A l’heure ou Trump envisage sérieusement une intervention militaire en Syrie, il convient de revenir sur le déroulé des évènements afin de se forger une opinion avec prudence et réalisme.
Les faits : le mardi 4 avril, l’aviation syrienne bombarde Khan Cheikhoun, une ville d’environ 50 000 habitants dans la province d’Idleb.
Cette zone est tenue par différents groupes salafistes (Ahrar al-Cham) et jihadistes (Hayat Tahrir al-Cham ex Front al-Nosra).
Suite à cette attaque, des émanations de gaz ont tué près d’une centaine de personnes et blessé près de 200 autres (dont femmes et enfants).
Des images très dures, avec des cadavres d’enfants mis en scènes, alignés les uns à côté des autres, circulent sur les réseaux sociaux.
Sans attendre les conclusions d’une enquête et sans même attendre la version syrienne, les grandes chancelleries occidentales, l’ONU, Israël
et la Turquie accusent Bachar d’avoir volontairement gazé des civils.
La Russie, alliée de la Syrie dans le conflit, délivre une autre version (très peu diffusée dans les médias français) :
« Selon les données objectives du contrôle russe de l’espace aérien, l’aviation syrienne a frappé près de Khan Cheikhoun un grand entrepôt terroriste », a déclaré dans un communiqué le ministère russe de la Défense affirmant que cet entrepôt contenait des « substances toxiques ».
Il abritait « un atelier de fabrication de bombes, avec des substances toxiques ».
Attaque chimique ou manipulation ?
C’est le Moyen Orient, c’est un conflit presque mondial et depuis 2011, les mensonges et la propagande sont la règle des deux côtés. Il faut rester prudent.
Il ne s’agit pas de nier que l’armée syrienne et ses milices supplétives fassent parfois preuve d’une grande brutalité vis à vis des populations civiles (sunnites essentiellement).
Mais Damas n’avait aucune raison valable de lancer une attaque chimique sur un objectif militaire ou sur la population civile.
L’armée arabe syrienne et ses alliés avancent sur presque tous les fronts, et Damas ne joue plus sa survie depuis l’intervention militaire russe.
Bachar el-Assad savait qu’en cas d’attaque de ce type, il se mettrait à dos les Américains. La diplomatie US venaient pourtant tout juste de se raviser et de ne plus réclamer le départ du président syrien. (voir ici)
Dans une série de tweet, Wassim Nasr, explique que les attaques chimiques en Syrie serviraient un objectif stratégique, la reconquête totale du territoire :
« Il y a une logique ds les attaques chimiques, vis à vis d occidentaux: se poser en interlocuteur obligatoire sinon ça continue. »
« vis à vis des #Syrie-ns, démontrer l’incapacité des occidentaux à intervenir, donc le retour ds le giron de Damas devient une option. »
« les récalcitrants & « radicalisés » iront chez les jihadistes, donc leur sang devient « licite » comme c le cas en #Irak par ex vis à vis d pouvoirs ds la région, la #Russie a la posture de l’allié inconditionnel donc marquera d points, donc non ce n’est pas fou… »
« Assad n’est pas fou, il fait monter les enchères et le prix à payer pr chaque jr qui passe sans sa réhabilitation totale par les occid. »
« Assad n’est pas à la recherche d’un compromis, mais d’une victoire totale. Pas place pr les perdants ds cette région du monde. »
Cette théorie est très probablement fausse. Car dans l’immédiat, la Syrie a beaucoup plus à gagner en faisant profil bas tout en continuant la reconquête de la « Syrie utile ».
La Russie, qui est un allié fort et incontournable de Damas, ne semble pas disposer à aider Bachar dans une guerre toujours plus intense et coûteuse.
Les éléments troublants
Le docteur Shajul Islam, est un médecin islamiste de la province d’Idleb. C’est lui qui s’est empressé d’annoncer l’attaque chimique au monde, par le biais de son compte Twitter.
Ce terroriste serait impliqué dans l’enlèvement de journalistes dans l’ouest de la Syrie en 2012 (Dont John Cantlie toujours aux mains de l’EI).
On peut raisonnablement remettre en doute l’impartialité du personnage.
De même, il n’est plus besoin de discuter de la fiabilité de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), coqueluche des médias, dont l’engagement militant et les mensonges à répétition, l’ont décrédibilisé auprès même des adversaires (objectifs) de Bachar el-Assad.
Le contexte prête aussi à réfléchir. « L’année dernière, avant une grande conférence à Londres, où l’opposition syrienne rencontrait ses donateurs, tels que le Royaume-Uni, la France et d’autres, des allégations d’attaques chimiques avaient eu lieu. Aujourd’hui, il y a ce grand incident présumé, et une fois de plus – ce n’est probablement pas une coïncidence – demain commence une conférence très importante à Bruxelles entre l’ONU et l’UE. »
De plus d’un point de vue géopolitique, cette attaque divise encore un peu plus les Occidentaux des Russes.
Ci-dessous, l’excellent entretien de Frédéric Pichon pour France Culture :
Malgré ces considérations, on ne peut pas exclure l’hypothèse d’un bombardement chimique de l’armée arabe syrienne. Les dirigeants du Moyen-Orient ont parfois une logique très différente de celle des Occidentaux. De plus, historiquement, la Syrie n’est pas en reste dans l’utilisation d’une diplomatie « violente » (contre la France notamment). Ça pourrait être un moyen pour Damas de pousser les Russes à s’engager à leur côté afin d’écraser totalement la rébellion en Syrie. On ne peut pas exclure non plus, que ce soit l’initiative personnelle d’un gradé ou d’un groupe de militaires syriens.
L’avenir nous dira probablement ce qu’il s’est réellement passé à Khan Cheikhoun le 4 avril 2017.
Pierre pour Contre Info