Nous vous proposons une présentation des textes liturgiques propres à ce dimanche (rite catholique traditionnel), avec commentaire.
« Aux Ve et VIe siècles, ce dimanche était pour les catéchumènes un jour de « scrutin » , c’est-à-dire de réunion préparatoire au baptême, au cours de laquelle se pratiquaient les exorcismes. Si les textes que nous lisons aujourd’hui ne sont plus ceux de l’ancienne messe de scrutin, ils ne manquent pas d’un certain rapport avec les exorcismes de notre baptême où s’est ouverte notre lutte contre Satan.
La Station se fait à Saint-Laurent-hors-les-Murs. Et presque tous les chants de la messe font allusion au martyr qui, par sa confiance en Dieu, triompha des Puissances du mal. Par le baptême, nous nous sommes engagés à mener un combat semblable contre le mal et à vivre en fils de lumière qui évitent de retomber sous l’emprise du démon. »
R.P. J. Feder s.j.
INTRODUCTION GÉNÉRALE PUIS COMMENTAIRE DE LA MESSE PAR DOM GUÉRANGER
(dans l’Année liturgique – disponible ici avec ses autres livres) :
« La sainte Église, qui, au premier Dimanche de Carême, nous a proposé la tentation de Jésus-Christ au désert pour sujet de nos méditations, afin de nous éclairer sur la nature de nos propres tentations, et sur la manière dont nous en devons triompher, nous fait lire aujourd’hui un passage de l’Évangile de saint Luc, dont la doctrine est destinée à compléter notre instruction sur la puissance et les manœuvres de nos ennemis invisibles. Durant le Carême, le chrétien doit réparer le passé et assurer l’avenir ; il ne pourrait se rendre compte du premier, ni défendre efficacement le second, s’il n’avait des idées saines sur la nature des périls auxquels il a succombé, et sur ceux qui le menacent encore. Les anciens liturgistes ont donc reconnu un trait de la sagesse maternelle de l’Église dans le discernement avec lequel elle propose aujourd’hui à ses enfants cette lecture, qui est comme le centre des enseignements de la journée.
Nous serions assurément les plus aveugles et les plus malheureux des hommes, si, environnés comme nous le sommes d’ennemis acharnés à notre perte et très supérieurs à nous en force et en adresse, nous en étions venus à ne pas songer souvent à leur existence, peut-être même à n’y réfléchir jamais. Tel est cependant l’état dans lequel vivent un nombre immense de chrétiens de nos jours : tant « les vérités sont diminuées parmi « les enfants des hommes 42 ». Cet état d’insouciance et d’oubli sur un objet que les saintes Écritures nous rappellent à chaque page, est tellement répandu, qu’il n’est pas rare de rencontrer des personnes aux yeux desquelles l’action continue des démons autour de nous n’est rien autre chose qu’une croyance gothique et populaire qui n’appartient point aux dogmes de la religion. Tout ce qu’en racontent l’histoire de l’Église et la vie des Saints est pour eux comme s’il n’existait pas. Pour eux, Satan semble n’être qu’une pure abstraction sous laquelle on aurait personnifié le mal.
S’agit-il d’expliquer le péché en eux-mêmes ou dans les autres ? ils vous parlent du penchant que nous avons au mal, du mauvais usage de notre liberté ; et ils ne veulent pas voir que l’enseignement chrétien nous révèle en outre dans nos prévarications l’intervention d’un agent malfaisant, dont la puissance est égale à la haine qu’il nous porte. Cependant, ils savent, ils croient sincèrement que Satan a conversé avec nos premiers parents et les a entraînés dans le mal, en se montrant à eux sous la forme d’un serpent. Ils croient que ce même Satan a osé tenter le Fils de Dieu incarné, qu’il l’a enlevé par les airs jusque sur le sommet du temple, et de là sur une haute montagne. Ils lisent aussi dans l’Évangile et ils croient qu’un des malheureux possédés qui furent délivrés par le Sauveur était assiégé d’une légion entière d’esprits infernaux, que l’on vit, sur la permission qu’ils en reçurent, fondre sur un troupeau de porcs et le précipiter dans le lac de Génézareth. Ces faits et mille autres sont l’objet de leur foi ; et avec cela tout ce qu’ils entendent dire de l’existence des démons, de leurs opérations, de leur adresse à séduire les âmes, leur semble fabuleux. Sont-ils chrétiens, ou ont-ils perdu le sens ? On ne saurait répondre, surtout lorsqu’on les voit se livrer de nos jours à des consultations sacrilèges du démon, à l’aide de moyens renouvelés des siècles du paganisme, sans qu’ils paraissent se rappeler, ni même savoir qu’ils commettent un crime que Dieu, dans l’ancienne loi, punissait de mort, et que la législation de tous les peuples chrétiens, durant un grand nombre de siècles, a frappé du dernier supplice.
Mais s’il est une époque de l’année où les fidèles doivent méditer ce que la foi et l’expérience nous apprennent sur l’existence et les opérations des esprits de ténèbres, c’est assurément ce temps où nous sommes, durant lequel nous avons tant à réfléchir sur les causes de nos péchés, sur les dangers de notre âme, sur les moyens de la prémunir contre de nouvelles chutes et de nouvelles attaques. Écoutons donc le saint Évangile. Il nous apprend d’abord que le démon s’était emparé d’un homme, et que l’effet de cette possession avait été de rendre cet homme muet. Jésus délivre ce malheureux, et l’usage de la parole revient aussitôt que l’ennemi a été chassé. Ainsi, la possession du démon non seulement est un monument de l’impénétrable justice de Dieu ; mais elle peut produire des effets physiques sur ceux qui en sont l’objet. L’expulsion du malin esprit rend l’usage de la langue à celui qui gémissait sous ses liens. Nous n’insistons pas ici sur la grossière malice des ennemis du Sauveur, qui veulent attribuer son pouvoir sur les démons à l’intervention de quelque prince de la milice infernale ; nous voulons seulement constater le pouvoir des esprits de ténèbres sur les corps, et confondre par le texte sacré le rationalisme de certains chrétiens. Qu’ils apprennent donc à connaître la puissance de nos adversaires, et qu’ils évitent de leur donner prise sur eux, par l’orgueil de la raison.
Depuis la promulgation de l’Évangile, le pouvoir de Satan sur les corps s’est trouvé restreint par la vertu de la Croix, dans les pays chrétiens ; mais il reprend une nouvelle extension, si la foi et les œuvres de la piété chrétienne diminuent. De là toutes ces horreurs diaboliques qui, sous divers noms plus ou moins scientifiques, se commettent d’abord dans l’ombre, sont ensuite acceptées dans une certaine mesure par les gens honnêtes, et pousseraient au renversement de la société, si Dieu et son Église n’y mettaient enfin une digue. Chrétiens de nos jours, souvenez-vous que vous avez renoncé à Satan, et prenez garde qu’une ignorance coupable ne vous entraîne dans l’apostasie. Ce n’est pas à un être de raison que vous avez renoncé sur les fonts baptismaux : c’est à un être réel, formidable, et dont Jésus-Christ nous dit qu’il a été homicide dès le commencement 43 .
Mais si nous devons redouter l’affreux pouvoir qu’il peut exercer sur les corps, et éviter tout intact avec lui dans les pratiques auxquelles il préside, et qui sont le culte auquel il aspire, nous devons aussi craindre son influence sur nos âmes. Voyez quelle lutte la grâce divine a dû engager pour l’arracher de votre âme. En ces jours, l’Église nous offre tous ses moyens pour triompher de lui : le jeûne uni à la prière et à l’aumône. Vous arriverez à la paix ; et votre cœur, vos sens purifiés, redeviendront le temple de Dieu. Mais n’allez pas croire que vous ayez anéanti votre ennemi. Il est irrité ; la pénitence l’a expulsé honteusement de son domaine, et il a juré de tout tenter pour y rentrer. Craignez donc la rechute dans le péché mortel ; et pour fortifier en vous cette crainte salutaire, méditez la suite des paroles de notre Évangile.
Le Sauveur nous y apprend que cet esprit immonde, chassé d’une âme, s’en va errant dans les lieux arides et déserts. C’est là qu’il dévore son humiliation, et qu’il sent davantage les tortures de cet enfer qu’il porte partout avec lui, et dont il voudrait se distraire, s’il le pouvait, par le meurtre des âmes que Jésus-Christ a rachetées. L’Ancien Testament nous montre déjà les démons vaincus, réduits à fuir dans des solitudes éloignées : c’est ainsi que le saint Archange Raphaël relégua dans les déserts de l’Égypte supérieure l’esprit infernal qui avait fait périr les sept maris de Sara 44 . Mais l’ennemi de l’homme ne se résigne pas à rester ainsi toujours éloigné de la proie qu’il convoite. La haine le pousse, comme au commencement du monde, et il se dit : « Il faut que je retourne à ma maison d’où je suis sorti ». Mais il ne viendra pas seul ; il veut triompher, et pour cela il amènera, s’il le faut, avec lui sept autres démons plus pervers encore. Quel choc se prépare pour la pauvre âme, si elle n’est pas vigilante, fortifiée ; si la paix que Dieu lui a rendue n’a pas été une paix armée ! L’ennemi sonde les abords de la place ; dans sa perspicacité, il examine les changements qui se sont opérés pendant son absence. Qu’aperçoit-il dans cette âme où il avait naguère ses habitudes et son séjour ? Notre Seigneur nous le dit : le démon la trouve sans défense, toute disposée à le recevoir encore ; point d’armes dirigées contre lui. Il semble que l’âme attendait cette nouvelle visite. C’est alors que, pour être plus sûr de sa conquête, l’ennemi va chercher ses renforts. L’assaut est donné ; rien ne résiste ; et bientôt, au lieu d’un hôte infernal, la pauvre âme en recèle une troupe ; « et, ajoute le Sauveur, le dernier état de cet homme devient pire que le premier ».
Comprenons l’avertissement que nous donne la sainte Église, en nous faisant lire aujourd’hui ce terrible passage de l’Évangile. De toutes parts, des retours à Dieu se ménagent ; la réconciliation va s’opérer dans des millions de consciences ; le Seigneur va pardonner sans mesure ; mais tous persévéreront-ils ? Lorsque le Carême reviendra dans un an convoquer les chrétiens à la pénitence, tous ceux qui, dans ces jours, vont se sentir arraches à la puissance de Satan, auront-ils maintenu leurs âmes franches et libres de son joug ? Une triste expérience ne permet pas à l’Église de l’espérer. Beaucoup retomberont, et peu de temps après leur délivrance, dans les liens du péché. Oh ! s’ils étaient saisis par la justice de Dieu en cet état ! Cependant, tel sera le sort de plusieurs, d’un grand nombre peut-être. Craignons donc la rechute ; et pour assurer notre persévérance, sans laquelle il nous eût peu servi de rentrer pour quelques jours seulement dans la grâce de Dieu, veillons désormais, prions, défendons les abords de notre âme, résignons-nous au combat ; et l’ennemi, déconcerté de notre contenance, ira porter ailleurs sa honte et ses fureurs.
Le troisième Dimanche de Carême est appelé Oculi, du premier mot de l’Introït de la Messe. Dans l’Église primitive, on le nommait le Dimanche des scrutins, parce que c’était en ce jour que l’on commençait l’examen des Catéchumènes qui devaient être admis au Baptême dans la nuit de Pâques. Tous les fidèles étaient invités à se présenter à l’église pour rendre témoignage de la vie et des mœurs de ces aspirants à la milice chrétienne. A Rome, ces examens, auxquels on donnait le nom de Scrutins, avaient lieu en sept séances, à raison du grand nombre des aspirants au Baptême ; mais le principal Scrutin était celui du Mercredi de la quatrième semaine. Nous en parlerons plus loin.
Le Sacramentaire Romain de saint Gélase nous donne la forme de la convocation des fidèles pour ces assemblées ; elle est conçue en ces termes : « Frères très chers, vous savez que le jour du Scrutin dans lequel nos élus doivent recevoir l’instruction divine est proche ; vous voudrez donc bien vous réunir avec zèle tel jour de cette semaine, à l’heure de Sexte, afin que nous soyons en mesure, avec l’aide de Dieu, d’accomplir sans erreur le mystère céleste qui ouvre la porte du royaume des cieux, et anéantit le diable avec toutes ses pompes. » Cette invitation se répétait, s’il était besoin, chacun des Dimanches suivants. Dans celui que nous célébrons aujourd’hui, le Scrutin ayant déjà procuré l’admission d’un certain nombre de candidats, on plaçait leurs noms dans les diptyques de l’autel, ainsi que ceux de leurs parrains et marraines, et on les récitait au Canon de la Messe.
La Station avait lieu et se tient encore dans la Basilique de Saint-Laurent-hors-les-murs. On voulait, en réveillant le souvenir du plus célèbre des Martyrs de Rome, rappeler aux Catéchumènes quels sacrifices la foi dans laquelle ils allaient s’enrôler pourrait exiger d’eux.
Ce Dimanche est célèbre, dans l’Église grecque, par la solennelle adoration de la Croix qui précède la semaine appelée Mésonestime, c’est à-dire milieu des jeûnes.
A LA MESSE.
Le Catéchumène admis à la grâce du Baptême, le Pénitent qui espère sa prochaine réconciliation, expriment dans l’Introït l’ardeur de leurs désirs. Ils confessent leur misère avec humilité ; mais ils sont remplis d’espérance en Celui qui bientôt brisera leurs liens.
Introït :
Mes yeux sont toujours vers le Seigneur ; car c’est lui qui dégagera mes pieds des filets qu’on m’a tendus ; regardez-moi, mon Dieu, et ayez pitié de moi : car je suis seul et je suis pauvre.
Ps. Vers vous, Seigneur, j’ai élevé mon cœur ; c’est en vous, mon Dieu, que je me confie ; je n’aurai point à en rougir. Gloire au Père. Mes yeux.
Au moment de livrer une lutte aussi terrible à l’ennemi des hommes, l’Église, dans la Collecte, demande d’être assistée du secours de la droite de Dieu.
Collecte :
Dieu tout-puissant, daignez regarder favorablement les vœux de notre humilité, et étendre pour nous protéger le bras de votre Majesté. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
[La seconde et la troisième Collecte, comme au premier Dimanche de Carême]
Epître
Lecture de l’Épître de saint Paul, Apôtre, aux Ephésiens (Chap. V.) :
Mes Frères, soyez les imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien-aimés, et marchez dans la charité comme Jésus-Christ nous a aimés, et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant à Dieu comme une oblation et une victime d’agréable odeur. Qu’on n’entende même pas nommer parmi vous la fornication, ni quelque impureté que ce soit, ni l’avarice, ainsi qu’il convient à des saints. Qu’on n’entende chez vous ni paroles déshonnêtes, ni propos insensés, ni bouffonneries, ce qui ne convient pas à votre état, mais plutôt les paroles d’actions de grâces. Car sachez que nul fornicateur, nul impudique, nul avare, ce qui est une idolâtrie, ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu. Que personne ne vous séduise par de vains discours ; car c’est pour ces choses que la colère de Dieu tombe sur les enfants de l’infidélité. N’ayez donc rien de commun avec eux. Car vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme les fils de la lumière. Or le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité.
L’Apôtre, s’adressant aux fidèles d’Éphèse, leur rappelle qu’ils étaient autrefois ténèbres, et qu’ils sont devenus lumière dans le Seigneur. Quelle joie pour nos Catéchumènes d’apprendre que le même sort leur est réservé ! Jusqu’à présent, ils ont vécu dans la dépravation païenne, et maintenant ils possèdent les arrhes de la sainteté par leur admission au Baptême. Asservis naguère à ces faux dieux dont le culte était l’aliment du vice, ils entendent aujourd’hui l’Église exhorter ses enfants à imiter la sainteté du Dieu des chrétiens ; et la grâce qui les rendra capables d’aspirer à reproduire en eux les perfections divines est sur le point de leur être communiquée. Mais il leur faudra combattre pour se maintenir à cette élévation ; et deux ennemis surtout chercheront à se relever : l’impureté et l’avarice. Le premier de ces vices, l’Apôtre ne veut même pas qu’il soit nommé désormais ; le second, il le flétrit en le comparant au culte des idoles, auquel les élus vont renoncer. Tels sont les enseignements que l’Église prodigue à ses futurs enfants ; mais nous qui avons été sanctifiés dès notre entrée en ce monde, sommes nous demeurés fidèles à notre Baptême ? Nous avons été lumière ; pourquoi sommes-nous ténèbres aujourd’hui ? que sont devenus les traits de la ressemblance divine qui avait été imprimée en nous ? Hâtons-nous de les faire revivre, en renonçant à Satan et à ses idoles ; et faisons en sorte que la pénitence nous rétablisse dans cet état de lumière dont le fruit consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité.
Le Graduel exprime les sentiments de l’âme environnée d’ennemis et implorant le secours du Seigneur qui s’apprête à les renverser.
Graduel :
Levez-vous, Seigneur ; que l’homme ne prévale pas : que les nations soient jugées en votre présence.
V/. Lorsque mon ennemi sera mis en fuite, ils tomberont dans l’abattement, et périront devant votre face.
Le Trait est formé du Psaume CXXII°, cantique de confiance et d’humilité. L’aveu sincère de notre misère fait toujours descendre sur nous la miséricorde de Dieu.
Trait :
J’ai élevé vers vous mes regards, ô vous qui habitez dans les cieux.
V/. Comme les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de leurs maîtres,
V/. Et les yeux de la servante sur les mains de sa maîtresse : ainsi nous arrêtons nos yeux sur le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il prenne pitié de nous.
V/. Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous.
ÉVANGILE.
Suite du saint Évangile selon saint Luc (Chap. XI) :
En ce temps-là, Jésus chassa un démon, et ce démon était muet. Et lorsqu’il eut chassé le démon, le muet parla, et la foule fut dans l’admiration. Mais quelques-uns d’entre eux dirent : C’est par Béelzébuth, prince des démons, qu’il chasse les démons. Et d’autres, pour le tenter, lui demandaient un signe du ciel. Mais lui, ayant vu leurs pensées, leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même sera dévasté, et toute maison divisée contre elle-même s’écroulera. Si donc Satan est divisé contre lui-même, comment son royaume tiendra-t-il debout ? Cependant vous dites que c’est par Béelzébuth que je chasse les démons. Mais si je . chasse les démons par Béelzébuth, par qui vos enfants les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront vos juges. Que si je chasse les démons par le doigt de Dieu, le royaume de Dieu est donc venu jusqu’à vous. Lorsque le fort armé garde sa maison, tout ce qu’il possède Mais s’il survient un plus fort que lui qui le surmonte, il emporte toutes ses armes dans lesquelles il se confiait, et il distribue ses dépouilles. Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui ne recueille pas avec moi dissipe. Lorsqu’un esprit immonde est sorti d’un homme, il s’en va errant par des lieux arides, cherchant le repos ; et comme il ne le trouve pas, il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. Et quand il revient, il la trouve nettoyée et parée. Alors il s’en va prendre avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, et, étant entrés dans cette maison, ils y demeurent. Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. Comme il disait ces choses, une femme élevant la voix du milieu de la foule, lui dit : Heureux le sein qui vous a porté, et les mamelles qui vous ont nourri ! Et Jésus dit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la pratiquent !
Le démon dont Jésus délivra le possédé de notre Évangile rendait cet homme muet ; et la sortie de l’esprit de ténèbres affranchit la langue du malheureux qu’il tyrannisait. Ce fait nous donne une image du pécheur captif de son redoutable vainqueur, et réduit par lui au mutisme. Si ce pécheur parlait pour confesser ses fautes, pour demander grâce, il serait délivré. Que de démons muets, répandus de toutes parts, empêchent les hommes de faire cet aveu salutaire qui les sauverait ! Cependant, la sainte Quarantaine avance dans son cours, les jours de grâce s’écoulent ; profitons du temps favorable ; et si nous sommes dans l’amitié de Dieu, prions instamment pour les pécheurs, afin qu’ils parlent, qu’ils s’accusent et qu’ils soient pardonnes.
Écoutons aussi dans une religieuse terreur ce que nous apprend le Sauveur sur nos ennemis invisibles. Avec leur puissance, leur adresse, leurs moyens de nuire, qui pourrait subsister devant eux, si Dieu ne nous soutenait pas, s’il n’avait pas député ses Anges pour veiller sur nous et pour combattre avec nous ? Par le péché cependant, nous nous étions livrés à ces impurs et odieux esprits ; nous avions préféré leur empire tyrannique au joug si suave et si léger de notre compatissant Rédempteur. Maintenant nous sommes affranchis, ou nous allons bientôt l’être ; remercions notre libérateur ; mais prenons garde de ne plus retomber au pouvoir de ces hôtes infernaux. Le Sauveur nous avertit du péril qui nous menace. Ils reviendront, ils essaieront de forcer la demeure de notre âme sanctifiée par l’Agneau de la Pâque. Si nous sommes vigilants, si nous sommes fidèles, ils se retireront pleins de confusion ; mais si nous étions tièdes et lâches, si nous perdions de vue le prix de la grâce et les obligations qui nous enchaînent à celui qui nous a sauvés, notre perte serait certaine ; et. selon la terrible parole de Jésus-Christ, « le second état deviendrait pire que le premier ».
Voulons-nous éviter un si grand malheur ? méditons cette autre parole du Sauveur dans notre Évangile : « Qui n’est pas avec moi est contre moi ». Ce qui fait que l’on retombe dans les liens du démon, que l’on oublie tout ce que l’on doit au divin libérateur, c’est qu’on ne prend pas franchement parti pour Jésus-Christ en présence des occasions où le devoir exige que le chrétien se prononce avec fermeté. On ménage, on dissimule, on temporise : cependant l’énergie de l’âme s’affaiblit ; Dieu ne donne plus qu’avec mesure ses grâces d’abord si abondantes ; et la rechute devient imminente. Marchons donc d’un pas ferme et assuré, et souvenons-nous que le soldat de Jésus-Christ doit toujours se faire honneur de son divin Chef.
L’Offertoire célèbre la douceur des consolations que l’âme enlevée au pouvoir de Satan goûte à suivre les volontés du divin Pasteur.
Offertoire :
Les préceptes du Seigneur sont droits et répandent la joie dans les cœurs. Ses commandements sont plus doux que le rayon de miel. O Dieu ! votre serviteur les garde avec fidélité.
Dans la Secrète, l’Église exprime la confiance que lui inspire le Sacrifice qui va s’offrir, et dont la vertu purifiante sur le Calvaire a effacé les péchés des hommes.
Secrète :
Que cette hostie, Seigneur, nous purifie de nos péchés, et qu’elle sanctifie les corps et les âmes de vos serviteurs, afin qu’ils célèbrent dignement ce Sacrifice. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
[La seconde et la troisième Secrète, comme au premier Dimanche de Carême]
Empruntant encore les paroles de David, l’Église exprime dans l’Antienne de la Communion le bonheur de l’âme unie à Dieu dans le sacrement d’amour. C’est le sort auquel seront appelés bientôt les heureux Catéchumènes dont l’admission au Baptême vient d’être prononcée ; ce sera aussi celui des Pénitents qui auront lavé dans leurs larmes les souillures de leur vie passée.
Communion :
Le passereau a trouvé sa retraite ; la tourterelle le nid où déposer ses petits ; vos autels sont en ma demeure, Seigneur des armées, mon Roi et mon Dieu ! Heureux ceux qui habitent dans votre maison ! ils vous loueront dans les siècles des siècles.
L’Église, dans la Postcommunion, supplie le Seigneur, au nom des Mystères auxquels les fidèles ont participé, de vouloir bien absoudre les pécheurs, et les délivrer des périls éternels qu’ils ont eu le malheur d’encourir.
Postcommunion :
Daignez, Seigneur, nous délivrer de tous péchés et de tous périls, nous que vous rendez participants d’un si grand mystère. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
[La seconde et la troisième Postcommunion, comme au premier Dimanche de Carême] »
COMMENTAIRE DE DOM PIUS PARSCH
dans son Guide dans l’Année Liturgique
« Le fort est vaincu par le plus fort.
Le dimanche présente une construction dont l’unité est visible : le Christ veut faire de nous des hommes de lumière, il triomphe du diable en nous, dans le Baptême et dans l’Eucharistie. Assurément la messe se rapporte, d’une manière plus directe, aux catéchumènes, mais on peut aussi en appliquer les textes, dans tout leur sens, aux fidèles.
>1. Dans l’antiquité. — Transportons-nous à Rome dans le passé, environ 1500 ans en arrière. Nous voyons une procession traverser la ville sainte. Devant, marchent les catéchumènes et les pénitents en vêtements de poils de chèvre ; puis, viennent les fidèles, suivis du clergé qui entoure le Pape. Ils se rendent dans la célèbre basilique de Saint-Laurent hors les murs. Ce héros parmi les martyrs doit être un modèle dans le combat contre le démon, le “ fort ” qu’il faut vaincre. Tous sont rassemblés autour du tombeau de saint Laurent. Avec quel ardent désir ont-ils dû entrer aujourd’hui dans la maison de Dieu ! Les regards dirigés vers le sanctuaire (l’autel est le Christ), ils se sentent à l’abri des “ filets ” du Mauvais (Intr., le psaume 24, le fervent psaume d’Avent). L’Église maternelle soutient les “ demandes de ceux qui supplient humblement “ et prie pour leur défense (Oraison). Maintenant, notre Mère l’Église élève sa voix. Il y a là des hommes avancés en âge, qui, au prix de grands efforts, sont arrivés à la foi ; de tendres jeunes filles, qui, pour l’amour du Christ, ont refusé un riche mariage ; des jeunes gens déshérités par leurs parents, parce qu’ils se sont faits chrétiens. Tous, ils ont supporté des combats intérieurs et extérieurs ; cependant, la victoire n’est pas encore remportée. Aujourd’hui doit se livrer la bataille décisive : il faut que le Christ règne comme “ Roi et Dieu ”. Et l’Église prend la parole ; elle songe d’abord au passé : “ Quel était votre idéal ? ” Hélas ! vous n’aviez de goût que pour l’avarice, la Passion, la jouissance. Vous étiez dans de profondes ténèbres. Mais voici que s’est levé au-dessus de vous un autre idéal : le Christ, le divin Soleil. Il s’est accompli en vous un grand changement, vous êtes passés de la nuit à la clarté du jour. Il faudra désormais marcher comme des enfants de lumière, comme des étoiles. Soyez donc des hommes de lumière, des étoiles dans un ciel obscur — c’est désormais votre vocation. — L’Église continue par la voix du diacre : Le “ fort “, le prince de ce monde, était jusqu’ici votre roi. Tant que vous lui étiez soumis, il restait tranquille. Maintenant que vous l’avez détrôné, il fait du bruit et soulève une tempête : vos proches, votre entourage, l’enfer, tout se déchaîne contre vous. Il faut que le nouveau Maître, le “ plus fort ”, occupe le trône de votre âme. La victoire du Christ doit se réaliser en vous. Puis, encore, un grave avertissement : De grands sacrifices vous attendent. Il faut renoncer à tout : au monde, à l’honneur, aux biens, aux jouissances. Pourrez-vous persévérer ? Malheur à vous si vous faites défection : “ car ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don céleste, qui ont reçu le Saint-Esprit… et qui pourtant sont tombés, on ne peut plus les renouveler une seconde fois en les amenant à la pénitence ” (Hébr. VI, 4). — L’évêque vient de faire entendre sa parole qui a eu de longs échos dans l’âme des “ illuminés ”. Maintenant on les congédie. Les fidèles restent et célèbrent le Saint-Sacrifice. Aujourd’hui, au Canon, on prie aussi pour les parrains des futurs baptisés. Mais les fidèles eux-mêmes peuvent s’appliquer les avertissements donnés aux catéchumènes. Eux aussi combattent pour la couronne. N’y a-t-il pas dans leur âme des coins sombres ? Le “ fort “ est-il vraiment détrôné ? Le Christ règne-t-il complètement dans leur cœur ? Tout danger d’apostasie est-il écarté ? Qu’arriverait-il si le bourreau venait frapper à leur porte ? Cependant, dans tous ces combats, il y a un vainqueur : le Christ en eux, le Christ au Saint-Sacrifice, le Christ qui, par amour pour eux, s’est livré à la mort. C’est pourquoi, à la procession de l’Offrande, ils déposent, sur l’autel de leur volonté, les commandements de Dieu qu’ils promettent de “ garder “. Dans le sacrifice, le Christ met sur eux le sceau de sa victoire, il en fait des hommes de lumière. Il va rentrer dans son royaume ; il est le Roi de leurs cœurs, il est “ leur Roi et leur Seigneur ” (Comm.). Ainsi la messe les a conduits à travers le combat de Carême jusqu’à la victoire pascale.
2. Les scrutins. — Aujourd’hui, au point culminant du combat de Carême, les futurs baptisés, et nous avec eux, se rassemblent de nouveau, comme au début du temps de pénitence (Septuagésime), auprès du patron des catéchumènes, du grand combattant, du grand vainqueur, saint Laurent ; c’est là, dans son église, qu’on aimait, par l’exorcisme, chasser les mauvais Esprits. C’est à cette action que se rapportent tous les textes de l’avant-messe. Saint Laurent qui, dans son martyre, a si héroïquement triomphé du diable, va être notre patron et notre protecteur dans la seconde partie du combat de Carême. En ce dimanche, les catéchumènes font un pas de plus vers l’Église : on l’appelle le dimanche des scrutins. C’est à partir d’aujourd’hui qu’on commençait l’examen des candidats au baptême. Les fidèles étaient invités à venir témoigner au sujet de leur conduite. Il y avait sept de ces scrutins qui avaient lieu, d’ordinaire, le mercredi et le samedi. Le plus important était celui du mercredi de la quatrième semaine de Carême.
3. Lecture d’Écriture. — L’Église nous présente aujourd’hui le Patriarche Joseph. Elle nous met ainsi sous les yeux une des figures les plus attachantes de l’Ancien Testament. Il y a un charme tout particulier dans l’histoire de Joseph. Environné d’une atmosphère d’innocence, chéri de son vieux père, orné d’un vêtement d’honneur, il se présente à nous dans toute la beauté de la jeunesse. Mais, de très bonne heure, il goûte, à l’école de la vie, l’amertume et la souffrance. A l’âge de 16 ans, il est vendu par ses frères. A peine a-t-il commencé à retrouver un peu de bonheur dans la maison de son maître, Putiphar, que son héroïque chasteté le fait jeter en prison. Mais, enfin, il s’élève des ténèbres de la prison jusqu’aux plus grands honneurs dans le royaume d’Égypte. L’esclave devient prince et ministre puissant de Pharaon, et le fils que l’on croit mort va être le sauveur de ses frères ennemis. Toute une couronne de vertus orne le front de ce jeune homme. Comme il sait se réconcilier avec ses frères ! Il est indomptable dans l’épreuve et modéré dans le bonheur. On voit, dans toute sa vie, l’action de la divine Providence qui prend, souvent, des voies merveilleuses. Bien souvent, ce qui nous semble un malheur est notre plus grand avantage. Joseph est une figure du Christ souffrant, nous l’avons déjà vu dans la messe de la Passion de vendredi dernier, dont nous pourrions extraire la lecture d’Écriture d’aujourd’hui.
Saint Ambroise nous donne, au bréviaire d’aujourd’hui, de très édifiantes considérations sur le Patriarche Joseph ; nous y voyons aussi quelle estime on avait, dans l’ancienne Église, pour les Patriarches. Il commence ainsi : “ La vie des saints est une règle de vie pour les autres. C’est pourquoi nous avons reçu toute une série d’Écritures abondamment traitées, afin que, lorsque la lecture nous fait connaître Abraham, Isaac, Jacob et tous les autres justes (de l’Ancien Testament), nous puissions suivre leurs traces sur le chemin qu’il nous ont pour ainsi dire ouvert… Aujourd’hui se présente à nous l’histoire du saint Patriarche Joseph ; en lui, ont brillé plusieurs espèces de vertus, mais ce qui brilla d’une clarté particulière, ce fut sa chasteté. Chaque Patriarche peut nous enseigner une vertu différente. Dans Abraham, nous admirons la foi active ; dans Isaac, la pureté d’un esprit sincère ; dans Jacob, la patience et la force dans la souffrance. Le saint Patriarche Joseph peut nous être proposé comme un miroir de chasteté. Dans ses mœurs, dans ses actions, brillent la pudeur et comme un éclat d’amabilité qui accompagne la pudeur. C’est pourquoi ses parents l’aimaient plus que leurs autres enfants. Mais cela détermina l’envie des autres ; Néanmoins, il exerça, d’une manière héroïque, l’amour des ennemis envers ses frères. Ce qui le rend admirable, c’est qu’il exerça cet amour des ennemis avant l’Évangile. ” Telles sont les considérations de saint Ambroise. Nous devrons, pendant toute cette semaine, consacrer nos pensées et nos sentiments au Patriarche Joseph. C’est ce que nous enseigne l’Eglise qui, dans les Matines, consacre treize répons à Joseph. Dans ces répons, nous voyons passer devant nos yeux toute la vie, si riche en événements, de ce Patriarche.
4. Office des Heures. Le bréviaire s’occupe, nuit et jour, de l’Évangile. Le docteur de l’Église, saint Bède le Vénérable, donne, dans les leçons du troisième nocturne, une explication de cet Évangile : “ Trois miracles furent accomplis dans le possédé guéri : le muet parle, l’aveugle voit, le possédé est délivré du démon. Ces trois miracles se renouvellent tous les jours dans la conversion des fidèles ; d’abord, le démon est chassé ; puis, ils voient la lumière de la foi et ouvrent la bouche pour louer Dieu. “ (Dans ces paroles, saint Bède explique le sens liturgique profond de la péricope). La liturgie désire qu’à toutes les Heures du jour nous nous occupions d’une pensée de l’Évangile. Aux Laudes, alors que le voile d’une demi-obscurité est encore répandu sur la nature, que le monde est encore “ assis à l’ombre de la mort ”, l’Église chante que le “ fort” (le diable) possède encore tranquillement ce qu’il a. Mais au Benedictus, elle annonce déjà qu’avec le “ lever du soleil sur les hauteurs ”, sa domination va prendre fin. “ Quand le fort garde sa cour, en armes, il possède tout ce qu’il a, en paix.” A Prime, nous chantons le miracle accompli sur le possédé ; à Tierce, l’Heure du Saint-Esprit, nous chantons la parole du Seigneur : “ Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est véritablement arrivé. “ Les Pères entendent volontiers par le doigt de Dieu le Saint-Esprit (c’est pourquoi on chante dans l’hymne du Saint-Esprit : digitus paternae dexterae). A Sexte, nous méditons sur une parole du Christ : “ Celui qui ne ramasse pas avec moi dissipe ; celui qui n’est pas avec moi est contre moi. “ A None, à l’heure où le jour s’incline, nous chantons le déplorable retour du diable. Quand, à Vêpres, nous chantons le Magnificat, le cantique d’action de grâces de la Mère de Dieu, nous ajoutons comme antienne la louange de cette femme à la Bienheureuse Vierge “ qui a porté le Christ et l’a allaité “. Mais, en même temps, nous entendons de la bouche du Seigneur comment nous pouvons participer à cette béatitude : “ Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! ” »