnés chaque année par la mort ; c’est la supplication qui doit s’élever de toute âme vivante, à la lecture de l’Évangile que nous venons d’entendre. La Prose des morts, d’où est tirée cette exclamation poignante, n’est point seulement une prière sublime pour les trépassés ; elle est également, dans cette partie du Cycle, l’expression de l’attente de nous tous qui vivons encore, qui semblons abandonnés, oubliés sur le soir des siècles, et pourtant ne préviendrons point au pied du redoutable tribunal ceux qui dorment déjà du grand sommeil [41].
« Combien grande sera la terreur, dit la sainte Mère Église, quand le juge viendra pour tout scruter rigoureusement ! La trompette éclatante, retentissant par les sépulcres de l’univers, rassemblera tous les humains devant le trône. La mort et la nature seront dans la stupeur, lorsque ressuscitera la créature pour répondre à son juge. On produira le livre écrit renfermant tout l’objet du jugement du monde. Quand donc s’assiéra le juge, tout ce qui se cache apparaîtra, rien ne demeurera sans vengeance. Que dirai-je alors, malheureux ? Quel défenseur implorerai-je, quand à peine rassuré sera le juste ? Roi de majesté redoutable, qui sauvez gratuitement ceux qui doivent l’être, sauvez-moi, source de miséricorde. Souvenez-vous, ô doux Jésus, que je suis la cause de votre venue : ne me perdez pas en ce jour [42] ! »
Sans nul doute, une telle prière a toute chance d’être exaucée, lorsqu’elle s’adresse ainsi à celui qui n’a rien plus à cœur que notre salut, et qui, pour l’obtenir, s’est dévoué aux fatigues, aux tourments, à la mort de la croix. Mais nous serions inexcusables et mériterions doublement la condamnation, en ne profitant pas des avis qu’il nous donne lui-même, pour parer d’avance aux angoisses de « ce jour de larmes où l’homme coupable se lèvera de sa cendre pour être jugé [43]. » Méditons donc la parabole de notre Évangile, qui n’a d’autre but que de nous enseigner un moyen sûr d’apurer dès maintenant nos comptes avec le Roi éternel.
Nous sommes tous, a le bien prendre, ce serviteur négligent, débiteur insolvable, que son maître est en droit de vendre avec tout ce qu’il possède et de livrer aux bourreaux. La dette contractée par nos fautes envers la Majesté souveraine est de telle nature qu’elle requiert, en toute justice, des tourments sans fin, et suppose un enfer éternel où, payant sans cesse, l’homme pourtant ne s’acquitte jamais. Louange donc et reconnaissance infinie au divin créancier ! touché par les prières du malheureux qui le supplie de lui donner le temps de s’acquitter, il va plus loin que sa demande et lui remet dès l’instant toute sa dette. Mais c’est à la condition pour le serviteur, la suite le fait bien voir et la clause est trop juste, d’en user avec ses compagnons comme son maître l’a fait avec lui. Exaucé si grandement par son Seigneur et Roi, délivré gratuitement d’une dette infinie, pourrait-il rejeter, venant d’un égal, cette même prière qui l’a sauvé, et se montrer impitoyable au sujet des obligations contractées envers lui ?
« Tout homme sans doute, dit saint Augustin, a son frère pour débiteur ; car quel est l’homme qui n’ait jamais été offensé par personne ? Mais quel est l’homme aussi qui ne soit le débiteur de Dieu, puisque tous ont péché ? L’homme est donc à la fois débiteur de Dieu, créancier de son frère. C’est pourquoi le Dieu juste t’a posé cette règle d’en agir avec ton débiteur comme il le fait avec le sien… [44]. Tous les jours nous prions, tous les jours nous faisons monter la même supplication aux oreilles divines, tous les jours nous nous prosternons pour dire : Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à nos débiteurs [45]. De quelles dettes parles-tu ? de toutes tes dettes, ou seulement d’une partie ? Tu vas dire : De toutes. Remets donc tout toi-même à ton débiteur, puisque c’est la règle posée, la condition acceptée [46]. » « Il est plus grand, dit saint Jean Chrysostome, de remettre au prochain ses torts envers nous qu’une dette d’argent ; car, en lui remettant ses péchés, nous imitons Dieu [47]. » Et qu’est donc, après tout, le tort de l’homme envers l’homme, comparé à l’offense de l’homme envers Dieu ? Cependant, hélas ! celle-ci nous est familière : le juste la connaît sept fois le jour [48] ; plus ou moins donc, elle remplit nos journées. Qu’au moins l’assurance d’être pardonnés chaque soir à la seule condition du désaveu de nos misères, nous rende accessibles à la miséricorde pour autrui. C’est une sainte habitude que celle de ne regagner sa couche qu’à la condition de pouvoir s’endormir sur le sein de Dieu, comme l’enfant d’un jour ; mais si nous éprouvons l’heureux besoin de ne trouver à la fin de nos journées, dans le cœur du Père qui est aux cieux [49], qu’oubli de nos fautes et tendresse infinie, comment prétendre garder en même temps dans notre cœur à nous de fâcheux souvenirs ou des rancunes, petites ou grandes, contre nos frères qui sont aussi ses fils ? Lors même que nous aurions été de leur part l’objet d’injustes violences ou d’atroces injures, leurs fautes contre nous égaleront-elles jamais nos attentats contre ce Dieu très bon dont nous sommes nés les ennemis, dont nous avons causé la mort ? Il n’est donc point de circonstance où ne s’applique la règle de l’Apôtre : Soyez miséricordieux, pardonnez-vous mutuellement comme Dieu vous a pardonné dans le Christ ; soyez les imitateurs de Dieu comme ses fils très chers [50]. Tu appelles Dieu ton Père, et tu gardes mémoire d’une injure ! « Ce n’est pas là le fait d’un fils de Dieu », dit encore admirablement saint Jean Chrysostome ; « l’œuvre d’un fils de Dieu, c’est de pardonner à ses ennemis, de prier pour ceux qui le crucifient, de répandre son sang pour ceux qui le haïssent. Voilà qui est digne d’un fils de Dieu ; les ennemis, les ingrats, les voleurs, les impudents, les traîtres, en faire ses frères et ses cohéritiers [51] ! ».
Nous donnons ici en son entier le célèbre Offertoire de Job, avec ses Versets. Ce que nous avons dit, au commencement de ce Dimanche, aidera à le faire comprendre. L’Antienne, seule conservée aujourd’hui, nous représente, dit Amalaire, les paroles de l’historien qui raconte simplement les faits, et elle se poursuit à cause de cela directement ; tandis que Job lui-même, le corps épuisé, l’âme remplie d’amertume, est mis en scène dans les Versets : leurs répétitions, leurs suspensions, leurs reprises, leurs phrases inachevées, expriment au vif son souffle haletant et sa douleur [52].
R/. Il y avait un homme dans la terre de Hus, simple et droit, et craignant Dieu, que Satan demanda de tenter ; et puissance lui fut donnée sur ses biens et sur sa chair ; et il fît périr tout ce qui lui appartenait et ses enfants, et il frappa sa chair d’une plaie funeste.
V/. I. Plût à Dieu que l’on pesât mes péchés, plût à Dieu que l’on pesât mes péchés par lesquels j’ai mérité la colère, par lesquels j’ai mérité la colère, et les maux, et les maux que je souffre : ceux-ci apparaîtraient plus grands !
R/. Il y avait un homme.
V/. II. Car quelle est, car quelle est, car quelle est ma force pour les porter ? ou quand sera ma fin, pour agir en patience ?
R/. Il y avait un homme.
V/. III. Est-ce que ma force est celle des rochers ? ou ma chair est-elle d’airain ? ou ma chair est-elle d’airain ?
R/. Il y avait un homme.
V/. IV. Parce que, parce que, parce que mon œil ne se retrouvera plus à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur, à voir le bonheur.
R/. Il y avait un homme.
Le salut du monde, comme celui de l’homme, est toujours en puissance dans l’auguste Sacrifice, dont la vertu guérit la terre en apaisant le ciel. Offrons-le, sans nous décourager jamais, comme un recours souverain à la divine miséricorde.
Secrète :
Recevez favorablement, Seigneur, ces hosties au moyen desquelles vous avez voulu, dans votre puissante bonté, que votre justice fût apaisée et que le salut nous fût rendu.
Une espérance indéfectible va de pair, au fond de l’âme de la sainte Église, avec son admirable patience. Les persécutions ont beau redoubler contre elle, sa prière ne défaille pas ; car, ainsi que l’exprime la Communion, elle garde fidèle mémoire en son cœur de la parole de salut qui lui fut donnée.
Communion :
Mon âme a été dans l’attente de votre salut, j’ai espéré en votre parole ; quand ferez-vous le jugement de ceux qui me persécutent ? Des hommes iniques m’ont persécuté ; aidez-moi, Seigneur, mon Dieu.
En possession de l’aliment d’immortalité, obtenons d’en vivre dans la sincérité d’une âme purifiée.
Postcommunion :
Ayant reçu l’aliment de l’immortalité, nous vous supplions, Seigneur, de faire que nous conservions dans un coeur pur ce que notre bouche a reçu. »