« Plusieurs dizaines de Pakistanais attendent dans le couloir de la mort, accusés d’avoir blasphémé contre le prophète. Une secte religieuse ultra-violente manifeste régulièrement pour qu’ils soient exécutés, et c’est cette secte qui est à la tête de la manifestation de ce 12 octobre. Il s’agit d’un groupe pourtant d’inspiration soufi qui s’appelle Tehreek-e-Labbaik, c’est à dire « nous sommes là pour toi, Prophète ». Le soufisme au Pakistan n’est pas garant comme on pourrait le croire de la pratique d’un islam essentiellement mystique et tolérant, beaucoup de religieux soufis ici ont des positions très radicales […]
Tehreek-e-Labbaik est un tout jeune parti politique. Il ne revendique qu’un seul programme : la défense du prophète. Et donc pas vraiment l’établissement de la chariah, qui est normalement la signature des partis extrémistes religieux ici – ce qui explique d’ailleurs pourquoi ils sont aussi populaires – aussi suivis lors de leurs manifestations : la question du blasphème c’est une question qui met d’accord tous les partis musulmans pakistanais, quelle que soit leur tendance et qui bénéficie d’un grand soutien de la part de la population, toujours très conservatrice.
Tehreek-e-Labbaik a à peine un an, mais il a quand même récolté plus de deux millions de voix aux élections législatives, et depuis il fait l’actualité. Ses partisans ont bloqué la circulation dans deux des villes principales pendant plusieurs semaines en novembre dernier, ils ont saccagé des lieux de culte, certains de leur supporters ont attaqué des anciens ministres. Cela est dû au charisme incontestable de leur leader, Khadim Rizvi, que la frange libérale pakistanaise a surnommé « le diable ». Puis de son numéro 2, l’imam Afzal Qadri, qui aime rappeler combien la dévotion suprême consistait, au temps du prophète, à se nourrir des selles de Mahomet ou à s’enduire le corps de sa morve.
Le cas d’Asia Bibi instrumentalisé par Tehreek-e-Labbaik
Il semble que l’affaire Asia Bibi obsède cette secte beaucoup plus encore que d’autres « blasphémateurs ». C’est même l’affaire Asia Bibi qui a permis l’éclosion de cette secte. Pour ça il faut se rappeler du contexte de son arrestation: cette paysanne chrétienne boit de l’eau dans le puits de son village du Penjab, et elle est accusée par une villageoise d’avoir sali l’eau parce qu’elle chrétienne, ce à quoi elle aurait répondu « ton prophète est Mahomet, le mien est Jésus ». Cette phrase aura des conséquences dramatiques puisque sans aucun autre témoin, Asia Bibi sera accusée de blasphème et donc condamnée à la peine de mort quelques mois plus tard.
L’injustice de son sort alerte le gouverneur du Penjab de l’époque, qui va lui rendre visite et estimer publiquement que cette loi du blasphème c’est, « la loi de la jungle. » Il sera assassiné en 2011 à cause de ces mots par son garde du corps, Mumtaz Qadri. Et c’est là qu’intervient la secte soufie Labbaik, dont l’un des principes fondamentaux est la glorification de ceux qui tuent au nom du prophète.
Ils vont défendre le garde du corps Mumtaz Qadri mais ne pourront pas empêcher sa mise à mort par la justice pakistanaise en 2016, et le jour de son exécution, des centaines de milliers de personnes sont dans la rue, sous la bannière des tout nouveaux militants de Labbaik, pour protester contre sa mise à mort. Depuis, le tombeau de Qadri est un lieu de pèlerinage clinquant où l’on offre à manger aux pauvres le week-end et son visage recouvre toutes les affiches de Labbaik. Dans leur esprit c’est Asia Bibi qui est la cause de sa mort, du « martyre » de ce garde du corps, et elle doit donc être châtiée. »
Lu chez RFI