« Le réalisateur américain Scorsese, d’origine italienne et catholique – mais devenu agnostique -, possède un talent indiscutable dans son art. Il a excellé dans la réalisation de films policiers ou de fresques historiques, parfois en combinant les deux genres, comme, parmi tant d’autres, dans Gangs of New York (2002), ou, le biopic très réussi d’un génie-fou Aviator (2004). Il a surtout réalisé, chose rare à Hollywood, deux films à sujets explicitement religieux : la Dernière Tentation du Christ (1988), film blasphématoire antichrétien – reprenant, derrière le voile d’un songe, une tradition gnostique d’un Jésus père de famille nombreuse avec Marie-Madeleine – et Kundun (1997), film absolument hagiographique sur le Dalaï-lama et le bouddhisme tibétain. Le contraste entre les démarches des deux films est pour le moins flagrant : attaque blasphématoire contre le christianisme, piété fervente pour le bouddhisme. Silence donne à nouveau l’occasion au réalisateur d’opposer christianisme et bouddhisme, pour le plus grand triomphe du second…
Nous révélerons ici délibérément la fin du film, qui n’est pas évidente au cours de projection, car elle est essentielle et lui donne tout son sens. Elle est explicitement antichrétienne : le doute n’est pas permis à ce sujet.
Aussi Silence est-il encensé dans une peu surprenante unanimité par les médias hostiles au christianisme, à l’étranger ou en France. Par exemple, Silence est couvert sur six pages dithyrambiques par la version internationale du magazine américain progressiste Time, chose des plus rares pour un film ; en France, les magazines généralistes, Le Point, l’Obs, Télérama, ou ceux spécialisés en cinéma, comme Première, sont totalement séduits…Mais, de façon a priori plus étonnante, beaucoup de publications physiques ou en ligne qui s’affirment chrétiennes, et que nous aurons ici la charité de ne pas dénoncer, ont chaleureusement recommandé Silence à leurs lecteurs. Le film poserait « de bonnes questions », « interrogerait la foi »… Nous voulons bien l’admettre. Le futur martyr est sujet à des angoisses, à des doutes, certainement… Mais le problème véritable et incontournable réside dans la réponse, à savoir l’apostasie de la foi chrétienne. Le christianisme ne serait qu’une illusion trompeuse, son Dieu silencieux n’existerait pas, puisque silencieux…D’où le titre Silence…Ce n’est tout de même pas rien ! Oui, les images sont superbes, nous reconnaîtrons sincèrement toutes les qualités esthétiques ou narratives au film, qui n’en est que plus dangereux, mais il diffuse un message de haine de la foi chrétienne, ou si ce n’est peut-être pas de haine au sens le plus strict, du moins de complet mépris.
UN FILM SUR L’APOSTASIE DE PRETRES CATHOLIQUES
Aussi y avait-il tout lieu de s’inquiéter dès l’annonce du tournage de Silence, film consacré à la persécution très dure subie par les catholiques japonais dans leur pays dans leur première moitié du XVIIème siècle. En quelques décennies, les 500.000 catholiques japonais en 1600 – soit 2,5 % de la population du pays, un total faible mais pas absolument négligeable – ont officiellement complètement disparu, par apostasie ou mise à mort. Cette disparition a été causée par une persécution intense, durable, décidée par le pouvoir politique central shogunal de Kyoto. Quelques dizaines de milliers de chrétiens, sans évêques ni prêtres, ont néanmoins survécu clandestinement jusqu’à la fin du XIXème siècle et le renouvellement de l’autorisation légale du christianisme. Toutefois, ce christianisme subsistant n’est pas resté orthodoxe ou exempt de syncrétisme avec le paganisme nippon traditionnel –shintoïsme, curieusement quasi-occulté en tant que tel et assimilé au bouddhisme dans le film – et le bouddhisme.
Cette fresque historique est introduite par les pérégrinations de trois prêtres portugais : le père Ferreira a disparu, et il est réputé apostat. Ses deux anciens disciples ne veulent pas croire à cette apostasie – il est si facile de calomnier, surtout lorsque la vérification des faits est si difficile… Aussi ces pères Rodrigues et Garupe décident alors de rejoindre le Japon clandestinement, afin de démontrer l’innocence de leur maître, probable martyr pensent-ils, et soutenir les catholiques nippons. Les acteurs s’expriment en anglais, ce qui est supposé tenir lieu du portugais historique. Ils échangent en langue européenne avec les Japonais ; historiquement, le contraire a eu lieu, les Jésuites ont fait l’effort d’apprendre le japonais. Cette erreur n’est pas innocente, puisqu’elle fait croire à une négligence et un mépris de la culture locale, contresens historique majeur. La haine du prétendu « christianisme colonial » n’est pas loin, et tient du contresens majeur contre les Jésuites, qui ont toujours poussé très loin, parfois trop – comme lors de l’affaire des rites chinois – l’acculturation.
Les faits rapportés dans Silence, soit le supposé « silence » de Dieu face aux prières des fidèles persécutés qui donne donc un titre déjà tout sauf innocent, sont repris du roman historique nippon Shuzako Endo (1966), au titre identique, peu connu hors de son pays. Le récit renvoie à des faits réels, mais avec moult inexactitudes dans les détails, et il mélange les biographies de plusieurs prêtres apostats. Dans leur grande masse, les prêtres ont été fidèle à la foi catholique et sont morts martyrs, ce qui est peu montré dans l’œuvre de Scorsese. Le martyre d’un des trois prêtres, seul fidèle, personnage secondaire dans l’intrigue, est filmé de façon brève, confuse, et fait presque figure d’accident…Esthétiquement, la scène est ratée, ce qui est fait exprès évidemment, en contraste avec la maîtrise constante d’images très soignées tout au long du film. Silence est absolument malhonnête, systématiquement, subtilement parfois, mais de façon indiscutable, du moins pour les critiques de cinéma sérieux et honnêtes – ce qui est loin d’être le cas de tous.
POURQUOI CE SUJET NIPPON PEU CONNU ?
Pourquoi le réalisateur-vedette Scorsese s’est-il emparé de ce sujet peu connu en Occident ? Il n’est même pas certain qu’il soit bien connu même au Japon. Le pays est connu pour son amnésie systématique des passages peu glorieux ou discutables de son Histoire. D’aucuns avancent une fantaisie personnelle, une admiration littéraire pour le roman Silence. Pourquoi pas ? Mais il pourrait y avoir des motifs plus profonds.
La question se pose d’autant plus que ce thème est peu vendeur en lui-même, et encore moins du fait de la façon d’aborder le sujet : plutôt que de célébrer les nombreux martyrs nippons – il y aurait peut-être un public chrétien pour un tel film -, le point de vue de Scorsese est celui de la sympathie affichée envers les apostats du christianisme indigènes, et encore plus deux prêtres jésuites portugais. Scorsese a affiché publiquement l’intention de vouloir rendre un hommage général à ces chrétiens nippons persécutés… Il y a une part de tromperie délibérée dans ce propos. Tout au plus, suivant la morale mondialiste onusienne, peut-il constater que leur droit à la liberté religieuse n’a en aucune manière été respecté. Mais le message du film sous-entend lourdement qu’en cas de persécution les gens raisonnables apostasient, pour éviter des ennuis à eux-mêmes comme à autrui. Ne pas apostasier serait non pas la marque d’une conviction profonde, d’une fermeté d’âme, d’un soutien divin effectif pour les martyrs, mais d’une obstination stupide, pathologique, suicidaire…Il y a là de quoi choquer le chrétien convaincu, et ébranler sûrement la vraie cible du film, celui pris de doutes.
Il existerait une forme de religion naturelle universelle, qui aurait pris historiquement la forme du christianisme en Europe, et la forme du bouddhisme en Asie Orientale. Ainsi, les prêtres catholiques apostats découvriraient avec profit la sagesse orientale dans les pagodes bouddhistes nipponnes. Plutôt que d’adorer Jésus, Dieu incarné, l’ancien apostat, le père Cristovao Ferreira (interprété par Liam Neeson), enseigne au nouvel l’apostat, le père Sebastiano Rodrigues (interprété par Andrew Garfield), à adorer le soleil, manifestation de la divinité en ce monde selon les traditions nippones.
Les martyrs nippons, au sang abondamment versé, avec des dizaines de milliers de morts, ont-ils converti le Japon ? Non, le Japon n’est jamais devenu chrétien ; actuellement son paganisme traditionnel se mélange fort bien avec un matérialisme pratique très développé. Ainsi, il y a sûrement de la part de Scorsese comme une moquerie délibérée de l’adage chrétien des « martyrs semence de chrétienté à venir ». Aucune chrétienté n’a émergé au Japon, du moins de manière numériquement significative. Il reste qu’un adage populaire pie n’est pas une vérité de foi ; et il s’est souvent vérifié ailleurs, à commencer par le cas le plus célèbre, celui de l’Empire Romain, mais également dans moult exemples plus méconnus, comme l’Ouganda.
LES CODES ESTHETIQUES DU PEPLUM CHRETIEN RETOURNES
Scorsese est, sur le plan de la technique cinématographique, un grand réalisateur qui connaît son métier. Le rythme du film est lent ; mais il n’ennuie jamais. Certains plans sont superbes. Les paysages du sud du Japon sont magnifiques, et contrastent terriblement avec le drame vécu par les chrétiens. Silence débute exactement comme un film pieux, dans le genre du péplum chrétien. Dans une reconstitution d’époque, où le souci d’exactitude passe souvent après celui de l’exotisme et du spectaculaire, des chrétiens héroïques sont confrontés à des persécutions. Le chef d’œuvre du genre est Quo Vadis de 1951, la meilleure adaptation du célèbre roman de Sienkiewicz (1896, Prix Nobel de littérature en 1905). Ces films se déroulent le plus souvent au premier siècle, autour des premiers chrétiens, qui subissent les premières persécutions, en particulier sous Néron. Le public chrétien est ému de retrouver le Christ, et les apôtres comme saint Pierre, ou saint Paul. Cette Eglise primitive permet aussi de rassembler tous les chrétiens, alors que les films chrétiens postérieurs doivent souvent prendre parti entre catholiques et orthodoxes, ou catholiques et protestants.
Aux références esthétiques au péplum se mêlent, du fait du sujet, celle du film nippon en costume traditionnels. Les samouraïs sont là, avec leurs sabres ; et ils tuent les chrétiens. Les images sont esthétiquement réussies. Avec une fin différente, l’acceptation du martyr au lieu de l’apostasie du personnage principal, Silence aurait pu être une forme de péplum chrétien fort acceptable. Ce n’est hélas pas du tout le cas. Le retournement des codes vise à renverser tout un genre cinématographique, ni plus ni moins, pour promouvoir l’apostasie.
L’esthétique particulière et reconnaissable du péplum doit servir aussi à séduire des chrétiens, qui croient reconnaître ces fameux codes attendus. Certaines scènes, surtout dans la première partie du film, de distribution des sacrements, sont même belles par leur sens catholiques. Mais elles sont mises au service d’un film d’esprit mauvais. Il y a peut-être l’espoir de tromper un public chrétien, d’introduire dans son esprit le doute.
Le film est très élaboré dans son retournement systématique des canons esthétiques chrétiens traditionnels, au-delà de ceux du péplum chrétien. Liam Neeson, interprétant le père Ferreira apostat, apostat et maître en apostasie, a une allure éminemment christique. Il a une conduite, un discours, calmes, sages, ressemblant à ceux du Christ – pour mieux renier le Seigneur
UNE ATTAQUE EN REGLE DU CHRISTIANISME
Cet esprit de Silence n’est pas matérialiste au sens strict. Il est plutôt spiritualiste, reflète un fond maçonnique relevant d’une prétendue religion, ou d’une sagesse religieuse, universelle. Cet esprit est contraire au message de Jésus-Christ, défini dans les Evangiles comme seule voie du Salut. Le Christ a affirmé la nécessité de la conversion à son Eglise. Il ne s’est pas voulu un sage proposant une voie de développement personnel parmi d’autres, son reflet de la religion universelle…Il n’est d’ailleurs guère question de salut dans Silence. Les fidèles apostats multirécidivistes sont toujours pardonnés, fort légèrement et sans pénitence aucune, au grand scandale des fidèles constants – implicitement et à tort vus comme des pharisiens. Les prêtres apostats suivraient leur voie propre, fusionneraient sur un mode bouddhique avec l’univers après leur mort…Il n’y a pas un mot évoquant la perspective claire de damnation éternelle, et ce d’autant plus que ces prêtres sont des exemples pour les laïcs catholiques nippons, chose parfaitement comprise des autorités persécutrices.
Certains traits psychologiques sont justes, relevant de la sagesse humaine : un prêtre visiblement orgueilleux a beaucoup plus de chances de tomber qu’un modeste. Soit, mais c’est une vraie chute, au sens plein et entier, non quelque prise de conscience, comme affirmé dans Silence…De même une fois un petit acte d’apostasie accompli, piétiner les images pieuses, la voie est ouverte à tous les reniements de plus en plus graves, jusqu’à des textes développés d’apostasie, et même des traités de réfutation du Christianisme ; il en a en effet existé historiquement, écrits effectivement en japonais par des prêtres apostats.
Lors des débats théologiques et philosophiques présents dans le film sur la vérité, absolue ou relative, des diverses croyances, le point de vue nippon traditionnel et antichrétien est mis en valeur. Ainsi, les religions « vraies » seraient relatives au contexte culturel, le christianisme l’étant pour l’Europe, comme le bouddhisme pour l’Asie Orientale. Le christianisme ne serait qu’une croyance superficielle, ne relevant que du monde apparent et superficiel. Le Bouddha proposerait au contraire de dépasser ce niveau de vision primaire, faux, illusoire. Le christianisme serait une croyance primitive, égarant les esprits simples, y compris un temps bref des communautés de pauvres pêcheurs du sud du Japon, tandis que le bouddhisme offrirait une véritable voie de progression aux sages authentiques, tout en ayant un niveau simple pour les gens simples.
Face à ces objections, le Jésuite reste à peu près muet, ou ne répond que de manière maladroite. Il n’emploie qu’un argument pertinent : la vérité est absolue, donc ce qui est vrai à Lisbonne doit l’être aussi à Nagasaki. Pour ses adversaires nippons, cette affirmation est primitive, et il se contente d’un sourire méprisant ; la vérité absolue n’existerait pas, ou serait inaccessible à l’esprit humain. Notre époque relativiste, imbibée à son insu de préjugés maçonniques, pense exactement comme le bouddhisme, et ce sourire méprisant est jugé suffisant aussi pour le spectateur…
L’apostasie des Jésuites du film suit aussi une logique intellectuelle. Il y a un rôle indéniable de la peur, peur devant les tortures, mais cette peur est d’autant plus forte que l’âme est assaillie de doutes…Au fond, ces Jésuites apostats finissent persuadés par le point de vue traditionnel nippon, absorbés dans cette civilisation totalement autre. Selon la doctrine catholique cette apostasie, a fortiori une apostasie durable, persistante, devrait leur valoir la damnation éternelle. Visiblement, ils ne s’en soucient nullement. Un prêtre apostat, après des décennies d’apostasie constante et renouvelée, meurt avec une petite croix-talisman dissimulée dans ses habits : peut-être s’est-il forgé in petto un syncrétisme personnel, mais il est mort publiquement en païen, en apostat, sans doute possible.
Le public chrétien doit fuir absolument Silence. Tout au plus un public chrétien adulte, bien formé et solide dans sa foi, peut-il le voir pour analyse, afin de le dénoncer en connaissance de cause. Il est un fidèle reflet, via la reprise d’attaques historiques de la fausse sagesse traditionnelle nippone du XVIIème siècle, de l’esprit général antichrétien de notre monde actuel.
Hector JOVIEN »
Critique lue sur Reinformation.tv