Le colonel Allaire avait contribué à l’excellent ouvrage collectif Mémoires d’Empire, chroniques de l’empire colonial français. |
Voici l’hommage d’un dessinateur non gauchiste, qui retrace bien l’homme :
« Dans les années 70, un jeune officier très embêté téléphone à une dame qui fait sa cuisine. Très embêté car il vient lui annoncer le décès probable de son commandant de mari qui s’est crashé en hélicoptère dans la jungle malgache avec un autre gars. Pas bon.
La dame reste très calme tandis qu’elle pose ses ustensiles de cuisine et dit au jeune type : « Oh, il reviendra. Il revient toujours. »
Et en effet, il est revenu. Les habits déchirés et cramés, mais il est sorti de la verte, vivant.
Ce monsieur, c’est Jacques Allaire. Un petit Parigot très pauvre, d’origine bretonne. Il naît avec une patte folle qui lui vaudra le surnom de « jambe de laine ».
Quand la guerre arrive, c’est l’exode et il part en Sarthe où il travaille en usine et à la ferme. Il revient à Paris, bosse en librairie (lire a toujours été sa passion) puis retourne en Sarthe. Ne trouvant pas de réseau de résistance (j’ai appris récemment que les réseaux avaient été bien décapités en Sarthe. Lui pensait que c’est parce qu’il n’avait pas de relation dans les milieux bourgeois – comme Hélie de Saint Marc – ou politisés, comme les communistes), il résiste tout seul et sabote à son humble niveau un aérodrome boche en construction en leur volant leurs outils. Quand les Amerloques arrivent, il en profite pour rejoindre les FFI qui sortent de partout. Il n’est pas dupe et sait que la plupart – essentiellement des communistes – n’ont rien fait de la guerre mais c’est le moment de chercher les honneurs (et de prendre le contrôle du pays). Néanmoins, il se dit qu’ainsi, il va pouvoir rejoindre l’armée, notamment Leclerc qu’il admire. Ecœuré par l’épuration – il ne demandera jamais à être reconnu comme résistant à cause de ça – il est tout heureux de rejoindre une unité combattante qui part en Syrie.
Mais l’évolution rapide des évènements fait qu’il ne verra jamais la Syrie. A la place, ce sera dans les tout premiers qu’il arrivera en… Indochine. Ca sera sa grande histoire d’amour, il y rencontrera d’ailleurs son épouse. Il y rencontrera aussi Leclerc et, plaisir gamin, il essaiera son képi tandis que celui-ci était au théâtre. Trois séjours (chaque séjour, c’est 2 ans), bien des rebondissements et il y devient parachutiste. Après être passé de simple soldat à officier. Il n’y était pas destiné du fait de sa patte folle mais monsieur est très volontaire; et intelligent. En ’53, il est muté chez Bigeard, le seul bataillon qu’il ne voulait pas, considérant ce dernier comme une prima donna. C’est le cas, mais c’est aussi un dieu de la guerre. Allaire l’admettra bien vite.
Et Bigeard, qui ne jurait que par le sport et la performance physique, voit débarquer ce petit bonhomme, à la jambe traînante et à la langue (très) acérée. Ca ne pouvait pas marcher entre eux, c’est donc le coup de foudre. Ils sauteront sur Dien-Bien-Phu. Après une résistance héroïque alors que dès le début, ils savaient l’opération viciée, ils sont faits prisonniers. Allaire sera ce soldat qui, lorsqu’on lui demande de détruire ses armes (les Français ne se sont pas rendus à DBP, il n’y a d’ailleurs jamais eu de drapeau blanc, contrairement à la légende communiste) demandera confirmation par écrit tant il n’accepte pas l’idée d’arrêter.
Les camps viet-minh, c’est 75% de morts sur les prisonniers de Dien-Bien-Phu. Moins dans le camps des officiers, le camp n°1, où il est interné, mais ça n’est clairement pas la fête. D’autant qu’avant il y a eu une marche de la mort. Mais il survit. Et en septembre, il est à Hanoï où il se régale d’un bon repas.
Ensuite, c’est l’Algérie. Avec Bigeard et d’autres, il gagne la bataille d’Alger face aux sacs à merde du FLN, il arrête Larbi Ben m’Hidi, un des chefs historiques, le commanditaire des bombes. Quelque chose se passe entre eux néanmoins. Bien que faire poser des bombes pour buter des gosses, comme au Milk Bar, ne soit pas sa tasse de thé, il reconnaît en Ben M’hidi un homme courageux et ont de longues discussions. Jusqu’à ce qu’Aussaresses vienne chercher le chef FLN pour l’exécuter. Allaire n’est pas dupe et pour montrer son désaccord, fait présenter les armes à ben M’hidi.
Ensuite d’autres aventures jusqu’à ce que de Gaulle lâche l’Algérie et les pieds-noirs.
Homme de parole, Allaire rejoint le putsch avec ses appelés quand il l’apprend mais, comme les autres, n’ayant pas compris l’essence d’une rébellion politique, refuse de faire couler le sang.
Il fera partie des rares à pouvoir continuer une carrière militaire, mais sans plus aucune promotion. Jusqu’à ce que Massu, découvrant l’ostracisation gaulliste, permette qu’il reprenne sa carrière.
Jacques Allaire, le Parigot pauvre qui lisait tout le temps des livres, qui avait une patte folle, qui a été résistant, simple soldat, officier, parachutiste, colonel, eh bien Jacques Allaire vient de décéder.
A 98 ans, rien de très surprenant mais il laisse un grand grand grand vide chez moi.
Il m’avait accordé du temps, des tas d’entretiens, m’avait reçu chez lui, m’avait invité à son remariage, au transfert des cendres de Bigeard à Fréjus. Et plus que tout, il m’avait accordé son amitié. Imaginez un peu, moi qui, gamin, connaissait son nom et une partie de ce qu’il avait fait, il me recevait à sa table et m’appelait son ami. Quelle rencontre, quelle chance, quel honneur.
Aujourd’hui, je suis très très triste et sans humour, mais ça va passer. Et comme je le disais à sa femme, je pense à lui tous les jours et tout ce que je fais en bd ne vise qu’à me permettre de publier, un jour, sa vie en version miquets. Afin que les lecteurs, habitués aux coincoins et délires politisés et perchés de mes collègues dessineux, découvrent un homme droit dans ses bottes, un héros français. »
Source M. le Chien