Editorial de Jérôme Bourbon dans Rivarol :
« Il Y A UN DEMI-SIÈCLE jour pour jour, le jeudi 5 octobre 1972, naissait à Paris en soirée à la salle des Horticulteurs le Front national pour l’unité française, le FNUF. Son premier président et fondateur, Jean-Marie Le Pen, avait alors 44 ans. Après la perte de l’Algérie en juillet 1962 et la violente et impitoyable répression gaulliste contre l’OAS, la droite nationale, qui avait cru pouvoir renaître de ses cendres avec la campagne présidentielle de l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965, connaît une longue traversée du désert. Le résultat de Tixier le 5 décembre 1965 (5,20 %), sans être catastrophique, est jugé très insuffisant, le centriste Jean Lecanuet, le candidat aux dents blanches, lui ayant pris un grand nombre de voix lors de la dernière ligne droite de la campagne. La déception entraîne immanquablement des divisions (notamment entre Tixier et Le Pen qui était le secrétaire général des comités TV et le directeur de la campagne présidentielle) et une démobilisation durable des troupes qui s’éparpillent. Si d’autres mouvements se créent (Occident en 1964, puis l’Œuvre française début 1968), ils ne jouent pas la voie électorale. C’est la direction d’Ordre nouveau, mouvement fondé par de jeunes étudiants en 1969, et dont le signe de ralliement est la croix celtique, comme les deux groupements précités, qui décide pour s’élargir et s’assagir de créer un Front national et qui propose à Jean-Marie Le Pen, qui accepte, d’en prendre la présidence, après avoir consulté plusieurs personnalités (dont Dominique Venner) qui, elles, déclinent l’offre.
C’est le genèse de ce mouvement, mais aussi les positions politiques et programmatiques qui furent les siennes pendant plusieurs décennies que Marine Le Pen et ses proches ne veulent pas assumer. C’est pourquoi il n’y a pas de célébration solennelle des 50 ans du Front national, devenu depuis 2018, le Rassemblement national. Et pourtant un demi-siècle, dans la vie d’une organisation comme dans celle d’un homme, ce n’est pas rien. Le parti aujourd’hui présidé par Jordan Bardella, lequel sera très probablement élu fort confortablement face à Louis Aliot à la présidence du RN le 5 novembre prochain, lors du XVIIIe congrès du mouvement (en réalité le troisième du RN), se contente en effet d’organiser un colloque pour célébrer a minima cet anniversaire tout en restant extrêmement discret (c’est le moins qu’on puisse dire) sur son passé. Cette réunion nommée sobrement « De l’espoir au pouvoir » aura lieu ce jeudi 6 octobre dans la salle Victor-Hugo de l’Assemblée nationale. Cet événement verra se succéder différentes prises de parole pendant environ trois heures, sera entièrement diffusé sur les réseaux sociaux en direct et sera conclu sans surprise par une intervention de Marine Le Pen.
SIGNE QUE les dirigeants du mouvement ont largement rompu avec l’être historique du FN, en ont tué l’âme et renié les fondamentaux, le fondateur et l’ADN du mouvement, Jean-Marie Le Pen, n’est pas convié à ce colloque, fût-ce en tant que simple spectateur, bien qu’il soit toujours en vie et en santé à 94 ans, qu’il ait soutenu activement sa fille (bien à tort) lors de sa succession, qui était en fait une donation, et qu’il continue à en dire régulièrement du bien malgré toutes les reptations et les trahisons de sa benjamine. Le Menhir est donc bien mal récompensé, même si d’aucuns diront qu’il ne récolte là que la monnaie de sa pièce. Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen, s’en explique dans Le Parisien avec la finesse d’esprit qui le caractérise : « Va-t-on instruire notre propre procès ? Non, on n’est pas maso, d’autres le feront pour nous. Les dérapages de Le Pen, on les a déjà condamnés. Même sur l’Europe, nous avons infléchi notre position », considère élégamment l’eurodéputé mariniste dans Le Parisien. Ce que Philippe Olivier appelle pudiquement infléchir sa position n’est rien d’autre que renier le combat pour l’indépendance et la souveraineté de la France, notamment sur le plan monétaire, mais aussi sur le plan de la gestion des frontières nationales, sur le refus d’une Europe supranationale imposant sa banque centrale, ses cours de justice, ses directives et ses règlements, ses commissaires et ses juges. Quant aux prétendus dérapages de Le Pen, condamnés par la direction du RN, cela signifie tout simplement que le parti se soumet à la doxa, au politiquement et à l’historiquement correct, bref qu’il avalise sans honneur les mensonges des puissants.
Ce que Marine Le Pen appelle depuis vingt ans la dédiabolisation n’est en réalité que la soumission intégrale au lobby judéo-sioniste, à ses mots d’ordre, à ses desiderata, à ses tabous, à ses interdits. Cela passe par la condamnation sans nuance du révisionnisme historique, de la résistance palestinienne, par la justification des persécutions et de l’embastillement des révisionnistes et des nationalistes, par l’approbation du « droit à l’avortement » et de sa constitutionnalisation, par l’acceptation de toutes les revendications du lobby LGBT, du “mariage” pour les invertis jusqu’à la PMA pour les lesbiennes en passant par la « transition de genre » pour le enfants et adolescents et pour toutes les personnes désireuses de “changer” de sexe, par le feu vert donné à la dépénalisation de l’euthanasie active et du suicide assisté, par le rejet de toute politique, même partielle, de réémigration, par la totale renonciation au rétablissement de la peine capitale, à l’inversion des flux migratoires, à une politique de défense de la vie de la conception à la mort, de la morale naturelle et de la famille traditionnelle.
AUCUN sujet clivant, nous assure-t-on, (et sur ce point on les croit volontiers) ne sera abordé lors de cette réunion du 6 octobre au Palais-Bourbon (le lieu choisi en dit long également sur le strict légalisme et le parlementarisme petit-bourgeois des dirigeants du RN, on est loin du Mont Saint-Michel et de la statue de Jeanne d’Arc place des Pyramides !), « l’objectif du colloque est de montrer en dynamique ce que le mouvement national a apporté », poursuit Philippe Olivier qui assurera la première conférence et dont on connaît l’intelligence himalayenne. Le deuxième intervenant sera Gilles Pennelle, en lice pour devenir secrétaire général du parti, et qui est lui aussi, comme Philippe Olivier, un ancien mégrétiste. La troisième conférence sera assurée par Bruno Gollnisch (que diable va-t-il faire dans cette galère ?) qui tâchera de démontrer que « le FN/RN a toujours été un parti républicain ». Ce dont on ne le félicitera pas quand on sait que la République en France a toujours été judéo-maçonnique, antichrétienne, antireligieuse et antinaturelle.
Le samedi 22 octobre, Jean-Marie Le Pen organise, de son côté, un cocktail avec une cinquantaine d’invités à Montretout. « Il verra des gens qui ont vraiment participé à la longue marche », explique son entourage au Parisien. « Sans être blessé (on n’est nullement obligé de le croire sur ce point), Jean-Marie Le Pen voit une contradiction à organiser un tel colloque sans lui », affirme-t-on. Le fondateur et premier président du FN avait initialement songé à accueillir plusieurs centaines de personnes dans sa propriété de Montretout sur les hauteurs de Saint-Cloud pour célébrer le demi-siècle du FN mais, devant l’afflux des inscriptions, et peut-être aussi à cause des fortes dépenses que cet événement allait occasionner, il a finalement préféré n’inviter qu’une cinquantaine de personnalités triées sur le volet. Il a même convié sa fille Marine et sa petite-fille Marion mais on peut douter fortement que l’une et l’autre se rendent à cette soirée au vu de leurs relations compliquées avec le patriarche. En revanche, le fidèle Bruno Gollnisch sera là et peut-être, qui sait, quelques cofondateurs du FN encore en vie comme le nonagénaire Jean-Pierre Reveau, ancien trésorier national du FN ou l’octogénaire Martine Lehideux, ex-député européen du mouvement.
SI LE RN se montre manifestement très discret sur ses racines qu’il juge aujourd’hui sulfureuses et embarrassantes mais dont il profite électoralement et financièrement à plein — car que serait-il sans tous les combats courageux menés depuis des décennies par des militants désintéressés dont huit ont été tués, plusieurs jetés en prison et dont beaucoup ont perdu leur travail ou brisé leur famille à cause de leurs convictions politiques et de leur engagement militant sincère ? —, le parti de la majorité se charge en revanche de ne pas les passer sous silence. Le parti présidentiel Renaissance a ainsi lancé le samedi 1er octobre une campagne numérique sur les 50 ans « de haine » (quelle originalité !) du Rassemblement national jugeant son histoire “partagée” avec celle du Front national.
Cette campagne, qui doit durer un mois, diffusera plusieurs slogans et images d’archives avec le hashtag « #50AnsdeHaine ». Nul doute que les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur le point de détail (en 1987), sur Durafour crématoire (en 1988), sur l’internationale juive (en 1989) ou sur l’inégalité des races (en 1996) passeront en boucle. Les dirigeants du RN ont beau avoir tout renié, tout liquidé, tout jeté aux orties, on ne se débarrasse pas aisément de la tunique de Nessus ! »