L’étau se resserre autour des autorités britanniques dans le scandale du Libor. Lundi 10 avril, la BBC a diffusé l’enregistrement d’un appel téléphonique au sein de Barclays qui semble mettre directement en cause la Banque d’Angleterre (BoE) et le gouvernement britannique. Selon le document, ceux-ci auraient ordonné à Barclays de mentir, en baissant artificiellement le Libor, le taux d’intérêt auquel l’établissement pouvait emprunter.
L’affaire remonte à l’automne 2008. La faillite de Lehman Brothers provoque alors la panique sur les marchés et les banques britanniques vacillent. Très inquiètes, les autorités, outre-Manche, décident de tout faire pour enrayer la crise. Elles préparent en secret un grand plan de secours des établissements les plus fragiles. Discrètement, elles se concentrent aussi sur un indicateur, jusqu’alors peu connu du grand public : le Libor.
Ce taux d’intérêt est celui auquel les banques se prêtent entre elles. Chaque jour, les établissements doivent informer l’Association des banquiers britanniques (BBA) du niveau auquel ils ont pu emprunter des liquidités. Une moyenne pondérée est ensuite réalisée, servant de taux de référence pour des milliers de produits financiers.
Mais, en pleine tempête financière, le Libor prend une nouvelle dimension, celle de thermomètre de la crise. Si un établissement indique qu’il emprunte à un niveau trop élevé, c’est le signe qu’il a du mal à lever de l’argent, et donc qu’il est en difficulté.
Pour éviter la panique, les autorités britanniques font donc tout pour éviter que le Libor n’augmente trop. Quitte à obliger les banques à mentir et à informer les marchés d’un taux artificiellement bas ?
La BoE a toujours démenti vigoureusement. Mais, depuis des années, les soupçons se multiplient. Paul Tucker, alors vice-gouverneur de l’institution, est particulièrement mis en cause. En octobre 2008, il a appelé Bob Diamond, alors le patron de Barclays. Selon les notes prises par ce dernier pendant la conversation, il lui aurait dit : « Il n’est pas toujours nécessaire que [le taux de Barclays] apparaisse aussi haut. » N’est-ce pas un ordre clair de manipuler le Libor ?
Pour éclaircir cette histoire, un comité parlementaire a convoqué les deux hommes en 2012. Tous les deux ont choisi de nier en bloc, rejetant tout trucage du Libor et expliquant que les notes ne reflétaient pas le contenu de la conversation. Face aux députés, M. Diamond affirmait même qu’il n’avait jamais entendu parler de cette pratique d’abaisser artificiellement le taux d’intérêt jusqu’à ce que le scandale éclate.
Le nouvel enregistrement révélé par la BBC vient jeter le doute sur cette explication. Il s’agit d’une conversation téléphonique entre Mark Dearlove, un haut cadre de Barclays, et Peter Johnson, l’homme chargé chaque jour de soumettre à la BBA le niveau du taux d’emprunt.
« Tu vas détester ça… mais on est sous une très forte pression du gouvernement britannique et de la [BoE] pour baisser le Libor », explique M. Dearlove. « Donc, on doit le baisser au-dessous du niveau réaliste auquel je pense qu’on peut obtenir de l’argent ? », interroge M. Johnson. « Absolument. En fait, on a la [BoE], toutes sortes de personnes impliquées dans ce truc… Je suis aussi réticent que toi, mais ces types nous ont juste dit de le faire. »
En réveillant les soupçons contre la BoE, l’enregistrement a renforcé le malaise de plus en plus fort qui entoure les procès des traders poursuivis par avoir manipulé le Libor. Plusieurs ont été condamnés à des peines de prison pour des affaires qui datent, pour l’essentiel, d’avant la crise financière. A l’époque, ils demandaient à leurs collègues de soumettre à la BBA des niveaux un peu supérieurs ou inférieurs à la réalité, en fonction de leurs positions sur les marchés.
Mais ils agissaient dans la marge d’erreur de la journée, arrondissant une virgule, alors que la BoE est accusée d’avoir ordonné un trucage de plus grande ampleur. « On demandait un huitième de point de base (0,00125 %), tandis qu’ils demandaient 50 points de base, quatre cents fois plus », témoigne à la BBC Alex Pabon, un ancien trader américain de Barclays condamné à deux ans et neuf mois de prison pour avoir manipulé le Libor, et récemment libéré.
Il a l’impression de servir de bouc émissaire, aux côtés d’une vingtaine d’autres traders également poursuivis en justice. « Ils s’en sont pris aux petits », conclut-il. Entre les traders et la BoE, il y a toutefois une importante différence de motivation : là où les premiers ont agi par appât du gain, la seconde cherchait à éteindre l’incendie de la crise. La BoE a indiqué lundi qu’elle collabore pleinement avec les différentes enquêtes de justice en cours.
Source : Le Monde