Tribune très intéressante, parue dans la Nef en décembre 2020, qui garde sa pertinence.
« Les vaccins contre le Covid 19 qui arrivent sur le marché ont été élaborés en un temps record et, pour certains, selon des techniques nouvelles dont les effets à long terme sont par définition inconnus. De tels vaccins tant attendus ne dispensent pas d’une juste réflexion morale, d’où le point de vue argumenté que nous sommes heureux de publier ici.
Le sujet du vaccin à ARN messager (ARNm) est sensible et mérite une évaluation morale particulière de la part de l’Église. D’autant plus se vérifie ici le lien entre évaluation éthique et nécessité de compréhension scientifique des processus vitaux se déroulant. D’autant plus semble se vérifier que les fondements de bioéthique sont inscrits au cœur même du vivant. C’est donc très précisément qu’il nous faut examiner la question, au cœur du fonctionnement de la cellule, au cœur du fonctionnement du coronavirus Covid 19, au cœur de celui du vaccin à ARN messager qui vient d’être mis sur le marché.
Quelle est donc tout d’abord sa nature ? S’agit d’un vaccin au sens traditionnel ?
Ce qui est de fait habituellement transmis lors d’un vaccin classique est un virus dénaturé ou une partie d’un virus épuré qui, ne portant pas l’élément actif pathogène, dispose toutefois le corps à la fabrication anticipée d’anticorps adaptés grâce à une congruence de structure tridimensionnelle entre le virus pathologique et son leurre. Le corps va donc recevoir ce virus dénaturé comme un autre virus et provoquer là où il se trouvera des réactions finalement habituelles d’immunité et de fabrication d’anticorps. Aussi, le principe de la vaccination classique ne pose-t-il pas de problème éthique au sens où il respecte le fonctionnement naturel du système immunitaire humain. La spécificité du vaccin à ARNm est qu’il va demander à toutes les cellules dans lesquels il se logera de fabriquer la protéine d’une partie du virus (appelée la spicule) qui elle-même provoquera la réaction d’anticorps correspondant. Il s’agit là d’une technique qui ressemble à de la thérapie génique impliquant directement la maîtrise de la fabrication d’un ARNm par voie biochimique dépassant une simple fabrication plus traditionnelle de vaccin. De prime abord, la solution paraît plus simple car l’ARNm est une simple chaîne linéaire de nucléotides alors que le virus dénaturé qui doit être « conditionné » est une protéine tridimensionnelle qu’il faut rendre stable. Mais plusieurs remarques d’importance sont à noter du point de vue éthique.
Premier point éthique : une triple violence
Remarquons tout d’abord la violence qui est faite au corps humain au sens heidegerrien de « Gestell » (provocation dans le vieil allemand) traduit en français par Préau par « arraisonnement ». Dans le premier texte intitulé « la question de la technique » du recueil « Essai et conférences »[1], Heidegger y définit ainsi par ce mot l’essence de la technique moderne comme une sorte de sommation faite à la nature d’être en pouvoir de devenir un fonds utilitaire pour l’homme. Il y prend l’exemple d’une centrale électrique sur le Rhin qui vient violemment interrompre le cours d’un fleuve : « La centrale n’est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l’autre. C’est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale »[2]. Peut-on ainsi ordonner à des millions de cellules de fabriquer une partie du virus, un corps étranger comme si on les arraisonnait à fabriquer quelque chose à l’encontre de leur équilibre systémique propre dans une sorte de forçage génétique ? Il est vrai qu’elles ne cessent de produire par les ribosomes des protéines nécessaires à la vie : mais les brins d’ARNm qui les génèrent sont des brins naturels, tirés de séquences d’ADN qui ont une logique interne qui nous dépasse. Les ribosomes produisent des protéines qui ont une certaine affinité avec eux et avec l’organisme en général. Par exemple, les ribosomes ne cessent de produire des protéines très complexes et très finalisées comme l’hémoglobine, des types d’enzyme, des protéines de stockage d’énergie mais qui sont de forme naturelle préétablies avec des fonctions propres faites pour la vie et dont certaines sont directement au service de la vie du ribosome. Ici, la violence subtile mais forte réside dans le fait qu’un organisme vivant comme l’homme va devoir fabriquer pour la première fois de sa vie par des ribosomes certaines entités qui ne relèvent pas d’une forme naturelle préétablie dans le génome. Ici, on ordonne aux ribosomes de « produire » des êtres non naturels dont on ne connaît pas les effets à long terme, qui viendront inonder le corps même si on s’attend à ce qu’ils permettent de développer par anticipation des anticorps. Cette violence s’exprime aussi par la manière dont l’ARNm va s’introduire dans la cellule : alors que naturellement il vient du noyau de la cellule sous forme de « filaments » qu’il constitue, ici, il est introduit de l’extérieur de la cellule par des nanoparticules lipidiques contenant repliée l’ARNm. Pour une cellule donnée, il y a l’intrusion de l’extérieur d’un corps étranger invasif alors qu’elle est naturellement habituée à accueillir ce type de corps comme venant de l’intérieur d’elle-même : comment réagira-t-elle à un élément biochimique qui lui ordonne de faire quelque chose à partir d’un mode d’entrée et de présentation de soi non naturel ? En quelque sorte, alors que tous les ARNm sont des ARN invités à entrer dans la danse harmonieuse de tous les organites d’une cellule donnée, ceux des vaccins à ARNm apparaissent comme des ARN mercenaires s’invitant par eux-mêmes au cœur de la cellule en la contraignant à produire, à être efficace pour ce qu’on attend d’elle. Puisque l’être humain est un, tout comme le système immunitaire est un, comment peut-on être sûr de l’innocuité d’une telle méthode ultraviolente qui s’apparente à une sorte de coup de fouet donné aux ribosomes. Enfin, c’est la quantité d’ARNm qui est injectée, en tant que quantité brute qui fait violence : alors que celui-ci se présente habituellement pour une protéine à fabriquer comme un ou des simples brins que vont lire plusieurs ribosomes et dont la quantité sera contrôlée par des mécanismes d’autorégulation, la, une quantité abstraite est imposée dans son mode de lecture.
Une triple violence est donc faite par ce type de vaccin au cœur de ce qui nous constitue le plus fondamentalement au niveau corporel, à savoir la cellule humaine, merveille de Dieu dans son fonctionnement interne : dans le fait de devoir fabriquer quelque chose de non naturel, dans le fait d’être contraint d’accueillir de l’ARN mercenaire de l’extérieur d’elle-même, dans le fait de devoir subir un assaut quantitatif d’ARNm alors qu’il est diffusé naturellement au cœur de la cellule qualitativement et de manière auto-régulée.
Deuxième point éthique : le passage à un transhumanisme en acte à grande échelle