[Article du journaliste Laurent Glauzy en exclusivité pour Contre-info]
Afin d’améliorer l’intégration de la communauté musulmane en Allemagne, Annette Schavan, ministre de l’Enseignement, travaille sur la mise en place de programmes universitaires pour former les imams. La population de ce pays se sent menacée par une vague de prédicateurs radicaux et ce projet délicat se heurte déjà à de nombreux obstacles.
1 800 imams provenant de l’étranger
Ahmet Aktürk, 35 ans, est depuis six ans imam à Istanbul dans le quartier de Maltepe. Dans quelques mois, il s’installera avec sa femme et ses deux enfants en Allemagne. Il fera partie des centaines de missionnaires que la Turquie envoie chaque année dans la République fédérale. L’Allemagne compte plus de 1 800 imams provenant de l’étranger. Aktürk ne connaît rien de ce pays. Ayant seulement rencontré des touristes allemands à Istanbul, il associe sa culture et son histoire aux noms de Ballack et d’Hitler. De son côté, A. Schavan attend des imams formés dans ses universités qu’ils remplissent un rôle d’intermédiaire entre les quatre millions de Musulmans vivant sur le territoire et l’Etat. Selon Rauf Ceylan, théologien à Duisbourg, ces « imams seront des acteurs clés d’une intégration réussie ». De nombreux Musulmans se trouvent en situation d’échec dans leur milieu professionnel et dans la vie sociale. Et après l’état des lieux négatifs dressé sur la politique d’intégration par Thilo Sarrazin, sénateur berlinois social-démocrate, les Allemands expriment de plus en plus ouvertement leur sentiment d’exaspération sur la question de l’immigration. Christian Pfeiffer, criminologue à Hanovre, a révélé qu’« un prédicateur de l’étranger sans connaissance des modes de vie locaux contribuent à la mauvaise intégration des jeunes Musulmans. C’est pourquoi une vraie politique d’intégration doit commencer par les imams ». Une position partagée par toute la classe politique démocrate et A. Schavan qui prévoit la création d’un conseil scientifique. Deux à trois universités se consacreront à la formation de ces imams « Made in Germany », et dans les semaines à venir, A. Schavan sélectionnera les universités qui recevront des subventions.
En complément des cours théologiques, les nouveaux imams étudieront les techniques pédagogiques. Mais après ce cursus universitaire complet, la plupart d’entre eux craignent d’être confrontée à une période de chômage. C’est le cas d’Abdul-Jalil Zeitun, sexagénaire né en Syrie, qui travaille dans l’immobilier. Imam honorifique de la mosquée Ibrahim Al-Khalil, il écoute attentivement les intervenants du ministère de l’Enseignement dans un amphithéâtre de l’université d’Osnabrück (Basse-Saxe). Il rêve de participer ici, à partir d’octobre 2010, à la première formation des imams. Pourtant, il ne reste que trente places pour quatre-vingts-dix candidats. Il voudrait aussi que son fils de dix-sept ans, « futur imam en herbe », possède un bon cursus scolaire en Allemagne. A. Zeitun ignore si son garçon pourra poursuivre un cursus universitaire car, explique-t-il, il devra nourrir sa famille. Etant donné que les Musulmans d’Allemagne ne paye aucun prélèvement fiscal(1), les communautés pensent rétribuer leurs imams par le biais des réseaux étrangers. Pour Abdul-Jalil Zeitun, les étudiants devraient percevoir un salaire mensuel minimum de 2 000 euros net. Si cela s’avère impossible, il préconise à son fils d’étudier la médecine plutôt que de se destiner à une carrière religieuse. Les Länder tentent de créer des perspectives d’emploi et le ministre de l’Intérieur de Basse-Saxe Uwe Schünemann (CDU) a proposé d’embaucher les nouveaux imams à temps partiel comme professeur de théologie dans les écoles et les collèges. Ils seraient rémunérés par les Länder et les communes. A. Schavan trouve la proposition de U. Schünemann attrayante même si celle-ci n’a pas encore été débattue par le gouvernement.
Le poids des associations turques
Certaines associations musulmanes s’opposent au projet de formation universitaire de la ministre de l’Enseignement. D’ailleurs, aucun représentant de l’Union turco-musulmane Ditib, la plus grande organisation musulmane en Allemagne, n’a assisté aux journées de présentation qui se sont déroulées à l’université d’Osnabrück. Pour sa part, le représentant de l’Association des centres culturels islamiques (VIKZ) pèse ses mots. Il avance que l’initiative de la formation des imams est ingénieuse, mais il ne souhaite pas arrêter leur enseignement interne qui se déroule dans un internat de Cologne et où un islam « conservateur » est enseigné. Dans le passé, les associations de protection de la jeunesse avaient été alarmées par la propagande de ce groupe teinté de radicalisme et de mysticisme. Dans les Länder de Hesse et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, des centres de formation illégaux appartenant à cette organisation avaient été fermés. VIKZ considère le projet pédagogique du gouvernement comme une reconnaissance dont ils se serviront pour dissimuler leur doctrine. Le pouvoir fédéral est obligé de coopérer avec ces associations islamiques prônant une doctrine conservatrice. De plus, il y a fort à parier que les prédicateurs qui seront uniquement formés dans les universités ne seront pas acceptés par les communautés qui voient dans cette manœuvre de l’Etat une perte de leur autonomie. En pratique, cela signifie que le pouvoir fédéral doit fermer les yeux sur certaines entités édulcorées du radicalisme religieux pour que le projet puisse aboutir.
Des conflits d’intérêts entre l’Allemagne et la Turquie sont susceptibles de gêner le programme de formation des imams. Islamologue à Düsseldorf, Michael Kiefer suspecte la Turquie de vouloir exercer une pression par le biais de Diyanet, direction des affaires religieuses à Ankara, pour contrôler ses imams à l’étranger. Chaque année, Diyanet envoie des centaines d’imams en Allemagne. Avec des prêches pour les fêtes turques et des discours patriotiques, le lien avec les migrants et la Sublime porte ne cesse de se radicaliser. Kiefer argue qu’en réalité « Diyanet et Ditib ne veulent pas entendre parler d’une formation d’imams allemands ». De nombreux prédicateurs redoutent aussi une perte de leur pouvoir au sein de la communauté. Malgré tout, l’Etat fédéral affirme que les jeunes Musulmans ont besoin d’imams bien formés et éloquents connaissant les réalités de la vie en Allemagne. Un point de vue défendu par R. Ceylan pour qui « le manque de telles personnes pouvant soutenir sur le terrain une politique d’intégration serait une aubaine pour les gens comme Pierre Vogel ».
Pierre Vogel, imam intégriste
Cet Allemand de trente-deux ans est un converti à l’Islam. Il a fréquenté un lycée catholique de la banlieue de Cologne, un internat de sport à Berlin, et a entraîné des boxeurs de haut niveau désirant embrasser une carrière professionnelle. Dans la région de la Ruhr, à Mönchengladbach, sous la lumière d’un néon et dans un espace de prière vétuste, il se tient accroupi à la manière des premiers prédicateurs. Sa barbe rousse ondule sur sa blouse gris clair. Sur sa tête, il porte une aragiya (bonnet en laine). Imam autoproclamé, P. Vogel déclare que les représentants de l’Islam devraient connaître la vie en Allemagne, pour mieux s’adresser à la jeunesse. Une qualité que P. Vogel, salafiste, sait très bien exploiter.
Bien que ce mouvement fondamentaliste considère la musique moderne comme démoniaque, cela ne l’empêche pas d’organiser des concerts de Rock vantant la doctrine du « prophète » par l’intermédiaire de Facebook. Hostile à toute politique d’intégration, ses thèses passent pour être anti-démocratiques. R. Ceylan avertit que « pour des jeunes personnes cherchant une orientation, leur contact avec de tels imams peut constituer un glissement vers l’islamisme ». Envisageant de propager des documents jugés comme « dangereux », son appartement a été a été perquisitionné en janvier 2010. P. Vogel argue que toutes ces accusations sont infondées. Affirmant que 80 % des Musulmans allemands ne pratiquent pas un « Islam véritable », il professe que les hommes devraient porter la barbe, que les femmes devraient être coiffée du voile, et que l’Etat ne pourrait pas interdire à un Musulman allemand d’avoir quatre épouses. A présent, les prédicateurs radicaux comme P. Vogel ont pour objectif de rassembler leurs troupes pour former un contre-mouvement capable de faire échouer le projet éducatif du gouvernement. Alors, depuis le début de l’année, P. Vogel prêche à Berlin, Munich, Dortmund et Düsseldorf. Pour mieux structurer son mouvement, il cherche à s’attirer les bonnes grâces de la jeunesse. Pour octobre 2010, il a l’intention de faire passer à ses adeptes un test écrit pour l’octroi de « diplômes ». Ne sachant pas combien de temps il pourra encore prêcher, déclare-t-il en souriant, il doit former « non un Pierre Vogel mais mille Pierre Vogel ». Comparant sa mission à celle du Mahatma Gandhi, il lance sur un ton déterminé : « Tout d’abord, les gens rient de toi, ensuite ils t’ignorent et enfin tu vaincs ».
Laurent Glauzy
Octobre 2010
Article tiré de Atlas de géopolitique révisée, tome II
(1) L’appartenance à une confession chrétienne et assujettie en Allemagne à un prélèvement fiscal qui s’élève de 8 % à 10 % de l’impôt sur le revenu. Ces sommes sont versées aux Eglises. Pour échapper à cette contribution, de nombreux Allemands deviennent apostat.
Laurent Glauzy est aussi l’auteur de :
Illuminati. « De l’industrie du Rock à Walt Disney : les arcanes du satanisme ».
Karl Lueger, le maire rebelle de la Vienne impériale
Atlas de géopolitique révisée, tome I
Chine, l’empire de la barbarie
Extra-terrestres, les messagers du New-Age
Le mystère de la race des géants