Acculé par les preuves présentées à la cour, Balkany tente une ultime pirouette pour justifier ses magouilles, celle du sort de son père juif de Hongrie déporté pendant la seconde guerre mondiale.
Le journaliste de France Info essaye visblement de tirer la larme au lecteur : « « J’ai l’impression qu’à défaut de faire mon procès, on fait le procès des juifs qui, après la Libération, ont pris leurs dispositions. » Patrick Balkanyprononce cette phrase d’un trait. Puis s’arrête, le souffle court. Sa voix grave résonne encore. Quelques murmures parcourent la salle. Le maire LR de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) demande une suspension d’audience. Souhait accordé. Le prévenu se retourne et boit quelques gorgées d’eau. Jugé devant le tribunal correctionnel de Paris depuis dix jours, notamment pour « blanchiment de fraude fiscale aggravé et corruption », il termine ainsi, jeudi 23 mai, une longue tirade dans laquelle il a évoqué l’argent mis à l’abri en Suisse par son père – un juif hongrois déporté –, l’Occupation et l’antisémitisme sur les réseaux sociaux.
Pourtant, ce n’est pas sur ce terrain que l’audience a débuté, mais sur celui de la propriété à Giverny (Eure), que les Balkany ont achetée le 21 mai 1986 pour 1,8 million de francs. Si la justice s’intéresse à cette bâtisse, c’est parce que, peu après son achat, Patrick Balkany a rapatrié des sommes importantes de Suisse. « Monsieur Balkany, pouvez-vous retracer les conditions dans lesquelles vous l’avez acquise ? » interroge Benjamin Blanchet, le président de la 32e chambre. Patrick Balkany, vêtu d’un complet bleu agrémenté d’une cravate framboise, se lève. « Cette propriété appartenait à un couturier qui s’est tué à cheval. Sa veuve a voulu vendre sa maison, mais nous avons dû attendre au moins deux ans, si ce n’est plus, avant de pouvoir signer. Je crois même avoir visité la maison avant d’être élu maire », répond le premier édile de Levallois. Qui dément ensuite avoir mené des travaux colossaux, ainsi que toute corruption.
« Vous voyez, ce n’est pas un château »
Pour que tout un chacun ait un aperçu des lieux, le président Benjamin Blanchet annonce la projection de photos. « C’est vraiment une violation de la vie privée, monsieur le président », s’insurge Patrick Balkany. Qu’importe, la lumière baisse et l’écran de projection s’éclaire. Des photos insérées dans un document Word sont projetées. On y voit une piscine recouverte d’une bâche et bordée de grands arbres. Le ciel est gris, il pleut. Sur d’autres clichés apparaissent le petit pont de bois, le vaste portail, les murs à colombages du moulin. Et enfin, l’entrée principale, encadrée par deux statues de lions. L’écran s’éteint, les lumières se rallument. « Vous voyez, ce n’est pas un château », glisse Patrick Balkany depuis le banc des prévenus.
Changement de décor : on part sur l’île de Saint-Martin, aux Antilles, pour se plonger dans le dossier de la villa Serena. Patrick Balkany a acheté un terrain en 1989, sur lequel il a fait construire ce palace aux murs blancs. La villa a ensuite été revendue, en 2002, pour un montant de 3,5 millions de dollars (3,13 millions d’euros). Patrick Balkany est soupçonné d’en avoir caché l’existence et la cession grâce à des comptes offshore. Sur ce point, le président Benjamin Blanchet se fait plus pressant. Et Patrick Balkany s’énerve, estime qu’on lui repose des questions sur des faits qui ont abouti à un non-lieu dans une autre procédure.
– « Je suis moins bien traité qu’un meurtrier.
– C’est ce que vous pensez ?
– Oui, monsieur le président. »
Une société immatriculée au Liechtenstein
Le maire de Levallois hausse le ton. « On a toujours investi en France, l’administration fiscale faisait son travail et quand on dit que j’ai floué le fisc, je ne le pense pas. Cet argent provenait de mon père à l’étranger », martèle-t-il. Car Patrick Balkany a acheté le terrain via une société immatriculée au Liechtenstein, Belec, constituée par une fiduciaire suisse qui gérait la fortune – placée sur des comptes suisses – dont Patrick Balkany avait hérité de son père. « C’est un jeu de pistes », reconnaît le maire de Levallois, qui assure ne « jamais » être « allé au Liechtenstein ».
– « Les Suisses voulaient brouiller les pistes.
– Mais pourquoi ?
– Je n’en sais rien, monsieur. Parce que c’est leur métier, parce que ces gens-là vivent dans le secret… »
Et d’ajouter : « Je ne veux pas être le bouc émissaire », à la place de « tous les Français qui ont ou ont eu un compte en Suisse », « car beaucoup ont eu des avoirs par leurs parents, pendant la guerre ».
Si les familles juives de France se méfiaient, elles ont eu des bonnes raisons. Tous ceux qui ont été déportés au Vel’ d’Hiv’ avaient de quoi se méfier. Et malheureusement, je m’aperçois, avec les gracieusetés reçues sur les réseaux sociaux, que l’antisémitisme n’a pas disparu.devant le tribunal correctionnel de Paris
D’un calme à toute épreuve, le président Benjamin Blanchet poursuit son interrogatoire. « Acceptez-vous la qualité de fraudeur fiscal au regard de la loi ? » « Il y a deux qualités de fraudeur fiscal, celui qui fraude sciemment, qui a détourné de l’argent pour l’envoyer à l’étranger. Et celui qui a hérité d’argent à l’étranger et qui le fait revenir, ce qui a été mon cas lors de l’amnistie fiscale décidée par Edouard Balladur [en 1986]« , répond, agacé, Patrick Balkany. Il dit avoir craint de signaler à l’administration le rapatriement de ses avoirs à l’étranger : « Sachant qu’il n’y avait plus de secret, ça aurait été lu, écrit, su par tout le monde, et ça m’aurait porté un grand préjudice. »
Le prévenu est sur une pente glissante, mais plus rien ne semble pouvoir l’arrêter. « Le fisc et l’Etat français n’ont pas été spoliés. Et je sais ce que toute la communauté a connu en matière de spoliation », ajoute-t-il, évoquant les œuvres d’art confisquées aux juifs sous l’Occupation.
L’ambiance est plus apaisée après la suspension d’audience. Mais Patrick Balkany parle encore de son père, cet homme « qui s’est battu pour la France, a été déporté, considéré comme un véritable héros ». Qui a fini sa vie avec la maladie d’Alzheimer. Qui est mort « d’une septicémie en trois jours ». A qui, aujourd’hui, on fait « un mauvais procès car il avait gardé de l’argent à l’étranger ».
C’est pourtant bien Patrick Balkany qui est jugé devant le tribunal correctionnel, et non son père. Le prévenu semble s’en souvenir en fin d’audience, quand le procureur lui demande pourquoi il n’a pas « profité du moment du rapatriement de son argent de Suisse » et de l’amnistie fiscale de 1986 pour régulariser sa situation. « J’ai eu tort », reconnaît-il.
J’aurais peut-être arrêté la politique, je serais resté dans mon métier d’origine, ça aurait été peut-être mieux pour moi. Je ne me serais pas retrouvé devant vous aujourd’hui.devant le tribunal correctionnel de Paris
L’audience reprendra lundi 27 mai. Au programme, la villa Pamplemousse aux Antilles, puis le ryad à Marrakech, que le couple Balkany affirme avoir loué, et non acheté. Le procès doit se poursuivre jusqu’au 20 juin. »