Le 12 mai dernier, tandis qu’il recevait en audience quelque neuf cents supérieures générales de congrégations féminines (voir photo ci-contre), le pape François s’est dit favorable à la réouverture d’une enquête sur le statut des diaconesses dans les premiers siècles de l’Eglise. Il entendait ainsi donner satisfaction aux revendications de ces religieuses qui réclamaient toujours plus de place dans le gouvernement de l’Eglise, ou encore la possibilité de prononcer l’homélie pendant la messe.
Voici un texte à ce sujet, par l’abbé Patrick de La Rocque, curé de la paroisse parisienne traditionaliste St Nicolas du Chardonnet :
« Nul doute que nous ayons affaire à une nouvelle poussée visant à instituer dans l’Eglise catholique des diaconesses, à l’instar de ce que sont aujourd’hui les diacres permanents. Déjà, lors du tristement célèbre synode sur la famille, le canadien Mgr Durocher, proche du pape, proposait un « processus qui pourrait ouvrir aux femmes l’accès au diaconat permanent ». Signe que la bataille s’engage, les propos du cardinal Kasper dans le quotidien italien La Repubblica du 13 mai, faisant suite à ceux du pape : « Je pense qu’il va y avoir maintenant un débat féroce. Sur ce sujet, l’Eglise est divisée en deux. »
Un terrible mensonge
Lorsque l’on voit aujourd’hui les filles servir la messe, lorsque l’on voit les femmes assurer les lectures pendant la messe ou encore distribuer la communion tandis que le célébrant demeure assis, lorsque l’on sait qu’elles peuvent déjà prononcer l’homélie dans les « liturgies de la parole » distinctes de la « liturgie eucharistique », on ne peut être que très inquiet de ce nouveau pas auquel réfléchit le pape François. Mais le plus odieux, en cette protestantisation toujours plus grande de l’Eglise, est le pseudo appel à la Tradition fait en guise de justification : pourquoi ne pas instituer un diaconat permanent féminin, puisque celui-ci a existé aux premiers siècles de l’Eglise ?
Avant même de se pencher sur la nature de cette institution qui ne survécut pas au premier millénaire, soulignons qu’elle n’a pas été transmise jusqu’à nous, et non sans raison ainsi que nous le verrons. Par voie de conséquence, la démarche du pape François relève de l’archéologisme [***] condamné par Pie XII, et non de l’appel à la Tradition.
D’ailleurs, elles auraient été scandalisées, les diaconesses d’alors, si on leur avaient parlé de servir à l’autel ou encore de distribuer la communion durant l’action liturgique. Cela leur fut toujours expressément interdit, et les graves avertissements ecclésiastiques tombaient si l’une d’elles s’aventurait ne serait-ce qu’à toucher un linge sacré tel que la palle (1).
Elles auraient encore été scandalisées, si on leur avait dit qu’un jour on envisagerait que des femmes usant du mariage pourraient devenir diaconesses. Pour leur part, elle devaient avoir au moins soixante ans pour devenir diaconesse, être veuve d’un seul mari ou vierge, en tout cas vivre dans la continence parfaite.
L’institution des diaconesses dans l’antiquité
Qui étaient-elles donc, ces diaconesses des premiers temps de l’Eglise ? Déjà, lorsque saint Paul s’adresse aux Romains, il mentionne « notre sœur Phébée, servante (he diakonos) de l’Église de Cenchrées » (Rm 16,1-4). Mais, de l’aveu même des modernes, « on ne peut conclure que cette appellation désigne la fonction spécifique de “diacre” (2)». En effet, les termes de diakonia, diakonos etc., absents de l’Ancien Testament mais fréquents dans le Nouveau, ont un premier sens très général, désignant alors le service, le serviteur. En ce sens large, ils s’appliquent premièrement au Christ, serviteur de Dieu, mais encore à tous les chrétiens. Or plusieurs indices laissent penser que c’est en ce sens large que le terme est ainsi employé au sujet de Phébée. On ne peut donc user de ce texte pour revendiquer au diaconat féminin une institution apostolique, comme c’est le cas pour le diaconat masculin, clairement affirmé quant à lui (cf. Ac. 6, 1-6). C’est au 2ème siècle que l’institution des diaconesses est avérée en Orient, au 5ème seulement en Occident.
Le rôle des diaconesses
Comprendre ce que fut cette institution réclame de se replonger dans le contexte de l’époque, où la séparation des hommes et des femmes était très marquée, surtout en Orient. Toujours aujourd’hui d’ailleurs, hommes et femmes ne se mélangent pas à l’église, et ont chacun une porte distincte pour y pénétrer. Il serait des plus inconvenants de se tromper d’accès, nos jeunes volontaires de la paroisse en ont fait les frais en Irak !
Cette séparation était alors telle qu’il devenait parfois compliqué au diacre d’exercer son ministère d’aide auprès de la gent féminine. L’évêque lui adjoignait alors des femmes lui servant de relai, pour la visite de femmes malades par exemple. Elles s’occupaient donc du soin des pauvres et des malades de leur sexe, assuraient l’ordre et le silence dans les rangs féminins à l’église, se trouvaient en général présentes aux entretiens particuliers d’une femme avec l’évêque, le prêtre ou le diacre. Elles concouraient encore à la formation particulière des catéchumènes femmes, voire se chargeaient des constatations corporelles indispensables si une vierge consacrée était accusée d’infidélité à son vœu de chasteté.
Elles n’avaient aucune fonction liturgique, sinon celles qu’imposaient la décence. Parce qu’alors les baptêmes d’adultes étaient les plus nombreux et ne se donnaient que par immersion totale du corps, parce qu’alors l’onction d’huile des catéchumènes qui y était attenante ne se faisait pas simplement sur le haut des épaules mais sur l’ensemble du corps, c’est à ces diaconesses qu’on confiait ces fonctions, toujours dans la dépendance totale du prêtre ou de l’évêque. Ainsi, s’il revenait à la diaconesse d’oindre l’ensemble du corps de la catéchumène, ce n’était qu’après l’onction proprement sacerdotale faite sur la tête de celle-ci. Toute autre fonction leur était strictement interdite, et en aucun cas elles ne pouvaient s’approcher de l’autel pendant les fonctions liturgiques.
Nous constatons en tout cela combien nous sommes loin des revendications féministes à l’origine du propos du pape François…
Les conditions pour devenir diaconesse
Si les diaconesses ne sont pas d’institution apostolique, on leur a néanmoins appliquées les conditions établies par saint Paul (1Tim 3, 11 et 5, 9-11) pour devenir membre de la communauté des « veuves » : les chefs de l’Eglise les choisissaient parmi les veuves âgées de plus de soixante ans, n’ayant été mariées qu’une seule fois. On leur adjoignit plus tard des vierges ayant consacré leur virginité, et il va sans dire que toutes étaient tenues à la chasteté parfaite. Toutes en effet devaient avoir fait profession monastique, car celles qu’on appelait alors « veuves » étaient simplement des religieuses.
La condition d’âge était importante, selon la recommandation de saint Paul, 1 Tim 5, 11-13 :
« Quant aux jeunes veuves, écarte-les. Car lorsque l’attrait des voluptés les a dégoûtées du Christ, elles veulent se remarier et se rendent coupables en manquant à leur premier engagement. De plus, dans l’oisiveté, elles s’accoutument à aller de maison en maison, et non seulement elles sont oisives, mais encore jaseuses, intrigantes, parlant de choses qui ne conviennent point. »
Des exceptions eurent cependant lieu, et le 5ème siècle nous montre que l’âge minimal avait été rabaissé à quarante ans (3). Mais elles devaient alors, au moins jusqu’à cinquante ans, résider dans un monastère, « afin qu’elles n’exercent leur ministère qu’à l’abri des hommes et qu’elle ne soient point exposées aux dangers d’une vie trop libre. (4) »
L’ « ordination » des diaconesses
Tout comme les religieuses aujourd’hui, les diaconesses d’alors étaient établies dans cette fonction par une consécration sous la présidence de l’évêque. Les constitutions apostoliques, datant du 4ème siècle, en rapportent le rite (5). S’agissait-il là d’une certaine participation au pouvoir d’ordre, comme c’est le cas pour le diacre ? Nullement ! Saint Epiphane, qui rapporte beaucoup d’éléments relatifs aux diaconesses, est formel :
« Si les femmes étaient appelées, dans le Nouveau Testament, à exercer le sacerdoce ou à remplir un autre ministère canonique, c’est à Marie, avant toute autre, que la fonction sacerdotale eût dû être confiée. Mais Dieu en a disposé différemment, en ne lui donnant même pas le pouvoir de baptiser. Quant à l’ordre des diaconesses, s’il existe dans l’Eglise, il n’y est cependant pas établi pour la fonction du sacerdoce ni aucun ministère de ce genre. Les diaconesses sont destinées à sauvegarder la décence qui s’impose à l’égard du sexe féminin, soit en prêtant leur concours à l’administration du baptême, soit en examinant celles qui souffrent de quelque infirmité ou auraient été l’objet de quelque violence, soit en intervenant chaque fois qu’il y a lieu de découvrir le corps d’autres femmes, afin que ces nudités ne soient pas exposées aux regards des hommes qui accomplissent les saintes cérémonies et qu’elles ne soient vues que des diaconesses mêmes. (6) »
L’extinction des diaconesses
Ainsi que nous le disions initialement, l’ordre des diaconesses a pour ainsi dire totalement disparu à la fin du premier millénaire, son « âge d’or » s’étendant du 3ème au 5ème siècle. Elles disparaissent en Occident dès le 6ème siècle, avec l’évolution du rite baptismal latin qui d’une part abandonne l’immersion totale du baptisé au profit du rite d’infusion, toujours en vigueur aujourd’hui, et d’autre part concerne de moins en moins les adultes. La même évolution se fera dans l’Eglise d’Orient, quoique plus lentement. Le titre de diaconesse deviendra alors une simple distinction honorifique, le plus souvent usurpée par les supérieures religieuses elles-mêmes…
Conclusion
On le voit, l’antique institution des diaconesses n’a rien à voir avec une participation des femmes au premier degré du pouvoir d’ordre, le diaconat. Il s’agit bien plutôt d’une consécration religieuse vouée à la vie active, d’où l’usage du mot diakonos pour les désigner, diakonos renvoyant en effet à la notion de service, et donc de servantes. A l’époque où la virginité consacrée se vivait uniquement sous forme de vie contemplative, les diaconesses se distinguaient donc des vierges consacrées par leur vocation active.
C’est d’ailleurs ce titre de diaconesses qui fut bien plus tard repris par les protestants pour instituer ces vocations actives, eux qui avaient tant dénigré auparavant la vie consacrée et les vœux religieux. Il s’agit alors de simples associations charitables, tels le groupe hospitalier dans le XII° arrondissement de Paris, dont les femmes, prenant l’engagement de virginité tant qu’elles exercent comme diaconesses, se mettent au service des malades, des pauvres, ou de l’enseignement populaire. En un mot, ces protestants ont une vision beaucoup plus juste de ce que furent les diaconesses des premiers temps que ces femmes revendicatrices et éprises de féminisme.
A ces femmes, religieuses ou non, qui aujourd’hui se revendiquent de saint Paul et de la diaconesse Phébée pour réclamer un diaconat féminin permanent, nous voudrions simplement rappeler cet autre enseignement de saint Paul, pour les inviter à une vraie fidélité à l’enseignement apostolique :
« Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit […] Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré par l’Esprit, qu’il reconnaisse en ce que je vous écris un commandement du Seigneur. S’il l’ignore, c’est qu’il est ignoré de Dieu […] Que tout se passe dignement et dans l’ordre » (1 Co 14, 34-40).
Abbé Patrick de La Rocque, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet »
Source : La Porte Latine du 9 juin 2016
[***] Archéologisme : de quoi s’agit-il ? En 1947, dans l’encyclique Mediator Dei, le pape Pie XII mettait en garde les catholiques contre une erreur appelée archéologisme, ou désir imprudent et excessif de retourner à des pratiques, expressions ou coutumes de l’Antiquité de l’Église en faisant fi du légitime progrès des siècles et de l’expérience multiséculaire de l’Église. Voici quelques extraits de ce document toujours actuel : « De même, en effet, qu’aucun catholique sérieux ne peut, dans le but de revenir aux anciennes formules employées par les premiers conciles, écarter les expressions de la doctrine chrétienne que l’Église, sous l’inspiration et la conduite du divin Esprit, a dans des âges plus récents élaborées et décrété devoir être tenues, avec grand profit pour les âmes ; et qu’aucun catholique sérieux ne peut écarter les lois en vigueur pour revenir aux prescriptions des sources anciennes du Droit canonique, de même, quand il s’agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l’action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste. Une telle façon de penser et d’agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu’excitait le concile illégitime de Pistoie, et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l’origine de ce faux concile et qui en résultèrent, pour le grand dommage des âmes, erreurs que l’Église, gardienne toujours vigilante du « dépôt de la foi » à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit (cf. Pie VI, Const. Auctorem fidei, du 28 août 1794). » |
Notes
(1) Décrétale du Pape Soter
(2) Commission de théologie internationale, Diaconat, évolution et perspectives, 2003, ch. 2 § 4.
(3) Concile de Chalcédoine (451), can. 15
(4) Novelles, VI, 6, Corpus juris civilis
(5) Constitutions apostoliques, VIII, 19-20
(6) St Epiphane, Hær., 79, 3.