Il est certain que L’État Islamique recule actuellement sur tous les fronts (même à l’ouest de Tadmor). Si le Chef d’État Major fait penser que la situation est bien en main, sur le terrain, il ne faut pas oublier que L’EI a toujours été imprévisible.
« Nous sommes entrés depuis quelques jours dans la deuxième phase de la stratégie de la coalition, qui est celle du démantèlement ». C’est une petite phrase, prononcée par le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (Cema), lors de son audition par les députés de la commission de la défense, le 25 novembre dernier. «Deuxième phase» ? Au-delà du décompte quotidien des bombes larguées par les avions français en Syrie et en Irak, il est important de comprendre de quoi il s’agit, d’autant qu’il y a eu, jusqu’à présent, peu d’expression publique sur ce sujet. Nous sommes aujourd’hui en mesure d’apporter des précisions sur la manière dont la stratégie militaire est pensée par les chefs militaires de coalition.
Depuis quand est-on dans cette « deuxième phase de la stratégie » ?
Fin novembre, le Cema répondait aux députés « depuis quelques jours ». C’est en réalité un peu plus que cela. « Depuis l’été. Cela a été acté par la coalition au mois d’aout», confie une source proche du dossier. Au plan pratique, c’est le Centcom (commandement américain pour le Moyen-Orient) qui est l’état-major concerné par cette planification de la campagne contre Daech. «Des critères secrets ont été fixés et on évalue les résultats du plan de campagne au fur et à mesure de son déroulement. Ces critères sont passés au vert petit à petit ». La bascule vers la deuxième phase aurait été « entérinée » en septembre, au niveau des chefs d’états-majors – dont le cema français – au cours d’une réunion qui n’a pas été rendu publique. Le passage d’une phase à l’autre s’apparente à un tuilage « sans rupture brutale » avec la précédente, mais « nous sommes dans un cadencement plutôt favorable ».
En quoi consistent ces phases ?
La première, qui avait débuté en juin 2014, consistait à « arrêter, bloquer, mettre fin à la progression» en Irak puis en Syrie, de Daech, explique une source militaire. La deuxième est celle du « démantèlement » de Daech, explique le Cema. « Il s’agit d’affaiblir et de désorganiser » l’ennemi, précise la source militaire, qui use d’une image : « On travaille la viande pour l’attendrir»… Cette phrase des opérations est traditionnellement « la plus longue ». Quant à la troisième et dernière phase, la définition exacte de son objectif stratégique n’est pas publique, même si l’on comprend qu’il s’agit de la reconquête du terrain et du « coup de grâce ».
Quelle est la situation actuelle sur le terrain, selon la coalition ?
Il faut distinguer le théâtre irakien, différent de la situation syrienne, mais les états-majors estiment que Daech « est sur le reculoir », surtout en Irak. Dans ce pays, Daech a été chassé de Tikrit, Baïji et Sinjar. Cette dernière victoire, sur un axe important, a permis de rendre la logistique de Daech plus compliquée entre Raqqa et Mossoul, ces deux « capitales ». Désormais, l’affaire se joue à Ramadi : les forces de sécurité irakiennes ont encerclé la ville et « entrent dans les faubourgs ». En Irak, Daech a perdu l’initiative. En Syrie, Daech est « sous pression sur ces marges (territoriales) et sur ses centres de pouvoir, de commandement, d’entraînement, de financement ». Alors que l’attention a été beaucoup focalisée, notamment par le pouvoir politique, sur la ville de Raqqa, les militaires relativisent l’enjeu : « Raqqa n’est pas l’alpha et l’oméga. Il faut procéder à une analyse de l’adversaire pour l’affaiblir avant de le détruire ».
Combien de temps pourrait durer cette deuxième phase ?
La coalition s’inscrit dans « un temps long ». La première, celle du containment, a duré plus d’un an et une source militaire explique que la nouvelle phase des opérations (« démantèlement ») est traditionnellement « la plus longue » des trois. On serait donc parti pour des années… D’autant que la stratégie mise en œuvre n’est pas que militaire. Ses aspects politiques et diplomatiques sont au moins aussi importants. «On ne peut pas réduire la stratégie au nombre de bombes larguées. Les aspects cinétiques ne résume la Grande Stratégie de la coalition » s’agace-t-on dans les armées.
Qu’en est-il d’opérations au sol ?
Il est trop tôt, politiquement et diplomatiquement, pour le savoir sur le théâtre syrien. En revanche, en Irak, la coalition a désormais « des forces capables d’agir ». Il s’agit d’Irakiens : 15 000 soldats (y compris les Kurdes) ont été formés par la coalition depuis plus d’un an. «Il s’agissait également de redonner une cohérence à l’armée irakienne qui avait été désarticulée par la surprise stratégique qu’a été l’offensive de Daech ».
Un exemple de cette formation : la lutte contre les IED (engins explosifs improvisés) dont les combattants de l’Etat Islamique font un large usage lorsqu’ils se retirent d’un secteur, laissant derrière eux « un terrain pourri », selon un militaire. Les Français forment ainsi des « formateurs » irakiens dans ce domaine. Les spécialistes irakiens peuvent ainsi quitter les écoles où ils enseignent pour être engagés sur le terrain. Un travail de longue haleine.
Source : Secret Défense