Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel, tel que le connaissaient nos ancêtres), suivis de commentaires.
« Dans les chants de la messe, mêmes accents de détresse mais aussi de confiance que dimanche dernier. L’Épître a été choisie à cause de la station à Saint-Paul-hors-les-murs ; c’est un des plus beaux morceaux de saint Paul : on y sent passer toute l’âme du grand apôtre. L’Évangile de la semence montre Dieu à l’œuvre dans le monde comme un semeur de bon grain, mais dit aussi les conditions nécessaires pour que ce bon grain porte en nous tout son fruit. ».
Dom G. Lefebvre
COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgique – disponible ici avec ses autres livres)
« Dans le cours de la semaine qui commence aujourd’hui, la sainte Eglise présente à notre attention l’histoire de Noé et du déluge universel. Malgré la sévérité de ses avertissements, Dieu n’a pu obtenir la fidélité et la soumission de la race humaine. Il est contraint d’employer un châtiment terrible contre ce nouvel ennemi. Toutefois, il a trouvé un homme juste, et, dans sa personne, il fera encore alliance avec nous. Mais auparavant il veut faire sentir qu’il est le souverain Maître, et que tout aussitôt qu’il lui plaira, l’homme si fier d’un être emprunté s’abîmera sous les ruines de sa demeure terrestre. […]
La catastrophe qui fondit alors sur l’espèce humaine fut encore le fruit du péché ; mais du moins un homme juste s’était rencontré,et le monde fut sauvé d’une ruine totale par lui et par sa famille. Après avoir daigné renouveler son alliance, Dieu permit que la terre se repeuplât, et que les trois enfants de Noé devinssent les pères des trois grandes races qui l’habitent.
Tel est le mystère de l’Office durant cette semaine. Celui de la Messe, qui est figuré par le précédent, est plus important encore. Dans le sens moral, la terre n’est- elle pas submergée sous un déluge de vices et d’erreurs ? Il faut qu’elle se peuple d’hommes craignant Dieu, comme Noé. Cette génération nouvelle, c’est la Parole de Dieu, semence de vie, qui la suscite. C’est elle qui produit ces heureux enfants dont parle le Disciple bien-aimé, « qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu même [1]Jean. I, 1. » Efforçons-nous d’entrer dans cette famille, et, si nous en sommes déjà membres, gardons chèrement notre bonheur. Il s’agit, dans ces jours, d’échapper aux flots du déluge, de chercher un abri dans l’arche du salut ; il s’agit de devenir cette bonne terre dans laquelle la semence fructifie au centuple. Songeons à fuir la colère à venir, pour ne pas périr avec les pécheurs, et montrons-nous avides de la Parole de Dieu qui éclaire et convertit les âmes [2]Psalm. XVIII..
A LA MESSE.
A Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs. C’est autour du tombeau du Docteur des nations, du propagateur de la divine semence, du père de tant de peuples par sa prédication, que l’Eglise Romaine réunit les fidèles en ce jour où elle veut leur rappeler que le Seigneur a épargné la terre, à la condition qu’elle se peuplera de vrais croyants et d’adorateurs de son Nom.
L’Introït, emprunté au livre des Psaumes, implore le secours du Seigneur. La race humaine est réduite aux abois, elle va s’éteindre; c’est pourquoi elle supplie son auteur de la féconder de nouveau. La sainte Eglise s’associe à ce cri, en demandant au divin Sauveur de multiplier aujourd’hui les enfants de la Parole, comme aux jours antiques. […]
Introït (Ps. 43, 23-26) :
Levez-vous ; pourquoi dormez-vous, Seigneur ? Levez-vous, et ne nous repoussez pas à jamais. Pourquoi détournez-vous votre visage et oubliez-vous notre tribulation ? Notre corps est attaché à la terre. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous et délivrez-nous.
Ps. (Ibid, 2) :
O Dieu, nous avons entendu de nos oreilles ; nos pères nous ont annoncé votre œuvre.
[On ne dit pas le Gloria depuis ce dimanche jusqu’au Jeudi Saint, excepté quand on dit la messe d’une fête. L’allelulia qui suit le graduel est remplacé par un trait.]
Collecte :
O Dieu, qui voyez que nous ne nous confions en aucune de nos œuvres, accordez-nous, dans votre bonté, d’être fortifiés contre tous les maux, grâce à la protection du Docteur des Gentils.
Lecture de l’Epître de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens (2 Cor. 11, 19-33 ; 12, 1-9) :
« Mes Frères : vous qui êtes sensés, vous supportez volontiers les insensés. Vous supportez bien qu’on vous asservisse, qu’on vous dévore, qu’on vous pille, qu’on vous traite avec arrogance, qu’on vous frappe au visage. Je le dis à ma honte, nous avons été bien faibles ! Cependant, de quoi que ce soit qu’on ose se vanter, — je parle en insensé, moi aussi je l’ose. Sont-ils Hébreux ? Moi aussi, je le suis. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d’Abraham ? Moi aussi. Sont-ils ministres du Christ ? — Ah ! je vais parler en homme hors de sens : — je le suis plus qu’eux : bien plus qu’eux par les travaux, biens plus par les coups, infiniment plus par les emprisonnements ; souvent j’ai vu de près la mort ; cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un ; trois fois, j’ai été battu de verges ; une fois j’ai été lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme. Et mes voyages sans nombre, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, les périls de la part de ceux de ma nation, les périls de la part des Gentils, les périls dans les villes, les périls dans les déserts, les périls sur la mer, les périls de la part des faux frères, les labeurs et les peines, les nombreuses veilles, la faim, la soif, les jeûnes multipliés, le froid, la nudité ! Et sans parler de tant d’autres choses, rappellerai-je mes soucis de chaque jour, la sollicitude de toutes les Eglises ? Qui est faible que je ne sois faible aussi ? Qui vient à tomber sans qu’un feu me dévore ? S’il faut se glorifier, c’est de ma faiblesse que je me glorifierai. Dieu, qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et qui est béni éternellement, sait que je ne mens point. A Damas, l’ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville pour se saisir de moi ; mais on me descendit par une fenêtre, dans une corbeille, le long de la muraille, et j’échappai ainsi de ses mains. Faut-il se glorifier ? Cela n’est pas utile ; j’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, il y a quatorze ans, fut ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps, je ne sais ; si ce fut hors de son corps, je ne sais : Dieu le sait). 3 Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu’il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de révéler. C’est pour cet homme-là que je me glorifierai ; mais pour ce qui est de ma personne, je ne me ferai gloire que de mes faiblesses. Certes, si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité ; mais je m’en abstiens afin que personne ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu’il voit en moi ou à ce qu’il entend de moi. Et de crainte que l’excellence de ces révélations ne vînt à m’enfler d’orgueil, il m’a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter. A son sujet, trois fois j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi, et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car c’est dans la faiblesse que ma puissance se montre tout entière. » Je préfère donc bien volontiers me glorifier de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi. »
L’Epître est ce beau passage d’une des Lettres du grand Apôtre dans lequel, contraint pour l’honneur et le succès de son ministère d’avoir recours à l’apologie contre ses ennemis, il nous apprend à quel prix les hommes apostoliques ont semé la divine Parole dans les champs arides de la gentilité, et opéré la régénération chrétienne.
Dans le Graduel, l’Eglise implore le secours du Seigneur contre ceux qui s’opposent à la mission qu’elle a reçue de susciter partout des adorateurs au vrai Dieu, un peuple nouveau.
Graduel (Ps. 82, 19 et 14) :
Que les nations sachent que votre nom est Dieu ; que vous êtes le seul Très-Haut dans toute la terre.
V./ Mon Dieu, rendez-les semblables à une roue et à la paille emportée par le vent.
Au milieu des commotions de la terre, de ces révolutions violentes qui renouvellent parfois les scènes terribles du déluge, au sein des nations sur lesquelles elles s’accomplissent, l’Eglise prie pour ses fidèles enfants, afin qu’ils soient épargnés, et que l’espérance du monde ne périsse pas en eux. C’est l’objet du Trait qui précède l’Evangile.
Trait (Ps. 59, 4 et 6) :
« Vous avez ébranlé la terre, Seigneur, et vous l’avez troublée
V/. Guérissez ses brisures, car elle est ébranlée.
V/. Afin que vos élus fuient devant l’arc : qu’ils soient délivrés. »
EVANGILE
Lecture du Saint Evangile selon saint Luc (8, 4-15) :
« En ce temps là : Comme une foule nombreuse s’amassait et que de toutes les villes on venait vers lui, il dit par parabole : « Le semeur sortit pour semer sa semence ; et, pendant qu’il semait, du (grain) tomba le long du chemin ; il fut foulé aux pieds, et les oiseaux du ciel le mangèrent. D’autre tomba sur de la pierre, et, après avoir poussé, se dessécha, parce qu’il n’avait pas d’humidité. D’autre tomba dans les épines, et les épines poussant avec, l’étouffèrent. D’autre tomba dans la bonne terre, et, après avoir poussé, donna du fruit au centuple. » Parlant ainsi, il clamait : « Qui a des oreilles pour entendre, entende ! » Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole : « A vous, leur dit-il, il a été donné de connaître les mystères du royaume de Dieu ; mais pour les autres, (c’est) en paraboles, pour que regardant ils ne voient point, et qu’écoutant ils ne comprennent point. Voici ce que signifie la parabole : La semence, c’est la parole de Dieu. Ceux qui sont le long du chemin sont ceux qui ont entendu ; ensuite le diable vient, et il enlève la parole de leur cœur, de peur qu’ils ne croient et ne se sauvent. Ceux qui sont sur de la pierre sont ceux qui, en entendant la parole, l’accueillent avec joie ; mais ils n’ont point de racine : ils croient pour un temps, et ils se retirent à l’heure de l’épreuve. Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu, mais vont et se laissent étouffer par les sollicitudes, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils n’arrivent point à maturité. Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, après avoir entendu la parole avec un cœur noble et bon, la gardent et portent du fruit grâce à la constance. »
Saint Grégoire le Grand observe avec raison que la parabole qui vient d’être lue n’a pas besoin d’explication, la Sagesse éternelle s’étant chargée elle-même de nous en donner la clef. Il ne nous reste donc plus qu’à profiter d’un si précieux enseignement, et qu’à recevoir en bonne terre la semence céleste qui tombe sur nous. Combien de fois jusqu’ici ne l’avons-nous pas laissée fouler aux passants, ou enlever par les oiseaux du ciel ? Combien de fois ne s’est-elle pas desséchée sur le rocher de notre cœur, ou n’a-t-elle pas été étouffée par de funestes épines ? Nous écoutions la Parole; elle avait pour nous un certain charme qui nous rassurait. Souvent même nous la reçûmes avec joie et empressement; mais, si quelquefois elle germait en nous, sa croissance était bientôt arrêtée. Désormais, il nous faut produire et fructifier ; et telle est la vigueur de la semence qui nous est confiée, que le divin Semeur en attend cent pour un. Si la terre de notre cœur est bonne, si nous avons soin de la préparer en mettant à profit les secours que nous offre la sainte Eglise, la moisson sera abondante au jour où le Seigneur, s’échappant vainqueur de son sépulcre, viendra associer ses fidèles croyants aux splendeurs de sa Résurrection.
Ranimés par cette espérance, et pleins de confiance en celui qui daigne ensemencer de nouveau une terre si longtemps rebelle à ses soins, chantons avec l’Eglise, dans l’Offertoire, ces belles paroles du Roi-Prophète par lesquelles l’Eglise demande pour nous la fermeté et la persévérance.
Offertoire (Ps. 16, 5, 6-7) :
Affermissez mes pas dans vos sentiers, afin que mes pieds ne soient pas ébranlés. Inclinez vers moi votre oreille et exaucez mes paroles. Faites éclater vos miséricordes, vous qui sauvez ceux qui espèrent en vous, Seigneur.
Secrète :
Que le sacrifice qui vous est offert, Seigneur, augmente en nous la vie surnaturelle et nous fortifie.
La visite du Seigneur dans le Sacrement de son amour est le grand moyen qui fertilisera notre âme et la rendra féconde. C’est pour cette raison que l’Eglise nous invite, dans l’Antienne de la Communion, à nous approcher de l’autel de Dieu ; notre cœur y recouvrera sa vigueur et sa jeunesse.
Communion (Ps. 42, 4) :
Je m’avancerai à l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouis ma jeunesse.
Postcommunion :
Nous vous adressons nos supplications, ô Dieu tout puissant, afin qu’à ceux que vous nourrissez de votre sacrement, vous accordiez aussi la grâce de vous servir dignement par une conduite qui vous soit agréable. »
COMMENTAIRE DE DOM PIUS PARSCH
dans le Guide dans l’année liturgique
« La semaine dernière, l’Église, par l’image du combat du stade et la parabole des ouvriers de la vigne, nous a invités au combat et au travail, dans le royaume de Dieu. Cette semaine, elle fait un pas de plus : elle nous montre le travail de Dieu et, en même temps, notre participation à ce travail dans la parabole du semeur. Le semeur jette sa semence et la laisse tomber sur le sol ; mais il dépend du sol que cette semence prospère. L’Église nous fait aussi entendre deux grands hommes : Noé et saint Paul. »
«Il y a une belle harmonie et une progression merveilleuse dans les pensées de ce jour. C’est comme si nous entrions dans une magnifique basilique à trois parties. Nous voyons ,d’abord, dans le sombre vestibule, le semeur de la chair, Noé. Il incarne la nature qui est la condition préalable et, en même temps, l’image de la surnature. Dans le miroir du déluge et de l’arche, nous voyons déjà l’indication de la Rédemption. Maintenant nous entrons dans le sanctuaire de la basilique ; là se tient debout devant nous le semeur de la Parole, saint Paul. Il incarne la foi qui sans doute appartient déjà à la surnature, mais cependant n’est pas encore le bien suprême dans le royaume de Dieu. Nous montons enfin vers le Saint des Saints, nous y rencontrons le semeur de la Vie, le Christ. Il apporte la grâce.
“ Pour indiquer la corruption des hommes qui vivaient alors et, en même temps, pour montrer l’amour divin, il est dit : Noé trouva grâce devant le Seigneur. Il est montré, en même temps, comment la méchanceté des autres n’obscurcit pas la justice des hommes pieux : Noé le juste est conservé pour la propagation de tout le genre humain. Ce n’est pas à cause de la noblesse de sa naissance, mais à cause des mérites de sa justice et de sa perfection qu’il est loué. La vraie noblesse de l’homme éprouvé est la noblesse de la vertu. Car, de même que la race humaine produit des hommes, l’âme produit des vertus. Les familles des hommes sont anoblies par leur ascendance, mais la beauté de l’âme est illustrée par l’éclat des vertus. “
Notes
1. | ↑ | Jean. I, 1 |
2. | ↑ | Psalm. XVIII. |