« Cette archive exceptionnelle est l’une des premières interviews sonores, le premier enregistrement d’un échange spontané, non lu. C’est aussi l’une des rares traces de l’accent parisien d’avant-guerre. En 1912, le linguiste Ferdinand Brunot veut enregistrer les dialectes des artisans. Ici, c’est le parler parisien qui l’intéresse, l’accent populaire des différents quartiers de la capitale. Louis Ligabue, tapissier dans le 14e arrondissement, a alors 37 ans, et note déjà l’embourgeoisement de son quartier. »
On notera (comme d’habitude) la qualité du français (syntaxe, vocabulaire et diction), de cet homme simple qui a dû quitter l’école après le certificat (11-13 ans). C’est incomparable avec la langue d’un jeune Français qui a le baccalauréat de nos jours.
« – Vous êtes vraiment, vous monsieur, un Parisien de Paris ?
– Je suis né à Paris même, boulevard Sébastopol et j’ai monté du côté de Montrouge, rue Daguerre. Ensuite, j’ai été avenue d’Orléans. J’ai travaillé dans le quartier constamment. Je ne l’ai jamais quitté du reste.
– Et vous êtes exclusivement tapissier, alors ?
– Absolument. (…) et je travaille pour le client personnel (…)
– Vous êtes exclusivement dans la clientèle bourgeoise ?
– Oui, monsieur.
– Il y a eu beaucoup d’installations de ce côté-là, ce doit être un bon métier ?
– Ah le quartier a beaucoup gagné. Nous avons depuis quelques années travaillé admirablement.
– J’ai entendu dire que vous n’étiez pas payé très régulièrement…
– Oh vous savez, le 14e est tout à fait spécial. Nous avons de bons clients, de bons bourgeois, et puis régulièrement, on hésite à donner une affaire… Mais quant au règlement, jamais nous ne perdons quoi que ce soit.
– On m’avait dit au contraire que rue Alphonse Daudet, il y avait une clientèle peu recommandable…
– Ah dame ! Ça, je m’en réjouis bien ! »
« Ce document est unique à plus d’un titre : c’est aussi la première fois qu’on entend quelqu’un réagir à ses propos, à sa voix. Dans la foulée de l’interview, Louis Ligabue s’écoute, et s’étonne, toujours en dialoguant avec le linguiste Ferdinand Brunot. » (source)