Note préalable : nous utilisons par commodité le nom d’« orthodoxes » que les chrétiens orientaux ayant suivi le schisme grec (« Grand schisme d’Orient », 1054) se donnent pour se distinguer des catholiques (qui sont en réalité « orthodoxes »… sauf pour les modernistes). Aïe, ça commence déjà à être un peu compliqué, mais le pire est à venir.
La situation ukrainienne n’est pas simple, notamment sur le plan religieux, mais essayons d’y voir un peu clair, car des événements importants s’y passent aussi. Si vous connaissez déjà un peu la situation, allez directement après le texte en bleu.
Rappelons que le monde orthodoxe se divise en quatre « patriarcats » et 14 (ou 16 selon les points de vue) Eglises autocéphales (c’est-à-dire indépendantes, bien que se plaçant dans l’obédience d’un patriarcat ou l’autre, et liées à une communauté nationale). Les deux principaux patriarcats sont ceux de Moscou et de Constantinople (ce dernier ne comptant pas beaucoup de fidèles comparativement aux autres, mais jouissant d’une primauté d’honneur).
Voici où nous en étions en Ukraine, juste avant la guerre menée par Moscou : les habitants du pays sont majoritairement orthodoxes et appartiennent principalement à l’« Église orthodoxe ukrainienne » (Patriarcat de Moscou) ou à l’« Église orthodoxe d’Ukraine » (reconnue par le patriarcat de Constantinople).
Près de 10% de la population ukrainienne est catholique, on les appelle « gréco-catholiques » (parfois « uniates), et ils pratiquent le rite byzantin. Ils ont, comme en France, une « frange » traditionaliste (dont une partie est liée à la FSSPX). Ils sont très inquiets d’une éventuelle domination russe, qui pour eux a été historiquement marquée par des persécutions.
L’« Église orthodoxe ukrainienne » (Patriarcat de Moscou) est l’héritière de l’ancien clergé ukrainien rattaché au patriarcat de Moscou (« exarchat »). Cet exarchat était la seule organisation religieuse chrétienne autorisée en Ukraine par l’URSS, et en Russie seul le patriarcat de Moscou était autorisé par les communistes, et de fait lié au Kremlin (le patriarche actuel, Cyrille, très proche de Poutine, est lui aussi un ancien agent du KGB). Cette Eglise regroupe environ 20% des orthodoxes d’Ukraine.
Dans son discours du 21 février dernier, visant à justifier l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine affirmait que Kiev se préparait à la « destruction de l’Eglise orthodoxe ukrainienne rattachée au Patriarcat de Moscou ». Ce qui est absurde, surtout que le gouvernement ukrainien est libéral-européiste. En revanche, il est vrai que deux ou trois édifices religieux ont été la cible de dégradations ces derniers mois, dans le contexte de tension que l’on sait (mais est-on sûr que ce n’est pas l’œuvre de provocateurs?).
L’« Église orthodoxe d’Ukraine » (patriarcat de Constantinople) fut fondée en 2018, en regroupant des clercs orthodoxes de diverses structures qui n’étaient pas liées au patriarcat de Moscou. Elle regroupe environ 61,5 % des orthodoxes d’Ukraine.
Lorsque le patriarche de Constantinople a accordé à cette Eglise le statut d’autocéphalie, statut lié à une nation donnée – ici l’Ukraine –, le patriarcat de Moscou en a été outré et s’y est opposé. Il en a résulté une fracture entre les patriarcats de Kiev et Moscou, avec « rupture de communion » : un événement très grave dans le monde orthodoxe, contraignant les uns et les autres à se positionner.
Voilà grosso modo où l’on en était avant ce mois de février.
Or, si le chef de l’« Église orthodoxe d’Ukraine » a sans surprise vigoureusement condamné l’action du Kremlin et défendu l’indépendance de l’Ukraine, il se trouve qu’au sein de l’« Église orthodoxe ukrainienne » (Patriarcat de Moscou), considérée comme pro-russe, il se passe maintenant quelque chose d’inattendu et d’important.
Sur les réseaux sociaux se multiplient les appels de popes de cette Eglise à s’émanciper définitivement de la tutelle russe.
Plus encore :
« Dans une rare rupture avec Moscou, les dirigeants de l’Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Moscou (EOU-PM) ont dénoncé l’invasion russe et exhorté leurs compatriotes à soutenir le gouvernement de Kiev.
« Défendant la souveraineté et l’intégrité de l’Ukraine, nous appelons également le président de la Russie à arrêter immédiatement la guerre fratricide », a déclaré le métropolite Onuphre, chef de l’EOU-PM. Le père Mykola Danilevitch, porte-parole de l’EOU-PM, s’est montré plus franc en déclarant : « Poutine a traîtreusement attaqué notre pays ! Nous bénissons tout le monde pour la défense de l’Ukraine ! » » (source)
Comme l’écrit un commentateur sur facebook : « Poutine risque d’apparaître au regard de l’Histoire comme le fossoyeur du fameux « Monde Russe « (« Rousskiy Mir ») qu’il a voulu édifier » et qui perd toute possibilité de réalisation avec la fracture, durable, créée actuellement par la guerre.