[Tribune libre] Un lecteur nous adresse, en exclusivité, sa Lettre ouverte aux animateurs du nouveau site « Boulevard Voltaire », dirigé par Robert Ménard et qui se veut un nouveau vecteur de réinformation, en pointe dans le combat pour la liberté d’expression :
« Apparemment, pour vous, Voltaire est synonyme d’opposition à l’intolérance et au fanatisme.
Le problème, c’est que, dans la réalité, ce fut l’inverse : Voltaire fut ultra-intolérant et ultra-fanatique.
Le grand journaliste libre de cette époque, c’est Fréron.
Fréron contre qui Voltaire n’a pas hésité à requérir la censure et la prison.
Voltaire a d’ailleurs réussi : Fréron a vu son journal interdit plusieurs fois par la censure et il a même été embastillé à plusieurs reprises. Inutile de dire que Voltaire n’a jamais réclamé sa mise en liberté…
Voltaire a essayé de faire taire par la censure tous ceux qui le critiquaient.
Chacun sait que la fameuse phrase qui lui est attribuée sur sa prétendue résolution de se battre pour ceux qui ne pensaient pas comme lui est un FAUX. Non seulement il n’a jamais dit ça, mais il a démenti cette attitude par tous ses actes
La seule liberté de parole dont Voltaire se souciait, c’était la sienne propre et celle de ses amis. Les autres, il les écrasait.
Il s’est servi de Calas pour sa publicité personnelle, mais il a écrit, dans ses lettres privées, tout le mépris qu’il avait pour lui.
Bien sûr, Voltaire a brandi le mot « tolérance ». Mais c’était la tolérance pour lui seul. Non pour les autres. Fréron l’avait bien deviné, qui écrivait en 1772 :
« Si les sages philosophes du siècle, qui réclament la tolérance avec tant de chaleur et d’intérêt parce qu’ils en ont le plus grand besoin, étaient eux-mêmes à la tête du gouvernement et se voyaient armés du glaive de la souveraineté, ils seraient peut-être les premiers à sévir contre tous ceux qui auraient l’audace de contredire leurs opinions. »
Et encore :
« Jamais peut-être il n’a coulé autant de sang qu’ils en feraient couler eux-mêmes ! »
Et encore :
• « Est-il probable que des hommes si peu tolérants dans leurs écrits le soient davantage dans leurs actions s’ils avaient en main l’autorité ? »
Fréron avait vu juste, comme le montrera, peu après, la Terreur, fille de Voltaire.
D’ailleurs, les amis de Voltaire eux-mêmes confirmaient la chose.
Dans sa Correspondance, Grimm écrivait ainsi :
« Tous les grands hommes ont été intolérants, et il faut l’être. Si l’on rencontre sur son chemin un prince débonnaire, il faut lui prêcher la tolérance, afin qu’il donne dans le piège, et que le parti écrasé ait le temps de se relever par la tolérance qu’on lui accorde, et d’écraser son adversaire à son tour. Ainsi le sermon de Voltaire, qui rabâche sur la tolérance, est un sermon fait aux sots ou aux gens dupes, ou à des gens qui n’ont aucun intérêt à la chose. » (Grimm, correspondance du 1er juin 1779).
J’ai parlé de la Terreur « fille de Voltaire ». Vous m’accuserez sans doute d’exagérer. Mais c’est ce qu’a dit le « fils spirituel » de Voltaire lui-même : La Harpe qui a été protégé de Voltaire, qui a fait son éloge de façon dithyrambique après sa mort – mais qui a changé d’avis dans sa prison, lors de la Terreur et a courageusement fait son « mea culpa », dès 1797, dans un petit livre qui reste d’actualité : «« Du Fanatisme dans la langue révolutionnaire » (1797) .
Ce que dénonce cet ouvrage de 1797 ? Tout simplement le terrorisme intellectuel qui a mené à la Terreur de 1793. La Harpe montre très bien que cette pensée des « Lumières », en qui vous voyez la quintessence de la liberté, marque au contraire le début du terrorisme intellectuel. Pourquoi ? Parce que ce courant des Lumières justifie le mensonge. Pour lui, la fin justifie les moyens. Pour lui, le mensonge, la désinformation, la manipulation sont parfaitement justifiés du moment que c’est pour la bonne cause. Non seulement Voltaire a usé et abusé du mensonge (il n’est certes pas le seul dans l’histoire) mais il s’en est vanté auprès de ses amis et il a prôné l’emploi du mensonge pour lutter contre ses ennemis. Voyez par exemple sa lettre à Thiriot :
« Le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal ; c’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. Mentez, mes amis, mentez, je vous le rendrai dans l’occasion. » (Voltaire, Lettre à Thiériot, 21 octobre 1736.)
« Avec Boulevard Voltaire, il n’y aura ni totem ni tabou » annoncez-vous. Moi, je veux bien. Sauf que votre nom consacre justement un des grands tabous français : le mythe du Voltaire généreux et tolérant – alors qu’il fut, en réalité, exactement l’inverse (égocentrique et incapable de supporter la moindre critique de sa personne).
De même, votre éloge de la pensée dite des Lumières est, en réalité, un éloge du terrorisme intellectuel dont elle fut comme l’acte de naissance.
Dommage que, dès le début, vous vous enfermiez dans ce genre de contradictions…
Jean »