Alors que les Français payent la facture de la privatisation imposée du réseau autoroutier français par Villepin, Macron continue sur la même lancé en bradant les dernières entreprises publiques rentables… Comme le rappelle l’auteur de la tribune du Figaro (ci-dessous), il n’y a aucun argument pour justifier cette gabegie.
Tribune de Benjamin Masse-Stamberger pour Le Figaro : L’Assemblée nationale a donc acté les privatisations incluses dans le cadre de la loi Pacte. Le texte, adopté en première lecture par les députés, aura finalement donné lieu à un débat moins houleux que prévu, au grand soulagement de l’exécutif. Un soulagement d’autant plus compréhensible qu’aucun des arguments avancés par le gouvernement pour justifier les privatisations ne résiste à l’examen.
Premier argument développé par Bercy: la vente de parts que l’État détient dans Aéroports de Paris (50,6 %), Engie (24,1 %) et la Française des Jeux (72 %), va permettre d’abonder un fonds de 10 milliards d’euros consacré à l’innovation de rupture. Pourquoi pas? Sauf qu’à y regarder de plus près, on constate que rien n’est si simple. Les sommes récoltées seront en fait placées auprès du Trésor. C’est seulement le produit de ce placement – ou du moins une partie – qui sera dédié au fameux fonds. En supposant un rendement optimiste de 3 %, ce seraient au mieux 300 millions qui seraient débloqués annuellement pour financer l’innovation. Une somme à comparer avec les montants dégagés via les dividendes perçus par l’État sur ses participations dans Engie, Aéroports de Paris (AdP) et la Française des Jeux (FdJ), qui s’élèvent chaque année entre 700 et 800 millions d’euros! L’argument du financement de l’innovation, dès lors, semble davantage relever du prétexte que de tout autre chose.
Second argument utilisé par l’exécutif: les privatisations vont améliorer la gestion de ses entreprises, en leur appliquant les bonnes pratiques des groupes privés. Une pétition de principe – dans laquelle entre une bonne part d’idéologie – qui n’est pas partagée par une grande partie des économistes. Les privatisations – y compris aux yeux des théoriciens libéraux – se justifient en effet avant tout dans le cas d’entreprises œuvrant sur un marché concurrentiel, où le privé est censé être mieux armé pour affronter une compétition intense.
Ce n’est pas le cas, en revanche, s’agissant de situations de monopole. Dans ce type de cas, même les libéraux conséquents sont opposés à la privatisation – ils considèrent alors qu’il vaut mieux casser le monopole, plutôt que de le confier au secteur privé, qui se retrouve détenteur d’une forme de rente que rien ne justifie. La catastrophe qu’a constituée la privatisation des autoroutes en 2005 en est une illustration on ne peut plus explicite. On se souvient que les actifs autoroutiers avaient été cédés à 60 % de leur valeur réelle, et que 10 milliards d’euros avaient ainsi été perdus pour les caisses de l’État. Le scandale de la privatisation des autoroutes a démontré l’incapacité de l’État à évaluer adéquatement le prix de vente de ce type de biens, de même qu’à fixer un cahier des charges protégeant réellement les intérêts des utilisateurs. Les précédentes privatisations d’aéroports – en particulier celle de l’Aéroport de Toulouse en 2015 – ne se sont pas révélées plus convaincantes.
Or, aussi bien la Française des Jeux, qu’Aéroports de Paris se trouvent dans une situation de monopole: monopole sur les jeux de tirage et de grattage concernant la FdJ, monopole sur l’exploitation des aéroports de la région parisienne pour AdP. Des monopoles eux-mêmes justifiés historiquement par le caractère pour le moins sensible des activités concernées. Cela est évident dans le cas du jeu, avec des risques élevés en termes d’addiction, de protection des mineurs, de fraude ou encore de blanchiment. On estime ainsi que, dans notre pays, sur 19 millions d’adeptes des jeux de tirage et de grattage, environ 5 % – soit tout de même 1 million de Français! – auraient du mal à s’en passer. Les exemples étrangers – en Italie et en Australie en particulier – ont démontré une augmentation du risque d’addiction dans les cas de privatisation de l’entreprise concernée.
Le caractère stratégique des aéroports parisiens est tout aussi difficilement contestable: outre leur poids économique et leur rôle de vitrine touristique de notre pays, ils jouent un rôle-clé en matière sécuritaire. Les États-Unis, pays libéral s’il en est, en ont tiré les conséquences: contrairement à l’Europe, la quasi-totalité des aéroports y demeurent sous strict contrôle public.
Difficile, dès lors, de comprendre l’opportunité de ces privatisations. Quand bien même il s’agirait de la dette publique, cette dernière ne sera réduite que très marginalement par les cessions envisagées. Et sans doute très temporairement, compte-tenu du ralentissement de la croissance. Les «bijoux de famille», eux, auront définitivement quitté le giron de la collectivité nationale.