[27/06/12 : étant donné que ce livre et son auteur jouissent encore d’une certaine publicité (vente chez Chiré, dédicace à la fête du livre de Radio Courtoisie dimanche dernier), nous remettons à l’honneur l’article ci-dessous, paru il y a quelques mois.]
En ce dimanche, évoquons un livre qui fait pas mal parler de lui : Jésus (honteusement sous-titré le Jésus de l’Histoire) de l’historien (de droite) Jean-Christian Petitfils.
L’abbé Puga (de saint Nicolas du Chardonnet) en fait une intéressante critique :
« Spécialiste de l’histoire française des XVIIe et XVIIIe siècles, auteur de nombreux ouvrages appréciés à juste titre sur cette période, il tente dans son nouveau travail une aventure d’historien à la recherche des données historiques sur la vie du Christ. Avant lecture on aurait pu s’attendre à une étude fouillée (le livre comporte plus de 650 pages !) de l’historicité des documents évangéliques, de leur crédibilité et à partir de là découvrir l’élaboration d’une vie de Jésus fondée sur des faits indubitables en montrant par exemple leur corrélation et leur conformité avec les données de l’histoire de l’Antiquité.
Un postulat regrettable
Mais tout en proclamant vouloir ne faire qu’œuvre d’historien, l’auteur s’engage dans une toute autre voie non scientifique. Cherchant son inspiration auprès de quelques exégètes modernes du XXe siècle comme Xavier Léon Dufour, le P. Benoit, le P. Grelot et surtout en se mettant aveuglément à la remorque des thèses de l’Ecole Biblique de Jérusalem, Jean-Christian Petitfils part d’un a priori : le genre littéraire des évangiles, et tout spécialement des évangiles que l’on nomme synoptiques (Matthieu, Marc, Luc), serait un genre tout à fait à part. En effet l’intention des auteurs ne serait pas de nous rapporter les événements tels qu’ils se sont déroulés en réalité mais tels que les auteurs les ont perçus et entendent les transmettre aux fidèles. Bien entendu, en aucun endroit de son ouvrage Jean-Christian Petitfils ne nous explique, et encore moins ne nous démontre, pourquoi il en aurait été ainsi et pourquoi, surtout, il a choisi, lui historien, de suivre cette thèse qui a toujours été rejetée dans l’Eglise catholique jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais, comme le déclare notre auteur sans nostalgie aucune, c’était une « époque pas si lointaine où l’on tenait les écrits évangéliques pour vérité historique irréfragable » (p. 469). Saint Pie X stigmatisait déjà il y a un siècle les exégètes modernistes : « Il semblerait vraiment que nul homme avant eux n’a feuilleté les livres saints, qu’il n’y a pas eu à les fouiller en tous sens une multitude de docteurs infiniment supérieurs à eux en génie, en érudition » (encyclique Pascendi). Les vingt pages de bibliographie à la fin de cet ouvrage sur Jésus sont éloquentes : 98 % des études citées sont postérieures aux années soixante. En un mot avant le concile Vatican II, il semblerait que la véritable exégèse n’ait pas existé. Des grands noms qui ont illustré, tant dans les universités romaines que dans les instituts catholiques, la défense de l’historicité des évangiles, pas un seul n’est cité, comme par exemple les pères Tromp, de Grandmaison, Renié, l’abbé Fillion etc…
Influencé par les études de Xavier Léon-Dufour, Jean-Christian Petitfils manifeste une préférence indéniable pour l’Evangile de Jean (qui, pour notre auteur, n’est pas de saint Jean l’apôtre…) au point d’entreprendre de nous libérer en matière historique de la « Tyrannie du Jésus des Synoptiques » (p. 544). C’est pourquoi, tout au long de son ouvrage, il n’a de cesse de mettre en doute la réalité des événements que les évangiles de Matthieu, Marc et Luc nous rapportent. Un épisode rapporté par ceux-ci viendrait à être absent de l’évangile de Jean, aussitôt la suspicion apparaît quant à sa vérité. Cela n’empêche pas l’auteur de prétendre que Jean lui-même n’est pas forcément toujours fidèle à l’histoire réelle, la part de symbolique ayant son rôle !
Une vision partiale et fausse
Quelles vont être les conséquences de l’application par l’auteur d’un tel filtre d’a priori sur l’historicité de nos évangiles ? Donnons quelques exemples tirés de l’ouvrage lui-même. Il ne sera pas alors difficile au lecteur de comprendre que, pour Jean-Christian Petitfils, il y a un fossé entre le Christ de la Foi et le Christ de l’Histoire.
Le récit de la tentation du Christ au désert est un « récit fictif illustrant une idée théologique ». (p. 96). Le voir autrement serait faire preuve d’une « lecture fondamentaliste.» (Idem).
La prière et l’agonie de Jésus à Gethsemani : « Le récit des synoptiques est une construction élaborée à partir de diverses traditions et phrases hors de leur contexte » (p. 290). « Historiquement il n’est pas simple de dire ce qu’il s’est passé » et l’auteur de renvoyer l’épisode au dimanche de l’entrée triomphale dans Jérusalem en l’assimilant à un tout autre épisode rapporté par l’évangile de Jean.
Le baiser de Judas ? « Peut-être une figure littéraire et symbolique soulignant la perfidie extême » (p. 309).
La comparution de Jésus devant le Sanhédrin dans la nuit du jeudi au vendredi durant laquelle le Christ se déclarant Fils de Dieu ce qui lui vaut d’être déclaré digne de mort ? Lisez bien : « Jésus n’a jamais comparu devant le Sanhédrin ». « Les évangélistes ont agrégé dans un procès fictif l’ensemble des éléments qui l’opposaient aux autorités juives ». (p. 320).
Le procès devant Ponce-Pilate ? Sur le plan historique affirme l’auteur, « il n ‘y a aucune certitude que les événements se sont passés comme Matthieu les rapporte » ; (p. 350). Et bien sûr Jean-Christian Petitfils, pour ne pas aller à l’encontre de la pensée dominante contemporaine, n’hésite pas à déclarer que les paroles des Juifs réclamant sur eux la responsabilité du sang qui va être versé (paroles qui selon lui n’ont probablement pas été prononcées !) « vont nourrir chez les chrétiens un antijudaïsme, une haine des Juifs comme peuple déicide, que rien, absolument rien ne justifie. Elles vont servir de prétexte à des siècles de meurtres, de pogroms et d’incompréhension » (p. 350). Trois fois l’auteur réaffirme cela dans son ouvrage.
« Mon Père pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Que penser de cette parole de Jésus sur la Croix ? « Ce cri de détresse a-t-il réellement jailli de la bouche de Jésus » se demande l’auteur ? « Certains en ont douté. » Mais on peut « supposer un arrière fond historique ». D’où la question qu’il se pose, sans y répondre : « A partir de quel élément réel les synoptiques ont-ils élaboré leur version ? » Il avance cependant une hypothèse « Jésus aurait simplement soupiré : Mon Dieu, c’est toi » ! (p. 393). Comme on le voit en quelques lignes il ne reste quasiment rien de l’historicité de l’une des paroles les plus sublimes et bouleversantes du Christ méditée par les générations de chrétiens depuis les origines de l’Eglise.
Pour les récits de la Résurrection du Christ, il en est de même : « On n’est pas obligé de croire littéralement Matthieu lorsqu’il nous dit que l’Ange s’adresse aux femmes pour leur dire que le Christ est ressuscité » p. 434. Et l’auteur de conclure : « C’est ici au tombeau vide que s’arrête l’Histoire et que commence la Foi. L’historien sans s’engager sur la résurrection de Jésus ne peut à partir de ce moment qu’enregistrer les témoignages, les confronter » (p. 432). Mais permettons-nous d’objecter gravement à l’auteur : si l’historien ne peut me dire si les témoignages sur la résurrection de Jésus sont crédibles, qui pourra m’en donner la certitude pour me permettre de poser mon acte de Foi ?
Les récits de l’enfance
Jean-Christian Petitfils n’examine les récits évangéliques de l’enfance de Jésus qu’à partir de la page p. 451 dans son épilogue. Cela en dit déjà long sur l’estime que l’historien qu’il se veut d’être leur porte ! Que dit-il ? « Ces récits n’entretiennent pas le même rapport avec l’Histoire que les récits de la vie publique de Jésus. » (Et nous avons vu auparavant que l’historicité de ces derniers avait déjà beaucoup de lacunes !) « Ils sont le fruit d’une activité rédactionnelle élaborée… dans le dessein spécifique d’exalter l’origine divine de Jésus dans sa conception (p. 454)… Leur théologie prend volontairement la forme du merveilleux.
Leur écriture colorée, enjolivée d’anecdotes, fait la joie de la piété populaire. » (p. 455). Et l’auteur de citer le cardinal Ratzinger : « Ces récits débordent radicalement le cadre de la vraisemblance historique ordinaire et nous confrontent avec l’action immédiate de Dieu ». Tout est là, pour Jean-Christian Petitfils et ses inspirateurs : sans la foi, il est impossible de dire ce que fut historiquement l’enfance de Jésus.
Concluons. Tout l’ouvrage est sous-tendu par une vision moderniste de l’inspiration des écritures, que le pape saint Pie X a parfaitement stigmatisée et condamnée dans son encyclique Pascendi : « Ils distinguent, dit le Pape, soigneusement l’Histoire de la foi et l’histoire réelle ; à l’histoire de la foi, ils opposent l’histoire réelle, précisément en tant que réelle ; d’où il suit que des deux Christ l’un est réel ; celui de la foi n’a jamais existé dans la réalité ; l’un est venu en un point du temps et de l’espace, l’autre n’a jamais vécu ailleurs que dans les pieuses méditations du croyant ».
Jean-Christian Petitfils, en écrivant son « Jésus » ne s’est sans doute pas rendu compte qu’en se mettant à l’école d’exégètes modernistes plutôt que d’agir en véritable historien, il perd toute vision objective de la véritable histoire de Jésus. Pour le non chrétien, cet ouvrage ne pourra l’amener qu’à la conclusion que l’on ne possède guère de sources crédibles sur l’histoire du Christ. La foi du lecteur chrétien, quant à elle, sera ébranlée au point qu’il finira par se demander si le Christ auquel il croit est bien le même que celui qui a vécu parmi nous. Echappé de sa période historique habituelle où il excelle, Jean-Christian Petitfils a fait une téméraire incursion dans l’Antiquité Chrétienne.
Ce fut un désastre. Vite, qu’il retourne à son époque de prédilection ; c’est là que nous l’apprécions.
Jésus, Jean-Christian Petitfils, Fayard, 2011, 670 pages.
Abbé Denis PUGA »
Article extrait du Chardonnet n° 275 de février 2012
Via La Porte Latine
Même DPF (Chiré) s’y est laissé prendre qui présente élogieusement le sieur Petitfils dans sondernier catalogue n° 458 de février !
Attention avec ces néo-modernistes qui vous font avaler des couleuvres.
DPF a de bons ouvrages, mais il faut trier, DPF n’est pas la tradition, ils voyagent…
DPF à Chiré fait un excellent travail, c’est une des meilleures librairies de France et de renommée quasi mondiale, avec en plus des revues de grande importance comme Lectures Françaises surtout politique et Lecture et Tradition surtout religieuse mais aussi d’analyse d’ouvrages importants.
Qu’un poison se glisse dans la grande quantité de livres présentés, c’est quasi inévitable, tout comme l’Eglise ne fut pas exempte dès son origine , de la trahison de Judas et du reniement de Pierre.
Aucune société, aucun système n’est parfait, Chiré est prévenu , c’est lui rendre service que de l’aider par nos remarques et la soutenir par nos achats de livres.
Cette maison, et d’autres comme SLB à Villegenon, sont des outils d’information qui nous sont nécessaires, voire indispensables.
En revenir déjà aux fondamentaux et à l’incontournable BIBLE dite d’Osty (Chanoine Emile Osty) on n’a jamais fait mieux et ça risque pas de changer. Tablez sur une valeur sûr! pas sur une bible Segonds (trop protestante) Tant qu’à faire hein? Vous me direz : pour un athée, z’êtes bien pointilleux!; ben oui, je suis. La Bible Osty c’est du solide, pas des élucubrations. 😀
La Jérusalem n?est pas mal non plus, mais il est vrai que l’Osty reste la meilleure.
Beaucoup d’anciens faisaient l’éloge de la Bible Crampon pour sa précision de traduction.Son défaut : l’impression est petite et serrée.
L’abbé Glère ( je ne sais pas l’écrire) a fait lui aussi un très bon travail, sa Bible est de bonne taille et très bien traduite aussi.
Tchetnik
salut! la Bible Osty ET Trinquet est un monument d’érudition. Un de mes amis a travaillé avec Trinquet d’une culture considérable, parlant, traduisant plusieurs langues anciennes… et qui est en fait le principal rédacteur… Quand j’ai besoin d’une précision je sais donc à qui demander. Ca nous fait des discussions sympathiques 😀
La Crampon n’est pas mal, mais un peu littérale dans les épitres. Darby, même s’il était protestant (en se faisant quand même virer de partout…) a eéalisé une traduction qui reste correcte, bien meilleure que la Second, d’ailleurs.
La Bible de Navarre est excellente aussi, texte latin en parallèle, introduction riches des livres, les commentaires doctrinaux sont copieux et clairs et surtout conforme à la Tradition, (loin des commentaires douteux écrits par des théologiens libéraux qui se retrouvent ensuite en loges), elle a aussi un index bien pensé. Bémol, prix des tomes (un ça va, deux ça va moins, trois ça va plus trop, etc…), sa rareté, et plusieurs tomes encore non traduits ou introuvables en français (dont l’Ancien Testament).
Enfn, Osty et Jérusalem suffisent.
Pour ceux qui s’intéressent à la critique textuelle, à l’archéologie biblique, il y a les bulletins de l’association Jean Carmignac ici :
http://www.abbe-carmignac.org/bulletins.php
une mine d’or.
Pour info un manuscrit de Marc du 1er siècle (quasiment sûr pour l’instant) a été découvert, donc du vivant de plusieurs témoins oculaires de l’église naissante! Découverte formidable, seulement il va falloir attendre l’année prochaine pour les premières conclusions.
Oui, parmis les bibles traduites par les protestants, la Darby en français et la New King James en anglais sont les plus correctes.