Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel).
« La Vigile de Noël est imprégnée de sainte allégresse, et, n’étaient les ornements de pénitence et le jeûne, l’on croirait cette fête déjà commencée.
Ce Christ, nous dit saint Paul, est « Fils de David selon la chair et Fils de Dieu selon sa nature divine ». (Ép.) »
Dom G. Lefebvre
Introït Exodi 16, 6 et 7.
Aujourd’hui, vous saurez que le Seigneur va venir et qu’il nous sauvera. Et demain matin, vous le verrez dans sa gloire.
Ps. 23, 1. Au Seigneur appartient la terre et tout ce qui la remplit, l’univers et tous ceux qui l’habitent.
Collecte :
Seigneur Dieu, vous nous donnez chaque année la joie d’attendre notre rédemption. Et puisque c’est dans la joie que nous accueillons votre Fils unique, lorsqu’il viendra nous racheter, accordez-nous de pouvoir encore le regarder sans inquiétude, quand il reviendra pour nous juger.
Lecture de l’Epître de Saint Paul aux Romains :
« Paul, serviteur du Christ-Jésus, apôtre par son appel, mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu, Evangile que Dieu avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Ecritures, touchant son Fils né de la postérité de David selon la chair, et déclaré Fils de Dieu miraculeusement, selon l’Esprit de sainteté, par une résurrection d’entre les morts, Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat, pour amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les Gentils, du nombre desquels vous êtes, vous aussi, par appel de Jésus-Christ. »
Graduel :
Aujourd’hui, vous saurez que le Seigneur va venir et qu’il nous sauvera. Et demain matin, vous le verrez dans sa gloire.
V/. Ecoutez, Pasteur d’Israël, vous qui menez le peuple de Joseph comme un berger son troupeau. Vous dont le trône est porté par les Chérubins, montrez-vous aux descendants d’Éphraïm, de Benjamin et de Manassé.
Alléluia, alléluia. V/. Demain sera détruit le péché du monde et sur nous régnera le Sauveur de l’Univers.
Suite du Saint Évangile selon saint Mathieu :
« Marie, la mère de Jésus, ayant été fiancée à Joseph, il se trouva, avant qu’ils eussent habité ensemble, qu’elle avait conçu par la vertu du Saint-Esprit. Joseph, son mari, qui était juste et ne voulait pas la diffamer, se proposa de la répudier secrètement. Comme il était dans cette pensée, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe, et lui dit : « Joseph, fils de David, ne craint point de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qui est conçu en elle est du Saint-Esprit. Et elle enfantera un fils, et tu lui donneras pour nom Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. » »
Offertoire Ps. 23,7 :
Levez vos portes ô princes ! Haussez-vous, portails antiques : le Roi de gloire va faire son entrée.
Secrète :
Prévenant de nos vœux l’adorable naissance de votre Fils, nous vous supplions, Dieu tout-puissant, de nous donner d’en recueillir dans la joie les bienfaits éternels. Lui qui vit et règne.
Préface de la Sainte Trinité
Communion :
Le Seigneur apparaîtra dans sa gloire et tout être vivant verra le Sauveur notre Dieu.
Postcommunion :
Nous vous en prions, Seigneur : en l’anniversaire de la Nativité de votre Fils unique, accordez-nous de reprendre vie, puisque déjà nous sommes nourris et abreuvés par son mystère céleste.
COMMENTAIRE DE DOM GUÉRANGER
(extrait de l’Année liturgique – disponible ici avec ses autres livres) :
« Enfin, dit saint Pierre Damien dans son Sermon pour ce jour,
« nous voici arrivés de la haute mer dans le port, de la promesse à la récompense, du désespoir à l’espérance, du travail au repos, de la voie à la patrie. Les courriers de la divine promesse s’étaient succédé ; mais ils n’apportaient rien avec eux, si ce n’est le renouvellement de cette même promesse. C’est pourquoi notre Psalmiste s’était laissé aller au sommeil, et les derniers accents de sa harpe semblaient accuser les retards du Seigneur. Vous nous avez repoussés, disait-il, vous nous avez dédaignés ; et vous avez différé l’arrivée de votre Christ [15]. Puis, passant de la plainte à l’audace, il s’était écrié d’une voix impérative : Manifestez-vous donc, ô vous qui êtes assis sur les Chérubins ! [16] En repos sur le trône de votre puissance, entouré des bataillons volants de vos Anges, ne daignerez-vous pas abaisser vos regards sur les enfants des hommes, victimes d’un péché commis par Adam, il est vrai, mais permis par vous-même ? Souvenez-vous de ce qu’est notre nature ; c’est à votre ressemblance que vous l’avez créée ; et si tout homme vivant est vanité, ce n’est pas du moins en ce qu’il a été fait à votre image. Abaissez donc vos cieux et descendez ; abaissez les cieux de votre miséricorde sur les misérables qui vous supplient, et du moins ne nous oubliez pas éternellement.
« Isaïe à son tour, dans la violence de ses désirs, disait : A cause de Sion, je ne me tairai pas ; à cause de Jérusalem, je ne me reposerai pas, jusqu’à ce que le Juste quelle attend se lève enfin dans son éclat. Forcez donc les deux et descendez ! Enfin, tous les Prophètes, fatigués d’une trop longue attente, n’ont cessé de faire entendre tour à tour les supplications, les plaintes, et souvent même les cris de l’impatience. Quant à nous, nous les avons assez écoutés ; assez longtemps nous avons répété leurs paroles : qu’ils se retirent maintenant ; il n’est plus pour nous de joie, ni de consolation, jusqu’à ce que le Sauveur, nous honorant du baiser de sa bouche, nous dise lui-même : Vous êtes exaucés.
« Mais que venons-nous d’entendre ? Sanctifiez-vous, enfants d’Israël, et soyez prêts : car demain descendra le Seigneur. Le reste de ce jour, et à peine la moitié de la nuit qui va venir nous séparent de cette entrevue glorieuse, nous cachent encore l’Enfant-Dieu et son admirable Naissance. Courez, heures légères ; achevez rapidement votre cours, pour que nous puissions bientôt voir le Fils de Dieu dans son berceau et rendre nos hommages à cette Nativité qui sauve le monde. Je pense, mes Frères, que vous êtes de vrais enfants d’Israël, purifiés de toutes les souillures de la chair et de l’esprit, tout prêts pour les mystères de demain, pleins d’empressement à témoigner de votre dévotion. C’est du moins ce que je puis juger, d’après la manière dont vous avez passé les jours consacrés à attendre l’Avènement du Fils de Dieu. Mais si pourtant quelques gouttes du fleuve de la mortalité avaient touché votre cœur, hâtez-vous aujourd’hui de les essuyer et de les couvrir du blanc linceul de la Confession. Je puis vous le promettre de la miséricorde de l’Enfant qui va naître : celui qui confessera son péché avec repentir, la Lumière du monde naîtra en lui ; les ténèbres trompeuses s’évanouiront, et la splendeur véritable lui sera donnée. Car comment la miséricorde serait-elle refusée aux mal-ci heureux, en cette nuit même où prend naissance le Seigneur miséricordieux ? Chassez donc l’orgueil de vos regards, la témérité de votre langue, la cruauté de vos mains, la volupté de vos reins ; retirez vos pieds du chemin tortueux, et puis venez et jugez le Seigneur, si, cette nuit, il ne force pas les Cieux, s’il ne descend pas jusqu’à vous, s’il ne jette pas au fond de la mer tous vos péchés. »
Ce saint jour est, en effet, un jour de grâce et d’espérance, et nous devons le passer dans une pieuse allégresse. L’Église, dérogeant à tous ses usages habituels, veut que si la Vigile de Noël vient à tomber au Dimanche, le jeûne seul soit anticipé au samedi ; mais dans ce cas l’Office et la Messe de la Vigile l’emportent sur l’Office et la Messe du quatrième Dimanche de l’Avent : tant ces dernières heures qui précèdent immédiatement la Nativité lui semblent solennelles ! Dans les autres Fêtes, si importantes qu’elles soient, la solennité ne commence qu’aux premières Vêpres ; jusque-là l’Église se tient dans le silence, et célèbre les divins Offices et le Sacrifice suivant le rite quadragésimal. Aujourd’hui, au contraire, dès le point du jour, à l’Office des Laudes, la grande Fête semble déjà commencer. L’intonation solennelle de cet Office matutinal annonce le rite Double ; et les Antiennes sont chantées avec pompe avant et après chaque Psaume ou Cantique. A la Messe, si l’on retient encore la couleur violette, du moins on ne fléchit plus les genoux comme dans les autres Fériés de l’Avent ; et il n’y a plus qu’une seule Collecte, au lieu des trois qui caractérisent une Messe moins solennelle.
Entrons dans l’esprit de la sainte Église, et préparons-nous, dans toute la joie de nos cœurs, à aller au-devant du Sauveur qui vient à nous. Accomplissons fidèlement le jeûne qui doit alléger nos corps et faciliter notre marche ; et, dès le matin, songeons que nous ne nous étendrons plus sur notre couche que nous n’ayons vu naître, à l’heure sacrée, Celui qui vient illuminer toute créature ; car c’est un devoir, pour tout fidèle enfant de l’Église Catholique, de célébrer avec elle cette Nuit heureuse durant laquelle, malgré le refroidissement de la piété, l’univers entier veille encore à l’arrivée de son Sauveur : dernier vestige de la piété des anciens jours, qui ne s’effacerait qu’au grand malheur de la terre.
Parcourons en esprit de prière les principales parties de l’Office de cette Vigile. D’abord, la sainte Église éclate par un cri d’avertissement qui sert d’Invitatoire à Matines, d’Introït et de Graduel à la Messe. C’est la parole de Moïse annonçant au peuple la Manne céleste que Dieu enverra le lendemain. Nous aussi, nous attendons notre Manne, Jésus-Christ, Pain de vie, qui va naître dans Bethléhem, la Maison du Pain.
Hódie sciétis quia véniet Dóminus : et mane vidébitis glóriam eius. | Sachez aujourd’hui que le Seigneur viendra ; et dès le matin vous verrez sa gloire. |
Les Répons sont remplis de majesté et de douceur. Rien de plus lyrique ni de plus touchant que leur mélodie, dans cette nuit qui précède la nuit même où le Seigneur vient en personne.
A l’Office de Prime, dans les Chapitres et les Monastères, on fait en ce jour l’annonce solennelle de la fête de Noël, avec une pompe extraordinaire. Le Lecteur, qui est souvent une des dignités du Chœur, chante sur un ton plein de magnificence la Leçon suivante du Martyrologe, que les assistants écoutent debout, jusqu’à l’endroit où la voix du Lecteur fait retentir le nom de Bethléhem. A ce nom, tout le monde se prosterne, jusqu’à ce que la grande nouvelle ait été totalement annoncée.
LE HUIT DES CALENDES DE JANVIER.
L’an de la création du monde, quand Dieu au commencement créa le ciel et la terre, cinq mille cent quatre-vingt-dix-neuf : du déluge, l’an deux mille neuf cent cinquante-sept : de la naissance d’Abraham, l’an deux mille quinze : de Moïse et de la sortie du peuple d’Israël de l’Égypte, l’an mille cinq cent dix : de l’onction du roi David, l’an mille trente-deux : en la soixante-cinquième Semaine, selon la prophétie de Daniel : en la cent quatre-vingt-quatorzième Olympiade : de la fondation de Rome, l’an sept cent cinquante-deux : d’Octavien Auguste, l’an quarante-deuxième : tout l’univers étant en paix : au sixième âge du monde : Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, voulant consacrer ce monde par son très miséricordieux Avènement, ayant été conçu du Saint-Esprit, et neuf mois s’étant écoulés depuis la conception, naît, fait homme, de la Vierge Marie, en Bethléhem de Judée : LA NATIVITÉ DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST SELON LA CHAIR !
Ainsi toutes les générations ont comparu successivement devant nous [1]L’Église, en ce seul jour et en cette seule circonstance, adopte la Chronologie des Septante, qui place la naissance du Sauveur après l’an cinq mille, tandis que la version Vulgate ne donne que quatre mille ans jusqu’à ce grand événement ; en quoi elle est d’accord avec le texte hébreu. Ce n’est point ici le lieu d’expliquer cette divergence de chronologie ; il suffit de reconnaître le fait comme une preuve de la liberté qui nous est laissée par l’Église sur cette matière.. Interrogées si elles auraient vu passer Celui que nous attendons, elles se sont tues, jusqu’à ce que le nom de Marie s’étant d’abord fait entendre, la Nativité de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, a été proclamée. « Une voix d’allégresse a retenti sur notre terre, dit à ce sujet saint Bernard dans son premier Sermon sur la Vigile de Noël ; une voix de triomphe et de salut sous les tentes des pécheurs. Nous venons d’entendre une parole bonne, une parole de consolation, un discours plein de charmes, digne d’être recueilli avec le plus grand empressement. Montagnes, faites retentir la louange ; battez des mains, arbres des forêts, devant la face du Seigneur ; car le voici qui vient. Cieux, écoutez ; terre, prête l’oreille ; créatures, soyez dans l’étonnement et la louange ; mais toi surtout, ô homme ! Jésus-Christ, Fils de Dieu, naît en Bethléhem de Judée ! Quel cœur, fût-il de pierre, quelle âme ne se fond pas à cette parole ? Quelle plus douce nouvelle ? Quel plus délectable avertissement ? qu’entendit-on jamais de semblable ? Quel don pareil le monde a-t-il jamais reçu ? Jésus Christ, Fils de Dieu, naît en Bethléhem de Judée ! O parole brève qui nous annonce le Verbe dans son abaissement ! Mais de quelle suavité n’est-elle pas remplie ! Le charme d’une si mielleuse douceur nous porte à chercher des développements à cette parole ; mais les termes manquent. Telle est, en effet, la grâce de ce discours, que si j’essaie d’en changer un iota, j’en affaiblis la saveur : Jésus-Christ, Fils de Dieu, naît en Bethléhem de Judée ! »
A LA MESSE.
Dans la Collecte, l’Église semble encore préoccupée de la venue du Christ comme Juge ; mais c’est la dernière fois qu’elle fera allusion à ce dernier Avènement. Désormais, elle sera toute à ce Roi pacifique, à cet Époux qui vient à elle ; et ses enfants doivent imiter sa confiance.
ÉPITRE.
Dans l’Épître, l’Apôtre saint Paul, s’adressant aux Romains, leur annonce la dignité et la sainteté de l’Évangile, c’est-à-dire de cette bonne Nouvelle que les Anges vont faire retentir dans la nuit qui s’approche. Or, le sujet de cet Évangile, c’est le Fils qui est né à Dieu de la race de David selon la chair, et qui vient pour être dans l’Église le principe de la grâce et de l’Apostolat, par lesquels il fait qu’après tant de siècles, nous sommes encore associés aux joies d’un si grand Mystère.
Si la Vigile de Noël tombe un Dimanche, on ajoute l’Alléluia avec son Verset, ainsi qu’il suit : « Alléluia, alléluia. V/. Demain sera effacée l’iniquité de la terre, et le Sauveur du monde régnera sur nous. Alléluia. »
ÉVANGILE.
L’Évangile de cette Messe est le passage dans lequel saint Matthieu raconte les inquiétudes de saint Joseph et la vision de l’Ange. Il convenait que cette histoire, l’un des préludes de la Naissance du Sauveur, ne fût pas omise dans la Liturgie ; et jusqu’ici le lieu de la placer ne s’était pas présenté encore. D’autre part, cette lecture convient à la Vigile de Noël, à raison des paroles de l’Ange, qui indique le nom de Jésus comme devant être donné à l’Enfant de la Vierge, et qui annonce que cet enfant merveilleux sauvera son peuple du péché.
Pendant la Communion, l’Église se réjouit de goûter déjà dans le Sacrement Eucharistique Celui dont la chair purifie et nourrit notre propre chair, et elle puise dans la consolation que cet aliment divin porte avec lui, la force d’attendre jusqu’à ce moment suprême où les Anges vont l’appeler à la Crèche du Messie.
Les Liturgies ambrosienne et mozarabe ont peu de choses saillantes dans l’Office et la Messe de la Vigile de Noël : nous ne leur emprunterons donc rien, et nous nous bornerons à puiser dans l’Anthologie des Grecs quelques strophes du chant qu’ils ont intitulé : Le commencement des Heures de la Nativité ; Tierce, Sexte et None.
HYMNE POUR LA VIGILE DE NOËL.
(Tirée de l’Anthologie des Grecs.)
On inscrivit un jour à Bethléhem avec le vieillard Joseph, comme issue de la race de David, Marie qui portait en son sein virginal un fruit divin. Le temps d’enfanter était arrivé ; et il n’y avait plus de place en l’hôtellerie ; une grotte restait pour auguste palais à la vierge Reine.
Voici venir tout à l’heure l’accomplissement de la mystique promesse du Prophète : « Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre entre les principautés, toi qui la première ornes la divine grotte : de toi me viendra le chef des Nations, né selon la chair d’une tendre Vierge, le Christ Dieu qui régira son nouveau peuple d’Israël. » Donnons-lui nos louanges.
Celui-ci est notre Dieu, né d’une Vierge et conversant parmi les hommes ; nous n’en connaîtrons point d’autre ; le Fils unique gisant dans une pauvre étable apparaît sous la forme d’un mortel, et le Seigneur de gloire est enveloppé de langes : l’Etoile invite les Mages à le venir adorer ; et nous, disons en nos chants : O Trinité sainte ! Sauvez nos âmes.
Venez, Fidèles, livrons-nous à de divins transports ; venez voir un Dieu descendre vers nous du haut du ciel en Bethléhem : élevons nos âmes en haut ; pour la myrrhe apportons les vertus de notre vie ; ornons-en d’avance son entrée en ce monde, et disons : Gloire au plus haut des cieux, à Dieu qui est un en trois personnes, lequel daigne manifester aux hommes sa grande miséricorde ! Car, ô Christ ! Vous avez racheté Adam et relevé l’œuvre de vos mains, ô ami des hommes !
Écoutez, ô cieux ! Terre, prête l’oreille ; que l’univers s’ébranle jusque dans ses fondements, et que tout ce qu’il renferme soit saisi de frayeur. Le Dieu auteur de la chair prend lui-même une forme, et Celui qui de sa main créatrice corrobora toute créature, par une miséricordieuse compassion, parait revêtu d’un corps. O abîme des richesses de la sagesse et science de Dieu ! combien ses jugements sont incompréhensibles, combien ses voies impénétrables !
Venez, peuples chrétiens, voyons le prodige qui dépasse toute pensée, qui frappe d’étonnement toute imagination ; et pieusement prosternés, chantons avec foi des hymnes de louange. Aujourd’hui la Vierge vient à Bethléhem mettre au monde le Seigneur ; les chœurs des Anges la précèdent ; Joseph son époux la voit et s’écrie : Quel prodige aperçois-je en toi, ô Vierge ! Comment pourras-tu enfanter, tendre génisse qui ne connus point le joug ?
Aujourd’hui naît d’une Vierge Celui dont la main contient toute créature ; Celui qui par essence est insaisissable, devenu semblable à un mortel, est enveloppé de langes ; il gît dans une crèche Celui qui au commencement posa les cieux sur leurs fondements ; Celui qui au désert faisait pleuvoir la manne pour son peuple, est nourri du lait de la mamelle ; l’Époux de l’Église invite les Mages, et le Fils de la Vierge accepte leurs présents. Nous adorons votre Nativité, ô Christ ! Favorisez-nous de vos divines manifestations.
Considérons la très pure Marie, toujours accompagnée de son fidèle époux Joseph, sortant de Jérusalem et se dirigeant vers Bethléhem. Ils y arrivent après quelques heures de marche, et, pour obéira la volonté céleste, ils se rendent au lieu où ils devaient être enregistrés, selon l’édit de l’Empereur. On inscrit sur le registre public un artisan nommé Joseph, charpentier à Nazareth de Galilée ; sans doute on ajoute le nom de son épouse Marie qui l’a accompagné dans le voyage ; peut-être même est-elle qualifiée de femme enceinte, dans son neuvième mois : c’est là tout. O Verbe incarné ! aux yeux des hommes, vous n’êtes donc pas encore un homme ? vous visitez cette terre, et vous y êtes inconnu ; et pourtant, tout ce mouvement, toute l’agitation qu’entraîne le dénombrement de l’Empire, n’ont d’autre but que d’amener Marie, votre auguste Mère, à Bethléhem, afin qu’elle vous y mette au monde. O Mystère ineffable ! que de grandeur dans cette bassesse apparente ! que de puissance dans cette faiblesse ! Toutefois, le souverain Seigneur n’est pas encore descendu assez. Il a parcouru les demeures des hommes, et les hommes ne Font pas reçu. Il va maintenant chercher un berceau dans l’étable des animaux sans raison : c’est là qu’en attendant les cantiques des Anges, les hommages des Bergers, les adorations des Mages, il trouvera le bœuf qui connaît son Maître, et l’âne qui s’attache à la crèche de son Seigneur. » O Sauveur des hommes, Emmanuel, Jésus, nous allons nous rendre aussi à l’étable ; nous ne laisserons pas s’accomplir solitaire et délaissée la nouvelle Naissance que vous allez prendre en cette nuit qui s’approche. A cette heure, vous allez frappant aux portes de Bethléhem, sans que les hommes consentent à vous ouvrir ; vous dites aux âmes, par la voix du divin Cantique : « Ouvre-moi, ma sœur, mon amie ! car ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux imbibés des gouttes de la nuit. » Nous ne voulons pas que vous franchissiez notre demeure : nous vous supplions d’entrer ; nous nous tenons vigilants à notre porte. « Venez donc, « ô Seigneur Jésus ! venez ! »»
COMMENTAIRE DU BHX CARDINAL SCHUSTER (Liber Sacramentorum)
« Station à Sainte-Marie-Majeure.
A la vérité, cette messe de vigile, le 24 décembre, ne devrait pas avoir lieu puisque la messe primitive de vigile est celle qui se célébrait cette nuit après l’office nocturne dans l’oratoire ad Praesepe. Pourtant, après les Conciles d’Éphèse et de Chalcédoine, la solennité de Noël acquit une telle célébrité, que l’antique rit romain de Noël dut être modifié, en sorte qu’il comporta un jeûne et un mois de préparation, à la ressemblance de la fête de Pâques. En outre, la solennité du 25 décembre elle-même, au lieu de deux messes, l’une de la vigile, l’autre de la fête, avec une troisième messe intercalaire en mémoire de sainte Anastasie, finit par en admettre quatre, et, toutes, en mémoire du mystère ; c’est-à-dire une vers le soir du 24 décembre au commencement de l’office nocturne, une à minuit au premier chant du coq, une au petit jour et la dernière à l’heure de tierce. Sainte Anastasie passa en seconde ligne au temps de saint Grégoire, et retint tout au plus l’honneur d’une simple commémoraison.
Par suite, la messe assignée dans le missel pour ce jour représenterait, plutôt que le sacrifice vigilial, qui comportait toujours la pannuchis précédente, la messe de la preorte, comme disent les Grecs, le sacrifice du jour précédant la fête, quand après none, l’on célébrait la messe de préparation et que commençait immédiatement la solennité nocturne. Tel était aussi l’usage de l’Église milanaise au moyen âge.
La station du 24 décembre est à Sainte-Marie-Majeure, comme celle de la nuit pour la première messe de Noël ; nous avons ainsi deux, et même, avec la troisième messe de demain, trois stations consécutives à la même église ; ce qui, étant contraire au génie de l’antique liturgie romaine, trahit de suite un remaniement postérieur et nous indique que l’ordre suivi aujourd’hui par le missel n’est plus l’ordre primitif. En effet, la messe d’aujourd’hui, elle aussi, n’est qu’un dédoublement de celle de la nuit prochaine ad Praesepe, et c’est un exemple sporadique, dans la liturgie romaine, d’une fête avec deux sacrifices de vigile, l’un avant, l’autre après l’office nocturne.
L’introït est tiré aujourd’hui de l’Exode, et rapporte les paroles de Moïse, alors que, pour faire cesser les murmures du peuple, il promit de la part de Dieu que, le lendemain, la manne tomberait comme une pluie du ciel pour eux. Cette manne symbolisait le Verbe incarné qui est la véritable nourriture des âmes. Il plut du ciel, parce que sa conception virginale n’est point selon les communes règles de la nature, et que ni la chair ni le sang n’y ont eu part, mais elle est l’œuvre de l’Esprit Saint.
Dans la collecte nous demandons à Dieu que, de même qu’aujourd’hui nous sortons joyeusement au-devant de notre Rédempteur nouveau-né, qui vient, humble et doux, sous la forme d’un gracieux petit enfant, ainsi, à la fin de notre vie, nous puissions avec une conscience tranquille en attendre le retour dans les splendeurs de sa majesté, en qualité de juge et de notre rémunérateur. Les deux parousies sont, en effet, si intimement unies entre elles, qu’elles font partie d’un identique plan de salut. La naissance temporelle de Jésus marque le commencement du règne messianique ; mais sa dernière venue, au jour de la catastrophe finale du monde, en caractérise la systématisation définitive. Qui veut avoir part au royaume messianique du dernier jour doit l’accueillir dès maintenant en son cœur, et le laisser se dilater par la foi et les œuvres, c’est-à-dire accueillir l’humilité, la pauvreté, le zèle de Jésus ; c’est seulement ainsi qu’on peut se promettre la gloire et la possession de Jésus dans l’éternité.
Avec l’épître d’aujourd’hui, l’Église commence la lecture des Lettres de saint Paul (Rom., I, 1-6) et, puisque nous sommes à Rome, on lit tout d’abord la lettre aux Romains, qui, bien qu’elle ne soit pas la première en date, est néanmoins la plus importante par le sujet qui y est traité et par l’étendue que l’Apôtre lui donne. Selon son habitude, saint Paul fait précéder le document d’un titre très prolixe, où, fort opportunément, pour la fête que nous allons célébrer, il explique les caractères généraux de l’incarnation du Fils de Dieu. Celle-ci, jadis annoncée dans les Écritures par les Prophètes, s’est accomplie par l’opération du Saint-Esprit et dans la royale descendance de David.
Le dogme des deux natures, divine et humaine, dans l’unique personne de Jésus-Christ, doit nous remplir de consolation et d’espérance. Chaque fois que nous pensons à cette très sainte humanité de Jésus, que nous l’adorons dans la sainte Eucharistie, que nous la voyons représentée sur les images sacrées, nous nous sentons attendrir par la gratitude et nous nous écrions : « Ce corps, ces membres délicats, cette humanité destinée à un si cruel supplice dans la passion, c’est pour moi, ô mon Dieu ! Combien m’avez-vous aimé ! Pour moi, vous vous êtes humilié jusqu’à vous revêtir de ma livrée d’esclave, afin que moi, me rapprochant de Vous, je prenne le vêtement de votre divinité, et je devienne, comme me l’enseigne l’apôtre saint Pierre, participant de votre nature même. »
Le répons-graduel ajoute, au verset de l’Exode déjà récité à l’introït, le psaume messianique 79, répété bien des fois durant tout ce temps de l’Avent. L’âme fidèle hâte de ses vœux l’heure bienheureuse de la parousie ; alors l’ancien Pasteur d’Israël, celui qui guidait le docile Joseph à l’égal d’une brebis, apparaîtra à son peuple et l’illuminera.
Il faut toutefois remarquer que les rayons de ce soleil de justice sont appelés spécialement non pas sur les douze tribus d’Israël, mais sur les trois petites familles d’Éphraïm, Benjamin et Manassé, pour indiquer que la grande majorité du peuple élu répudiera le culte de Yahweh et son Fils unique.
Le dimanche, conformément à ce qu’établit le pape saint Damase, selon le conseil de saint Jérôme, et qui fut confirmé dans la suite par saint Grégoire Ier, on ajoute le verset alléluiatique : « Demain le péché sera effacé du monde, et le Sauveur des hommes régnera sur nous. » La naissance du Sauveur commence, en effet, l’expiation du péché et la rédemption de l’humanité. La crèche, les pauvres haillons, la paille, la grotte, le souffle chaud des deux animaux, condamnent à l’avance notre superbe, la sensualité, l’esprit d’indépendance et nous enseignent à faire notre trésor de cette pauvreté de Jésus-Enfant, selon la doctrine de l’Apôtre : Propter nos egenus factus est cum esset dives, ut nos illius inopia divites essemus.
Dans l’évangile selon saint Matthieu est rapportée l’hésitation de Joseph à prendre Marie dans sa maison, la voyant sur le point d’être mère et sans arriver à pénétrer le mystère de sa miraculeuse fécondité. Comme l’enseignent les Interprètes sacrés, Joseph était pleinement convaincu de la pureté sans tache de Marie, et c’est pourquoi il ne voulait pas la dénoncer au Sanhédrin comme coupable d’avoir manqué à sa promesse ; mais, d’autre part, il était si humble qu’il se trouvait indigne de retenir Marie chez lui et d’être mis au courant du secret d’une telle Vierge. Il nourrissait donc la pensée de se retirer spontanément de ces noces qu’il trouvait si supérieures à lui-même, et de remettre à Dieu le soin de tout. Mais le Seigneur, qui avait élu Joseph afin que sa personne justifiât d’une certaine façon, devant le monde, la naissance temporelle de son Verbe, et sauvât de l’ignominie et le Fils et la Mère, ne le laissa pas trop longtemps perplexe et récompensa sa profonde humilité. Il s’estimait indigne de prêter ses services à Marie, la servante du Seigneur, et voici qu’il devra au contraire tenir lieu de père au Fils unique de Dieu, en prenant même le titre, et exerçant sur Lui l’autorité paternelle au nom du Père céleste. Le premier acte de cette autorité sera même celui d’imposer au Verbe incarné ce nom adorable de Jésus, par lequel seul l’humanité tout entière pourra obtenir le salut. Dieu exalte ainsi les humbles ; et tandis qu’au ciel, sur la terre et dans les abîmes, toute créature ploie en tremblant le genou au Nom très saint de Jésus, Joseph, revêtu de l’autorité de Celui d’où tire son nom toute autre paternité au ciel et sur la terre, Joseph le lui assigne, et, avec le nom, impose aussi au Sauveur tout le programme évangélique de la rédemption.
L’offertoire est emprunté au psaume 23. Que s’ouvrent enfin les portes de l’éternité bienheureuse, closes après le premier péché, avec l’ange à l’épée flamboyante pour en garder l’accès, et que le Sauveur du monde y fasse son entrée triomphale. Comme l’explique saint Paul dans la lettre aux Hébreux, Jésus-Christ, par les mérites de son sang précieux, a le droit de pénétrer définitivement dans le sanctuaire du ciel, y introduisant après Lui toute la foule des croyants. Néanmoins, dans l’économie actuelle du salut, la gloire est intimement liée à l’humiliation ; aussi la glorification suprême de l’humanité rachetée commence-t-elle là où son Chef et Premier-Né s’abaisse et s’anéantit lui-même, revêtant la livrée d’esclave de notre nature.
Dans la collecte d’introduction à l’anaphore eucharistique (préface, etc.), nous prions Dieu de permettre que, prévenant de nos vœux la naissance adorable de son Fils unique sur la terre, ainsi un jour, dans le ciel, nous puissions recevoir joyeusement de Lui la récompense éternelle. En effet, le Christ naîtra cette nuit dans une grotte, non certes pour Lui-même, qui n’en a point besoin puisqu’il est la source de la vie, mais pour toi, afin que tu renaisses pour le ciel. Il devient fils de la femme, pour que tu cesses de l’être et deviennes fils de Dieu.
Dans l’antienne pour la Communion, Isaïe nous annonce, pour la dernière fois en cette période d’Avent, la prochaine arrivée du Messie. Dieu dévoilera sa gloire, et alors, non seulement la Judée, mais l’humanité tout entière regardera en face le divin Sauveur, revêtu de chair humaine ! La religion cessera d’être le monopole d’un clan, armé contre un autre parce qu’adorateur de Bel ou d’Astarté, mais elle deviendra le précieux patrimoine de toute l’humanité régénérée dans la conscience d’une commune origine et d’une identique fin dernière.
Dans la collecte d’action de grâces après la communion, l’humanité opprimée jadis pendant tant de siècles sous le joug honteux du péché, implore douloureusement la grâce de prendre au moins un bref répit dans sa course vertigineuse vers l’éternité. Mais voici que l’annonce de la naissance prochaine du Libérateur lui dilate à l’improviste le cœur et l’ouvre aux plus douces espérances. Ce n’est plus le souffle oppressé du coupable et du condamné, mais le battement du cœur affectueux d’un fils, qui, par l’efficacité du Mystère eucharistique, sent déjà couler dans ses veines le sang même du Verbe de Dieu incarné.
Selon les anciens Ordines Romani, on chantait aujourd’hui, dans la chapelle papale, deux offices de vigile, comme aux jours les plus solennels du cycle annuel. Dans le premier, on récitait trois psaumes, avec cinq leçons et autant de répons. La quatrième reprochait aux Hébreux de n’avoir pas voulu reconnaître le Messie à naître, et, comme répons, on chantait les fameux vers sybillins : Iudicii signum, tellus sudore madescit, afin que la Muse païenne elle aussi reprochât à ce peuple obstiné son infidélité envers le Seigneur. Après none, le Pape, assisté de sa noble cour, célébrait la Messe stationnale à Sainte-Marie-Majeure, messe suivie du dîner préparé par les soins de l’évêque d’Albano, et auquel participait le Pontife avec les prélats de sa suite. Après le repas, on chantait les vêpres. Pourtant comme vers minuit devaient commencer à nouveau les vigiles, au lieu de retourner au Latran le Pape se disposait à passer la première partie de la soirée dans le palais Libérien, mais, auparavant, il servait lui-même une tasse de vin à tout le clergé, sans en excepter les jeunes chantres de la Schola du Latran.
Dans des temps plus proches de nous, Pie IX allait à Sainte-Marie-Majeure le soir de la vigile de Noël et y célébrait la première messe en l’anticipant de telle sorte qu’il pût retourner au Quirinal avant que sonnât l’heure où commençait le jeûne ecclésiastique pour la Communion du jour suivant. A la différence des autres vigiles, où prédomine un sentiment de tristesse et de caractère pénitentiel, celle de Noël, comme tout l’Avent en général, est pleine d’élan et de sainte joie. Cela est parfaitement conforme à la nature du cœur humain. Après un si long temps de peine et d’attente oppressée, l’annonce subite de notre prochaine libération nous dilate le cœur ; la commune joie nous unit ensemble et fait que, oubliant pour une heure les conditions épineuses de notre vie ici-bas, nous nous sentons tout à coup tous frères, fils d’un Père commun, nous renaissons avec l’Enfant Jésus à la belle simplicité de la sainte enfance spirituelle, nous retrouvons par l’amour la félicité du premier âge. »
Source Introïbo
Notes
1. | ↑ | L’Église, en ce seul jour et en cette seule circonstance, adopte la Chronologie des Septante, qui place la naissance du Sauveur après l’an cinq mille, tandis que la version Vulgate ne donne que quatre mille ans jusqu’à ce grand événement ; en quoi elle est d’accord avec le texte hébreu. Ce n’est point ici le lieu d’expliquer cette divergence de chronologie ; il suffit de reconnaître le fait comme une preuve de la liberté qui nous est laissée par l’Église sur cette matière. |