JO : privatisation et « business »

Entretien intéressant de l’historien Patrick Clastres réalisé par Libération.

Sebastian Coe, à la tête du comité d’organisation des Jeux, a créé la polémique en affirmant que les spectateurs portant un tee-shirt Pepsi pourraient être refoulés des sites olympiques, parce que Coca-Cola est le sponsor officiel de la manifestation…

La tendance récente tend à donner au CIO, via ses sponsors, un contrôle technique total de l’événement. Il y a ceux qui alimentent en contenus audiovisuels, ceux qui sécurisent les flux, informatiques ou financiers. Par exemple, sur les sites olympiques, les paiements ne sont possible qu’avec une carte Visa… Une sorte d’isolat olympique se crée au cœur d’une ville. Les Etats, qui ont à leur charge le financement des infrastructures, n’exercent plus que leurs fonctions régaliennes traditionnelles. Ce système autarcique est validé par le contrat juridique que le CIO impose à l’Etat hôte. Celui-ci sanctionne pénalement, et pas uniquement commercialement, les contrevenants, par exemple ceux qui utiliseraient le logo olympique sans en avoir le droit. A Londres, une police commerciale sera chargée de faire respecter ce contrat.

On aboutit à une totale privatisation des bénéfices des Jeux, alors que les coûts, eux, sont publics.
Pensez également à l’embauche non-rémunérée des 70 000 volontaires qui vont travailler pendant trois semaines sans qu’on leur propose ni hébergement, ni prise en charge des frais de transport. Ce n’est pas du simple bénévolat, car les entreprises qui alimentent le système, elles, sont bénéficiaires. C’est peut-être pour ces raisons que la France n’aura pas les Jeux, car le système réglementaire français est trop contraignant pour le CIO et ses partenaires. Ils préféreront toujours choisir des dictatures ou des états néo-libéraux. D’autant que le marché français ne pèse rien face à la logique d’olympisation du monde du CIO.


A chaque édition, l’écart entre la facture annoncée et la facture réelle est important. Quels sont les risques de cette inflation économique ?

C’est la révolte des peuples. Car lorsque les dépenses d’organisation augmentent, les comptes public explosent. Le CIO est pris au piège de son principe d’universalité, consistant à contenter les sponsors des athlètes de pays du monde entier. On en arrive à des fausses déclarations des villes candidates pour accueillir les Jeux, qui sous-évaluent complètement leur budget. Or, après-coup, celui-ci explose presque toujours. Les sponsors et les télévisions ont des exigences techniques toujours plus élevées, ce qui fait gonfler la facture. S’ils avaient à organiser l’équilibre financier des Jeux, on n’en arriverait pas là. On nous vend toujours aussi l’héritage en infrastructures. On a vu ce que ça a donné à Athènes. Montréal, qui avait organisé les Jeux de 1976, a mis plus de vingt-cinq ans à rembourser ses investissements. Londres a promis une meilleure réaffectation. Tant mieux. Mais on en attend la démonstration.