Lu sur le Réseau Voltaire : La paix en Syrie pourrait être sauvée si chacun disait la vérité. De retour à Damas en ce mois de mai 2012, il me faut bien constater qu’après une année de conflit, la réalité du terrain ne cesse de s’éloigner du tableau catastrophiste qu’en imposent les mensonges et la désinformation occidentale.
Le mois de février a marqué un coup d’arrêt aux provocations des islamistes radicaux. Les troubles, en majorité circonscrits à Hamma et à Homs, auraient d’ailleurs été plus vite résorbés si la pression internationale n’avait freiné l’intervention de l’Armée. Les zones frontalières de la Turquie, de la Jordanie et du Liban — par lesquelles s’infiltrent les mercenaires — restent encore sensibles. Dans la capitale, ce que l’on appréhende le plus sont les voitures piégées et les attentats à la bombe, la plupart du temps, le fait de kamikazes alléchés par l’appât du gain, le désir du paradis d’Allah, ou bercés du rêve sunnite de la fin des alaouites au terme de 40 ans de règne et l’avènement de Jésus au haut du minaret, accompagné du dernier prophète Al-Mahadi pour le Jugement dernier.
Il faut dire et redire que l’idéologie fanatique est d’importation étrangère et que la Syrie n’a jamais été confrontée à un cycle de manifestations/répression, mais à une déstabilisation sanguinaire et systématique par des aventuriers qui ne sont pas syriens. Cette information, qui va à l’encontre des journaux et des reportages télévisés, l’ex-ambassadeur de France, Éric Chevallier, n’avait eu de cesse de la faire entendre à Monsieur Juppé ; mais le ministre français refusa toujours de tenir compte de ses rapports et falsifiait sans vergogne ses analyses pour alimenter la guerre contre la Syrie [1].
Nos lecteurs ont encore en mémoire l’invitation du Patriarche maronite à Paris, Sa Béatitude Bechara Raï, par Nicolas Sarkozy qui, s’étant renseigné sur le nombre des chrétiens au Liban et en Syrie, lui proposa de les installer en Europe. La réponse indignée et courageuse du haut prélat qui prit la défense de Bachar Al-Assad — et qui devait, selon le protocole, être décoré de la légion d’honneur — lui valut d’en recevoir l’écrin de la main sèchement tendue de l’ex-président français [2].
Arrivée à Damas
L’on respire à Damas un autre air qu’on voudrait nous le faire croire partout ailleurs.
Certes, depuis quatre mois, dans la banlieue, les voitures piégées ont fait de sanglants dégâts ; plusieurs fanatiques suicidaires se sont fait exploser dans la foule d’innocentes victimes. L’on entend parfois, la nuit, des échanges de coups de feu, c’est l’armée qui veille à la protection des habitants et parvient souvent à empêcher les attentats meurtriers. Ces jours-ci, deux minibus bourrés de TNT ont explosé simultanément selon un schéma terroriste désormais classique. Toujours disposée à proximité d’une cible d’intérêt stratégique, la première charge est destinée à semer la panique et à attirer le plus grand nombre d’intervenants pour déclencher la seconde explosion. Cette fois-ci, c’était le Quartier Général du contre-espionnage syrien, où avaient été détenus les étrangers pris les armes à la main et que les salafistes projetaient de faire évader. Leur tentative échoua mais se solda par un bilan terrible : 130 morts (dont 34 chrétiens), 400 blessés et autant de logements endommagés.
La consternation est générale, le chagrin indescriptible et les nombreuses funérailles déchirantes. Pourtant, en ce mois de Marie les églises abondamment fleuries se remplissent chaque soir et j’ai vu les mosquées bondées le vendredi à midi ; la concentration de la prière aux Omeyyades évoquait pour moi celle des coptes en Égypte ; tandis que les espaces verts sont régulièrement envahis par des familles heureuses de se retrouver pour des piqueniques qui se prolongent tard dans la nuit. Le peuple syrien est un peuple simple et enjoué. Malgré l’insécurité et les dramatiques difficultés économiques engendrées par les sanctions internationales (l’inflation de la livre syrienne, l’anéantissement total du tourisme, la croissance du chômage et la cherté grandissante des denrées de base), la vie continue normalement.
Les chrétiens vivent en paix
Bien que partageant avec leurs congénères l’inquiétude générale, les chrétiens avouent volontiers qu’ils ne se sont jamais sentis aussi libres par le passé. Ils attribuent ce sentiment à la pleine reconnaissance de leurs droits lors de l’accession à la présidence de la famille Assad. Certains s’estiment même mieux traités aujourd’hui qu’à l’époque où ils étaient pris entre les deux feux des partisans opposés de De Gaulle et de Vichy. Un ami damasquin évoque pour moi le souvenir de son grand-père qui, suivant une coutume alors répandue, avait échangé le sang d’une légère blessure faite à la main avec celui d’un cheikh musulman pour devenir frères de sang ; il me confie : « Les ennemis de la Syrie ont enrôlés les Frères Musulmans dans le but de détruire les relations fraternelles qui existaient depuis toujours entre les musulmans et les chrétiens. Pourtant, à ce jour, ils n’y sont pas parvenus : ils ont même provoqué une réaction contraire et rapproché comme jamais auparavant tant les communautés que les individus. »
Petit rappel historique. La conquête de la Syrie par les arabes (636) n’a jamais été sanglante. À Damas, tandis que les chrétiens byzantins tentaient de leur résister, les chrétiens syriaques leur ouvraient les portes de la ville et leur offraient spontanément leurs services pour construire des habitations. Sait-on que pendant 70 ans, chrétiens et musulmans prièrent ensemble dans l’Église Saint Jean-Baptiste ? Quand celle-ci fut devenue trop petite, sur la demande des musulmans, elle devint la Mosquée des Omeyyades (705) que l’on admire encore aujourd’hui ; et pour dédommager les chrétiens, les musulmans leur construisirent les quatre premières églises damascènes.
La première impression qui me frappe est donc de retrouver Damas pareille à elle-même, son charme désuet, ses souks hauts en couleurs aux effluves d’épices, l’animation égayée des ruelles de la vieille ville et sa circulation qui n’a rien à envier à celle du Caire ; dans les quartiers verdoyants des bords du Barada, les restaurants sont pleins. La seconde, c’est la dignité et la modestie du petit peuple de la rue : guère de mendicité, d’apitoiement ou de plainte de la part des pauvres qui fourmillent pourtant et cachent bien leur misère derrière leurs murs lézardés. On n’imaginerait jamais ici personne dormant dans la rue, comme à Paris.
Sur le terrain
L’Armée n’est intervenue que plusieurs mois après le commencement des événements. L’insurrection s’est caractérisée par une cruauté d’une sauvagerie oubliée en Syrie depuis les massacres de 1860 où 11 000 chrétiens furent assassinés par des fanatiques mahométans encouragés par les ottomans.
Les turcs d’alors étaient pires que les salafistes d’aujourd’hui. Petite évocation historique. Qui se rappelle qu’en 1859, la maladie du ver à soie avait provoqué la disparition de sa culture tant en Chine qu’en France ? Seule la Syrie avait échappé au fléau. (Le brocart, inventé par la famille Boulad avait déjà conquis le monde). Or tous les soyeux syriens étaient chrétiens. Il n’en fallut pas plus pour que le gouvernement français du Second Empire « suggère » à l’occupant ottoman de provoquer — par musulmans exaltés interposés — les troubles sanglants que l’on sait et la persécution contre les chrétiens qui se solda par l’expatriation de tous les soyeux vers la France et le rachat à bas prix de leur production.
Un militaire, actuellement sous les armes au sud du pays, me fait part de sa stupéfaction quand il s’est trouvé affronté à des combattants qui n’étaient pas syriens mais étrangers, et me rapporte quelques faits surprenants dont il a été témoin : « Quand nous avons commencé à nous battre, nous avons trouvé en face de nous des Libyens, des Libanais (mercenaires sunnites de Saad Hariri), des Qatari, des Saoudiens et, bien sûr, des Al Qaeda. Quand nous avons fait des prisonniers, nous avons constaté que beaucoup d’entre eux ne parlaient pas l’arabe, c’étaient des Afghans, des Français, des Turcs ». Chacun s’attend, ici, à des révélations de nature à mettre en porte-à-faux bien des pays.
Parmi ces étrangers, me dit-il, « bon nombre d’entre eux ne savent pas où ils sont : on fait passer les Libyens par le Golan à proximité de la frontière israélienne pour leur montrer le drapeau israélien et les convaincre qu’ils sont bien sur la route de Gaza où ils vont combattre avec leurs frères musulmans… À Homs, a été arrêté un Libyen persuadé de se trouver en Irak pour combattre les Américains. »
Près de la frontière israélienne, de nuit, des voitures télécommandées bourrées d’explosifs ont pu être interceptées, exemple parmi d’autres des interventions sporadiques de commandos qui traversent chaque jour les frontières jordanienne, israélienne, libanaise et turque.
Homs, ville martyre
À Homs, il est faux de dire que les alaouites centralisent dans leurs mains tous les pouvoirs ; au nombre de 24, les notable comptent 18 sunnites, 4 chrétiens et 2 alaouites.
Homs a toujours été la ville du pays la plus peuplée de chrétiens. Ceux-ci occupaient à 98 % deux quartiers, Bustan El Diwan et Hamidieh (le Vieux Souk), où se trouvent toutes les églises et les évêchés. Le lacis de ses ruelles et les nombreux passages souterrains rouverts pour la circonstance ne permirent pas aux mercenaires d’y pénétrer avant la reprise de Baba Amro. Le spectacle qui s’offre maintenant à nos yeux est celui de la plus absolue désolation : l’église de Mar Élian est à demi détruite et Notre-Dame de la Paix saccagée (près de laquelle on a trouvé plusieurs personnes égorgées) est encore occupée par les rebelles. Les maisons, très endommagées par les combats de rue sont entièrement vidées de leurs habitants qui ont fui sans rien emporter ; le quartier d’Hamidieh constitue encore aujourd’hui le refuge inexpugnable de bandes armées indépendantes les unes des autres, fournies en armes lourdes et en subsides par le Qatar et l’Arabie Saoudite.
Tous les chrétiens (138 000) ont pris la fuite jusqu’à Damas ou au Liban ; ceux qui n’y avaient pas de parents se sont réfugiés dans les campagnes avoisinantes, chez des amis, dans des couvents, jusqu’au Krak des Chevaliers. Un prêtre y a été tué ; un autre, blessé de trois balles dans l’abdomen, y vit encore ainsi qu’un ou deux autres, mais ses cinq évêques se sont prudemment réfugiés à Damas ou au Liban. On dit que les chrétiens amorcent un timide mouvement de retour.
Aujourd’hui, mis à part quelques coups de feu nocturnes, la ville a retrouvé le calme. C’est le cas d’Arman, quartier où les alaouite sont aussi proportionnellement plus nombreux que dans les autres villes, où l’on peut circuler en voiture. Quant au quartier sunnite, on peut y pénétrer (même un étranger, s’il est accompagné d’un sunnite), mais c’est à ses risques et périls car les tireurs isolés ne sont pas rares. Les magasins sont fermés et les destructions impressionnantes. Je trouve étrange de n’apercevoir dans toute la ville aucune présence militaire, aucun soldat en armes. Ceux-ci se contentent d’en contrôler les accès et d’occuper des casernes, à l’extérieur.
Les villages chrétiens de la campagne d’Homs
Puisqu’on n’est pas éloigné de la frontière du Liban, les points de contrôle et les barrages sont nombreux, ainsi que le mouvement des véhicules de l’armée loyaliste. Du haut de ses sept ans, Jacques s’époumone auprès de moi : « Dieu protège l’armée ! » ; je le verrai ce soir prier pour elle comme il le fait chaque jour avec ses frères et sœurs. Dans le village chrétien où je passe les nuits, les grand-mères se font un devoir de porter de la nourriture aux soldats. Un habitant me confie : « Si l’armée quitte notre village, nous risquons d’être égorgés. Si la répression sauvage dont l’accusent vos médias était réelle, pourquoi les militaires seraient-ils les bienvenus dans nos villages ? ». Ils sont, j’ai pu le constater de mes yeux, sous la protection attentive des troupes fidèles au président Bachar. Pourtant, le jour de l’Ascension, une roquette est arrivée dans le jardin, heureusement sans faire de dégâts, mais l’explosion a terrifié les enfants. Le village, pour la première fois, a été la cible de trois RPG dont l’un a provoqué la mort d’un grand-père et de ses deux petits enfants (14 et 13 ans).
La campagne jouit donc d’un calme très relatif. On entend des échanges de tirs, la nuit : c’est que nous ne sommes qu’à une quinzaine de kilomètres de la frontière libanaise. Douze personnes qui se rendaient à Kafr Nam en minibus ont été kidnappées contre rançon. Un autobus a été mitraillé sur la route. Au village, un cousin a été enlevé quelques heures, le temps de lui voler son taxi (habilité à passer la frontière libanaise). Tout cela relève d’actions isolées des bandes armées.
Rappel des faits récents…
On se souvient que pendant huit longs mois, les Homsiotes avaient réclamé l’intervention de l’Armée, qui se refusait à prendre le risque d’atteindre la population civile.
Après avoir essayé sans succès de s’établir à Daraa, (près de la frontière jordanienne), puis à Idleb (près de la frontière turque) dont ils furent également délogés, les opposants au régime avaient choisi Homs pour sa proximité avec le Liban, comme Quartier Général. Dès lors, on ne compta plus les exactions et les crimes d’une férocité tout-à-fait étrangère au comportement syrien. Pour exemple, l’enlèvement de 200 alaouites, en août de l’an dernier, à fin de les égorger pour la fête de l’Aid al-Adha. En provenance du Liban, un armement sophistiqué considérable, suffisant pour approvisionner toute la rébellion, avait été stocké dans le quartier de Baba Amro autoproclamé Émirat Islamique Indépendant. De nombreux combattants y avaient d’ailleurs été enrôlés de force, sous menace d’éliminer leur famille. Parmi des atrocités sans nom, on a retrouvé les corps de 48 jeunes hommes égorgés parce qu’ils voulaient rendre les armes ; c’est ce que m’a personnellement raconté un survivant qui avait perdu dans cette circonstance son père et ses deux frères. Il faut savoir que, pour le fanatique sunnite extrémiste, égorger son ennemi manifeste sa fierté d’être en Guerre Sainte ; et c’est un acte de vertu qu’il offre aux yeux d’Allah.
Lorsque des terroristes veulent vérifier l’identité religieuse d’un suspect, s’il se dit chrétien, ils lui font réciter le Je crois en Dieu et le laissent partir (les chouans l’exigeaient en latin). S’il se dit ismaélite, il lui est demandé de donner les généalogies qui remontent à Moïse. S’il se dit sunnite, ils exigent qu’il récite une prière dont les alaouites, eux, ont retiré un passage. Les alaouites n’ont aucune chance de s’en tirer vivant. Nombre d’entre eux ont été kidnappés sur simple présentation de leur carte d’identité ; quand des chrétiens l’ont été, c’était par erreur. Depuis les temps immémoriaux, en effet, les chrétiens vivent en paix dans les quartiers sunnites et alaouites, heureux de leur présence.
Toujours au contact avec la population, Bachar Al-Assad (dont on sait que la mère a été l’élève d’un collège de Latakieh tenu par des religieuses) s’est rendu personnellement sur place après les événements et a promis de reconstruire les quartiers martyrs.
Le dessous des événements
Que l’on nous permette de revenir quelque peu sur les événements d’Homs présentés par la presse française et internationale à la honte du « barbare » Bachar El-Assad.
9 février 2012. Après épuisement de toutes les tentatives de médiation, l’Armée loyaliste syrienne donne l’assaut à « l’Armée syrienne libre » qui s’était emparé du quartier de Baba Amro et avait pris ses habitants en otage. Lorsqu’au terme de batailles qualifiées de « répression sanguinaire » par la presse internationale, les Forces gouvernementales vinrent à bout des rebelles, une partie d’entre eux trouva refuge dans le labyrinthe du quartier chrétien, tandis que les derniers éléments armés de l’Émirat prenaient la fuite, en massacrant les chrétiens des deux villages qu’ils traversèrent avant de trouver refuge au Liban. Mais qu’advint-il des journalistes-combattants de l’émirat islamique autoproclamé ?
Deux y trouvèrent la mort, Marie Colvin et Rémi Ochlik qui furent identifiés sur des vidéos par les ambassadeurs de France et de Pologne, en tenue de combat. Le « photographe » Paul Conroi appartenait à une agence de renseignement britannique [3] ; Édith Bouvier était entrée clandestinement en Syrie aux côtés des rebelles. Elle, qui aurait dû tomber sous le délit d’immigration illégale, osa à l’époque manipuler la compassion des téléspectateurs français en réclamant la création d’un « couloir humanitaire », se faisant la porte-parole d’Alain Juppé qui cherchait par là à exfiltrer les mercenaires de l’Armée Syrienne Libre et leurs instructeurs occidentaux. D’autres éléments laissent à imaginer que l’envoyée du Figaro Magazine travaillait pour la DGSE [4].
La veille de l’assaut final, s’échappant nuitamment les dits journalistes gagnèrent le Liban où ils furent récupérés à un point de passage illégal par l’ambassadeur de France à Beyrouth, Denis Pietton, le même qui avait insolemment pris position contre Sa Béatitude Bchara Raï, trop bacharisé à son goût. Sous le faux prétexte de visiter les alentours de Baalbek, à l’est du Liban, le diplomate avait rejoint le nord de la Bekaa , (région frontalière limitrophe de la province de Homs) avec une équipe sécuritaire française. Là, il récupérait les exfiltrés français ; comme, en vertu de la Convention de Vienne, les voitures diplomatiques ne peuvent être perquisitionnées, le convoi ramena les agents français à l’ambassade, au nez et à la barbe de la police [5].
La frontière évanescente du Liban
L’Armée Nationale syrienne renforce son dispositif pour empêcher les infiltrations. Mais des combattants étrangers se regroupent toujours aux frontières turque et jordanienne ; après avoir transité par Amman, des centaines de Libyens d’Al-Qaïda takfiristes (ex-groupe islamique agressif en Libye) continuent d’affluer, tandis que plusieurs milliers d’autres sont rassemblés à Hattay (en Turquie) et encadrés par l’Armée turque ; ces jours-ci, sont arrivés en renfort plus de 5 000 Libyens.
Les incidents se multipliant, on dit que l’Armée libanaise aurait démantelé un camp de regroupement et une base de communication sur son territoire. Pourtant les preuves prolifèrent sur la responsabilité de certains milieux libanais dans la transformation du Liban en base arrière pour frapper la Syrie et y commettre des actes de violences. En collaboration avec des ambassades occidentales, un vaste trafic d’armes a été mis en place via Tripoli (où arrivent par cargos des milliers de tonnes d’armement lourd) grâce à l’installation de bases logistiques et médiatiques notamment animées par le Courant du futur de Saad Hariri et les Forces libanaises de Samir Geagea. La tâche de ces cellules est de former et d’entraîner les groupes terroristes syriens. Tout se passe comme si, sur décision américaine, le Liban était devenu une plateforme pour agresser la Syrie [6].
Damas, une écharde dans la chair
Alors que la Syrie semblait trouver sa place dans le concert des nations, voici qu’un nombre inattendu de protagonistes s’intéresse à elle, pas toujours de façon cordiale ou désintéressée. L’homme de la rue se demande si une nouvelle guerre mondiale n’a pas commencé dans son pays. Et les conjectures vont bon train.
La Russie n’a-t-elle pas besoin de la région comme débouché indispensable vers les mers libres ? Comment l’Amérique pourrait-elle supporter l’idée de son émergence au rang des puissances mondiales ? La Chine elle-même ne nourrit-elle pas le projet d’une ligne de chemin de fer en direction du Golfe et de l’Afrique ? L’acheminement du pétrole et du gaz iraniens à destination de Banyias se fait à travers l’Irak, mais les hydrocarbures du Qatar à destination d’Haïfa ne seraient-ils pas programmés pour transiter par la Syrie ? Poursuivant le plan sioniste ourdi de longue date de découpage confessionnel du Moyen-Orient, Israël considère que sa sécurité exige à n’importe quel prix la chute de Bachar, dont la force est devenue une menace. Nul n’ignore que lorsqu’il devint Premier ministre, le sunnite Saad Hariri (dont la fortune doit beaucoup aux fonds américain, saoudiens et qataris) n’était libanais que depuis huit ans. Son alliance avec l’Arabie Saoudite s’explique aisément par le fait qu’il est le fils de l’épouse que son père, Rafic, a offert en présent au roi Abdallâh. Saoudiens et Qataris sont alliés des USA qui les soutiennent à cause du pétrole mais leur tiennent la bride courte, en menaçant — par des troubles populaires qui ont déjà commencés — la stabilité de leurs trônes. On peut noter qu’il y a aussi du pétrole dans la région de Deir Ezzor, à l’est de la Syrie (où vient d’exploser un véhicule contenant 1000 kg de TNT), et beaucoup de gaz dans la région de Qara et au large des côtes de Latakieh. En fait, tout ce beau monde ne s’est-il fédéré contre la Syrie que lorsqu’elle a commencé d’émerger au niveau des grandes puissances et Washington ne provoquerait-il les changements de régime du monde arabe que pour réaliser ses objectifs géopolitiques concernant la maîtrise de l’énergie ?
Quand — à l’appui de la Russie et de la Chine, au soutien de l’Iran et celui du Hezbollah libanais (qui menace directement Israël) — la Syrie ajoute sa puissance de feu et l’efficacité de la protection de son territoire (par des moyens électroniques capables d’intercepter toutes communications ou de mettre en panne tout appareillage électronique), Bachar devient une écharde insupportable dans la réalisation du plan sioniste de dépècement du Moyen-Orient destiné à assurer la survie d’Israël.
Les chrétiens ne sont pas persécutés comme en Égypte
Mon hôte me dit : « Avant le commencement des événements, nul n’aurait jamais eu l’idée de revendiquer son appartenance religieuse. On vivait tous ensemble, sans toujours savoir quelle religion l’autre pratiquait. On était syrien, et cela nous définissait. C’est en 2011 que tout a commencé de changer et que nous y avons prêté attention. »
On pourrait presque dire que les malheurs des chrétiens relèvent des dommages collatéraux. En effet, les incidents dont ils ont été victimes ne se sont produits que dans la région d’Homs, (précédés des affrontements entre sunnites et alaouites), mais l’on n’en déplore à ce jour aucun dans les autres provinces.
Ils sont inquiets, bien sûr, mais leur peur n’a vu le jour qu’avec le Printemps arabe et la crainte de la prise du pouvoir par les Frères musulmans. Avec l’immense majorité des Syriens, ils aiment leur Président dont on sait aujourd’hui qu’il ne tient plus au pouvoir mais, ne voulant pas céder à la pression actuelle, attend les élections de 2014 sans intention de se porter candidat. Ils jugent enfin les bandes armées fanatisées pour ce qu’elles sont, la plupart du temps, composées de jeunes délinquants entre 18 et 26 ans à peine sortis de prison. Avec tous les Syriens et comme le Président lui-même, ils désirent des réformes. Mais pas sa chute qui entraînerait immédiatement l’irakisation de la Syrie (qui a accueilli, faut-il le rappeler, plus de trois millions de réfugiés irakiens).
Il a fallu attendre cette guerre pour que les chrétiens soient personnellement menacés par des combattants salafistes encouragés et excités chaque soir à la télévision par le « cheikh » Al Araour. Ancien officier de l’Armée syrienne, ce personnage peu recommandable a été jugé et condamné aux geôles syriennes pour ses mœurs dépravés ; mais il a pris la fuite et s’est réfugié au Qatar d’où il ne cesse d’inciter ses troupes à massacrer alaouites et chrétiens.
Il y a, pour l’observateur, une évolution évidente des « révolutions ». Les troubles avaient commencé en Tunisie, puis ce fut le tour du Yémen, de l’Égypte et de la Libye, avec le « succès » que l’on sait. Il restait la Syrie. Pourtant il faut reconnaître ceci : si les chrétiens ne sont pas directement persécutés dans leur pays, c’est leur existence même qui est menacée de l’extérieur par les alliés du Golfe et les prises de position iniques de nations comme la France, à la remorque des États-Unis, eux-mêmes assujettis à Israël.
Bilan des victimes, la torsion des chiffres
Au début du mois, la presse officielle faisait état d’un Rapport de la Syrie à l’ONU daté du 21 mars qui recensait les victimes du conflit depuis le début des affrontements.
Le nombre des victimes des rebelles s’élevait à 6 000 et se décomposait ainsi : 3 000 soldats de l’Armée régulière et 3 000 civils, (500 policiers abattus, 1 500 enlèvements et 1 000 disparus). Dans le même temps, l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme évaluait le nombre de Syriens tués à 11 000. Les rebelles — rebaptisés « déserteurs » par l’OSDH — ne comptabilisaient que 600 pertes et ne mentionnaient évidemment pas les nombreux combattants étrangers tombés en martyrs du djihad.
Même compte tenu de la difficulté de l’exactitude en la matière, la marge entre les deux chiffres était démesurée. Mais la manipulation ne s’arrêtait pas là puisque la responsabilité des 11 000 morts devait incomber à la répression gouvernementale, les médias de masse occidentaux se faisant immédiatement l’écho indigné des chiffres de l’OSDH.
Printemps syrien
Il plane dans le petit peuple chrétien le sentiment qu’une renaissance doive suivre les événements actuels, leurs ennemis conjugués n’ayant obtenu d’autres résultats que des destructions partielles et celui de souder les Syriens autour de leur président ; les attentats des derniers kamikazes sont même perçus comme des combats d’arrière-garde.
C’est sous les murs de Damas que saint Paul, futur Apôtre des Nations, a été saisi par le Christ Jésus, Lumière du Monde. Ni à Jérusalem, ni autre part.
Et le terme singulier d’orientalité (proche d’authenticité) n’exprimerait-il pas la qualité de convivialité historique qui a toujours existé entre chrétiens et musulmans ? On sait que la Mosquée des Omeyyades abrite le crâne de saint Jean-Baptiste, que vénèrent côte-à-côte chrétiens et musulmans. Mais sait-on que beaucoup de musulmans cultivés prient le Christ ? Pèse-t-on à leur juste mesure les visites régulières du président Bachar au monastère de Notre-Dame de Sayidnaya, comme à l’humble Sanctuaire de Saint Ananie où il a lui-même demandé de l’huile bénite ? ; et sait-on que l’image miraculeuse de la Vierge de Soufanieh — devant laquelle viennent se recueillir des cheikhs musulmans — fut rapportée du Kazanska, où musulmans et chrétiens honorent depuis toujours l’icône prodigieuse de Notre-Dame de Kazan ?
Enfin, ne faudrait-il détruire la Syrie que parce qu’elle apparaît comme le cœur d’un Islam modéré ? Pour justifier sa politique de domination, l’Occident ne veut avoir affaire qu’à l’Islam pur et dur qu’il suscite, alimente et bouffit. En opposant au monde occidental (soi-disant chrétien) un monde de barbus fanatiques, il peut justifier sa guerre pour le pétrole.
Les politiciens font des plans. L’ultime raison d’espérer des chrétiens de Syrie — comme de tout le Proche-Orient — repose sur leur foi dans le plan du Seigneur. La terre d’Orient est gorgée d’Espérance. N’a-t-elle pas engendré au cours des siècles passés des victoires aussi fulgurantes que mystérieuses : David face à Goliath, Cirrus face à Nabuchodonosor, Gédéon face aux Madianites ? N’oublions pas que le sort du monde se joue autour du mont Moriah, à portée de canon de Damas.
Mgr Philippe Tournyol du Clos