Les sunnites radicaux de l’« Etat islamique en Irak et au Levant » (EEIL), très actifs en Syrie, ont entamé une progression spectaculaire vers Bagdad, prenant plusieurs grandes villes ces jours-ci (comme Mossoul, 2e ville du pays, ou Tikrit, d’où était Saddam Hussein). Ils profitent de la division de l’Irak entre sunnites et chiites (sans parler des Kurdes).
Un prêtre témoigne (dans une lettre visible en fin de cet article) : « La plupart des habitants de la ville ont déjà abandonné leurs maisons et fui dans les villages où ils logent à la belle étoile, sans rien à manger ni à boire. Les groupes islamistes assassinent petits et grands. Les cadavres, d’après les témoins, se comptent par centaines. Ils sont abandonnés dans les rues et dans les maisons sans pitié. Les forces régulières et l’armée ont fui elles aussi la ville, ainsi que le gouverneur Al Nujaifi. Plus de trois mille familles, chrétiennes et musulmanes, ont déjà quitté la ville vers les villages de Tel Keif, Bartella, Qaraqosh et autres. »
C’est maintenant Bagdad même qui est menacée, ainsi que les villes de Kerbala et Najaf – saintes aux yeux des chiites ; ce qui a poussé le grand ayatollah Ali Al-Sistani (autorité suprême des chiites irakiens) à appeler ses ouailles à rejoindre l’armée régulière pour contrer l’avancée des jihadistes.
Notons qu’en s’emparant de la province de Ninive et de sa plaine, les sunnites tiennent à leur merci les catholiques syriaques qui peuplent cette plaine ; la ville de Qaraqosh pourrait tomber. Comment, puisqu’il y a des gardes armés chrétiens?
D’une part ceux-ci sont trop peu nombreux et comptaient sur un premier cordon défensif de Peshmergas kurdes, qui en fait ont laissé passer les sunnites, en raison de calculs stratégiques propres.
Les chrétiens ont donc raté le coche de l’autonomisation de leur défense, en 10 ans.
Par ailleurs, le clergé occidental en charge de l’OEuvre d’Orient, loin d’avoir encouragé la création de milices locales (au contraire), appelle désormais l’armée irakienne à ne pas lancer de contre-offensive et à négocier avec les sunnites. Plus qu’une erreur naïve, c’est une trahison.
Le désordre qui a été installé par les USA et leurs alliés en Irak, en déboulonnant le laïc autoritaire Saddam Hussein, n’a pas fini de s’aggraver et de s’étendre à la région.
On pourrait d’ailleurs se demander si l’embrasement de tout ce coin du globe dans une guerre interminable sunnites/chiites (impliquant donc l’Iran) et – au passage, au détriment des chrétiens – n’entre pas dans les calculs de l’axe USA-Israël.
Thomas Darcy pour Contre-info
PS : pour montrer un peu l’ambiance qui règne dans les zones perturbées de l’Irak actuel, on peut voir ci-dessous une video de membres de l’EEIL « chassant » des opposants réels ou supposés, à bord d’un véhicule. Attention, images extrêmement violentes.
Un prêtre qui a pu, comme 500 000 personnes, s’enfuir de Mossoul n tout laissant derrière lui, témoigne. Son email est daté de mardi et a été envoyé au journal La Croix :
« Je vous écris depuis Qaraqosh, dans une situation très critique et apocalyptique de violence à Mossoul. Plusieurs milliers d’hommes armés des groupes islamistes de Da’sh (État islamique en Irak et au Levant, ad-Dawla al-Islāmiyya fi al-’Irāq wa-sh-Shām en arabe) ont attaqué la ville de Mossoul depuis deux jours. D’après les chiffres non officiels, plus de 300 véhicules et 7000 hommes armés et masqués y sont entrés dans la nuit de lundi à mardi dans la ville, et la dominent aujourd’hui.
La plupart des habitants de la ville ont déjà abandonné leurs maisons et fui dans les villages où ils logent à la belle étoile, sans rien à manger ni à boire. Les groupes islamistes assassinent petits et grands. Les cadavres, d’après les témoins, se comptent par centaines. Ils sont abandonnés dans les rues et dans les maisons sans pitié. Les forces régulières et l’armée ont fui elles aussi la ville, ainsi que le gouverneur Al Nujaifi. Plus de trois mille familles, chrétiennes et musulmanes, ont déjà quitté la ville vers les villages de Tel Keif, Bartella, Qaraqosh et autres.
Qaraqosh est envahie par les réfugiés de toutes sortes, sans nourriture et sans logement. Aux check points, les forces kurdes empêchent les vagues innombrables des réfugiés d’entrer au Kurdistan. Les forces kurdes, les peshmergas, protègent jusque-là les villages dans les zones disputées (entre Kurdes et Arabes, NDLR) de la province de Ninive. Ce que nous vivons et ce que nous voyons depuis deux jours est horrible et catastrophique.
Le couvent de Mar Behnam, à l’est de Qaraqosh, est tombé ce matin entre les mains des rebelles. Un seul moine, le père abbé, est resté sur place ! Les voici, on les voit tout près du côté ouest de notre village de cinquante mille habitants. C’est la grande panique dans les familles… Les enfants sont traumatisés. Plusieurs centaines de familles réfugiées sont entrées à Qaraqosh, ou se dirigent vers Erbil, épuisées et sans abri… Priez pour nous. Désolé, je ne peux plus continuer à vous écrire… »