La revue catholique traditionaliste Le Sel de la Terre, éditée par les dominicains d’Avrillé, donne dans son dernier numéro (110) la parole à un ami de Guillaume Faye, essayiste audacieux, parfois brillant, parfois condamnable, mort en mars dernier d’un cancer.
Préambule de la revue :
« Guillaume Faye (1949-2019) a été, avec Alain de Benoist et Dominique Venner, un des principaux théoriciens du courant néopaïen habituellement nommé « Nouvelle Droite ». A ce titre, il avait été épinglé par Geoffroy Daubuis dans le numéro 60 du Sel de la terre (article tiré à part). Mais s’il répétait volontiers les slogans de la Nouvelle Droite (le christianisme serait, par nature, un « appel à la faiblesse et la soumission » et un « discours dévirilisant et cosmopolite »), il montrait aussi parfois, dans ses écrits, un étonnant respect envers la foi catholique traditionnelle (voir ses articles « Cible de l’oligarchie : le catholicisme, pas l’islamisme » et sur le pape François et l’islam).
La grâce de Dieu l’a mené à vouloir rencontrer un prêtre à la fin de l’année 2018, puis à recevoir le sacrement de pénitence (dimanche 27 janvier 2019), et, finalement, l’extrême onction et la communion en viatique, un mois plus tard (27 février), huit jours avant sa mort (mercredi des Cendres 6 mars).
Patrice Sage, qui fut un de ses camarades de jeunesse, a été un témoin privilégié de ce parcours. »
Le témoignage :
« Je n’étais pas un ami intime de Guillaume Faye. Simplement un camarade des jours enfuis de notre jeunesse dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Et qui l’était resté malgré les années, les opinions, les destins, les milieux, les modes de vie devenus presque inconciliables.
Mais il est sans doute écrit quelque part que l’amitié, ou même une camaraderie, n’est pas toujours une ombre fugace qui suit seulement le crédit, le succès, la réussite ou le bonheur.
J’ai connu Guillaume il y a très exactement quarante-cinq ans, en 1973.
Faye donnait une conférence au cercle Galilée, siège lyonnais du GRECE, conférence intitulée L’agression – une histoire naturelle du mal et qui avait trait aux travaux de l’éthologue Konrad Lorenz, prix Nobel de médecine.
La salle exiguë de la place du Change était bien trop petite pour contenir ceux qui étaient venus écouter l’orateur talentueux de la Nouvelle Droite.
L’homme était jeune, la voix était posée, grave, et les mots articulés. Il ne bavardait pas et parlait pour convaincre. Le ton était particulièrement sérieux, comme s’il y avait urgence en la matière, mais l’oeil restait rieur, presque moqueur, comme si l’homme prenait soin de toujours respecter la distance existant entre sa pensée et son objet. […]
Nous nous sommes fréquentés au sein de la Nouvelle Droite une bonne quinzaine d’années. Orateur infatigable, écrivain, essayiste, commentateur de textes, comédien étonnant au physique avantageux, imitateur tout à la fois cruel et bienveillant de nos petites manies, travailleur infatigable, Guillaume Faye publiait, parlait dans toute l’Europe, animait les conférences des responsables du GRECE et semblait traverser les heures, les jours, les mois et les années sans faiblir, sans même respirer comme l’homme pressé de Paul Morand. […]
Un jour, au début des années deux-mille et alors que je le raccompagnais après un dîner au restaurant jusqu’à sa chambre de bonne, il s’arrêta devant une ruelle montante. Et dans cette calme nuit d’été, il me dit qu’il y avait là une petite chapelle. Où il se rendait quelquefois le matin, après une nuit d’écriture. Je n’en croyais pas mes oreilles. Mais ce n’était que le début de ma surprise car il ajouta, avec un clin d’oeil au maurassien qu’il avait si souvent brocardé, qu’il allait prier Madame Marie et Monsieur saint Michel…
En avril 2018, je l’appelai pour le féliciter. Encore une fois, il m’avait surpris comme il avait surpris tout le monde. Au beau milieu du concert national de louanges réservé à cet officier de gendarmerie qui s’était offert en otage à la place d’une caissière de supermarché avant de se faire assassiner par le terroriste, Faye rappelait dans un article et, avec ses mots qui tranchent, cette notion de devoir d’état d’un gardien de l’ordre, devoir qui lui impose d’éradiquer les nuisibles. Pas de mourir comme une assistante sociale.
Et c’est en regardant son intervention sur TV-Libertés à ce sujet, que je compris que mon vieux camarade était rentré dans la dernière ligne droite.
Je ne l’avais pas vu depuis dix-huit mois. Certes, il avait beaucoup changé ces dernières années. Usé par la misère sociale, l’intempérance et sans doute aussi par cette vilaine inquiétude lancinante qu’il gardait jalousement pour lui depuis toujours, Guillaume n’était plus que l’ombre de lui-même.
Son physique flamboyant n’était qu’un souvenir. L’esprit semblait intact mais la voix était fragile et le pas hésitant. Il continuait à ne jamais se plaindre mais j’ai su en ce jour de mai 2018, autant que je pouvais en juger, qu’il allait être confronté à cet Ernsfall (cas sérieux) dont il nous avait rebattu les oreilles quand il explorait la drôle de métaphysique du philosophe rhénan Heidegger.
Son cas était effectivement très sérieux. Sans couverture sociale, sans moyens véritables, il partagea son temps entre un service d’un grand hôpital parisien et un centre de soins palliatifs.
Depuis ma lointaine province, j’allais le voir à l’hôpital à Paris au rythme d’une visite tous les quinze jours. Je lui écrivais très souvent des longues lettres pour rompre ce qu’il appelait sa détention. Dans sa chambre d’hôpital, nous parlions de politique, de livres, de souvenirs communs, des amis et des ennemis. Je lui donnais des nouvelles, lui racontais mes activités.
Seulement, un jour, faisant allusion aux cours que je donne dans une institution religieuse, Guillaume me dit tout à trac qu’il aimerait rencontrer ce dominicain dont je lui avais parlé plusieurs fois et qui, le connaissant par certains de ses livres, priait pour lui depuis que je lui avais dit que je visitais cet ami malade.
Le dominicain en question, ne pouvant se rendre à Paris, dépêcha auprès de Guillaume son copain de séminaire à Écône. Ce dernier m’interrogea longuement sur Guillaume qu’il ne connaissait pas et dont il ignorait complètement l’histoire. Je ne sais combien de fois ce prêtre est allé voir notre pauvre ami mais les discussions furent longues, argumentées et, même, quelquefois tendues. Je me rappelle avoir dit à Guillaume qu’il jouait avec ce brave prêtre son petit Maurras qui avait déclaré au chanoine Cornier venu le voir à la prison-hôpital de Tours : « Vous savez, curé, sur ce sujet, je suis coriace ! ».
C’est ainsi qu’après deux mois Guillaume se confessa. C’était à la fin du mois de janvier. Un jour, un de mes copains (un ancien du GRECE) lui a lu la liste des hommes et des femmes d’un groupe Internet qui priaient pour lui sans le connaître certes, mais alertés par quelqu’un (ce n’était pas moi).
Dans cette liste, il y avait, paraît-il, une Italienne inconnue, vivant en Namibie, et qui priait pour le signor Faye… Guillaume eut, selon ce camarade, les larmes aux yeux et dit qu’il s’agissait sans doute là d’une forme de communion des saints.
J’ai la conviction que ce fut un facteur déclenchant de sa demande formelle de recevoir les derniers sacrements. J’étais là quand il les reçut huit jours avant sa mort. Il était très affaibli et je puis dire qu’il répondait malgré tout au prêtre très clairement et quelquefois en latin. J’avoue que ce jour-là, à un instant, je me suis pourtant demandé quel était son degré réel de lucidité. J’ai douté un moment, j’en conviens volontiers, d’autant que, la cérémonie terminée, il s’est mis à prononcer des mots apparemment incompréhensibles.
Nous nous sommes rapprochés du chevet et nous avons alors compris qu’il récitait en grec, et en la commentant en français, l’entrevue entre le Christ et Pilate. A la fin, Guillaume s’est redressé et a dit : « Oui, Padre, Il a dit au général (sic) Pilate qu’Il était roi… ».
C’est dans ces conditions que Guillaume est parti le jour du Mercredi des Cendres. Il avait soixante-dix ans.
Ce sont là les faits bruts du retour à Dieu de mon vieux camarade Guillaume Faye. Des faits indiscutables et lumineux que j’ai voulu illustrer par quelques souvenirs avant que le temps ne les efface.
Certes, un fait abject s’est produit quelques heures avant sa mort.
Certes, des paroles médiocres furent prononcées lors de ses obsèques curieuses.
Certes, des écrits mesquins me furent adressés depuis.
Mais vous savez comme moi que tous les francs-maçons n’ont pas forcément un tablier…
Je ne souhaite pas assombrir la lumière de la leçon que m’a donnée en mourant mon vieux camarade Guillaume Faye.
Je prie pour que Monsieur saint Michel l’introduise un jour au Paradis car Madame Marie a pu voir comment il s’est ouvert, à la fin de sa vie, à la miséricorde divine en revenant, selon l’expression du prêtre qui l’administra, « à la foi de son enfance et en toute simplicité de coeur ». »