Une opinion et un témoignage du Belge Vincent Seutin, professeur ordinaire à l’Université de Liège.
L’annonce début juillet du « rattrapage » de certains écoliers qui avaient échoué au CEB (NDCI : examen de fin de primaire en Belgique) par leurs écoles m’a consterné. Ce laxisme démesuré me semble très dangereux parce qu’il est anti-éducatif ( « Tu as raté, mais on va dire que tu as réussi » : quelle préparation à l’école de la vie !) Plus grave, on nuit gravement à ces enfants en agissant de la sorte, parce qu’on accepte que leurs bases soient chancelantes. Je suggère que les enfants qui échouent au CEB le repassent. S’ils n’arrivent pas à surmonter ce terrible traumatisme, il me semble que c’est mal parti dans leur vie future. Auraient-ils eu le courage nécessaire, nos parents et grands-parents, si on leur avait dit : « Va à la guerre, mais si tu as trop peur, tu n’iras pas » ?
S’il manque des places ou de l’encadrement pour une remédiation, que l’on agisse là au point de vue budgétaire en priorité. Nous ne verrions plus arriver à l’Unif des étudiants qui ont du mal à calculer 30 mg X 30 = ? mg (et ceci est véridique) et qui n’ont pas la notion de complément d’objet indirect (mais il paraît que cette notion est obsolète) et inondent donc leurs textes de : « La chose que j’ai besoin » et d’inversions de participes passés et d’infinitifs (il était pourtant plein de bon sens, le truc qui consistait à remplacer le verbe en « er » par un verbe en « ir » pour vérifier s’il fallait écrire l’un ou l’autre).
« Ma tâche m’est devenue pénible »
En tant que prof d’unif, je lis de nombreux écrits d’étudiants. Depuis 10 ans, cette tâche m’est devenue pénible, tellement l’expression écrite de nos étudiants est insuffisante dans 80 % des cas. Je me permets d’implorer les instituteurs, institutrices et enseignant(e) s du secondaire d’en revenir aux exigences d’antan en grammaire et en orthographe. Chez 50 % de nos étudiants, l’expression écrite est tellement faible que le concept exprimé devient flou, voire incompréhensible. En réalité, nous nous mettons à coter les étudiants sur ce que nous pensons être leur vision du problème posé et non sur ce qu’ils expriment.
Dans une récente prise de position sur ce pacte d’excellence qui risque de devenir le symbole de notre incapacité à avoir du bon sens, des parents disaient que l’enseignement devait s’adapter à la « société actuelle ». Foutaise à mon avis. Qu’on fasse lire à nos jeunes Proust et Voltaire, qu’on les immerge dans ce monde de la pensée occidentale génératrice des Lumières et de la théorie de la relativité. Qu’ils apprennent à comprendre les caractéristiques de la psychologie pathologique de Madame Verdurin si subtilement distillées par ce génie de Proust et les allusions de Voltaire à son idéal d’un monde plus égalitaire. A défaut, nous allons fabriquer des veaux de la génération Facebook qui se passionneront pour les photos des plats mangés par leurs copains mais ignoreront l’existence même des grands courant de pensée qui nous ont façonnés.
D’accord, ce type d’enseignement ne convient pas à tous nos enfants. Il suffit de s’en rendre compte et de les orienter vers l’enseignement professionnel. Soit dit en passant, un mal affligeant de notre chère Wallonie est le mépris qu’on instille dans l’esprit du citoyen à propos de l’enseignement professionnalisant. En Allemagne, par exemple, ce type d’enseignement est beaucoup plus reconnu, notamment parce qu’il existe des collaborations intenses et efficaces entre les « Hochschule » et l’industrie, avec une relation « win-win ». A mon avis, il s’agit d’une collaboration beaucoup plus efficace que la collaboration entre Hautes Ecoles et Universités avec laquelle on nous bassine à longueur de journée dans les Universités…
Quand nos politiciens comprendront-ils et surtout proclameront-ils qu’il vaut mieux disposer de maçons et d’ébénistes doués plutôt que d’universitaires médiocres ?