Savoureux. Et probablement historique.
Résumons l’affaire :
• Gamestop est une entreprise, côtée à la bourse américaine, de vente de jeux videos physiques (elle possède l’enseigne Micromania). Du fait de la dématérialisation des jeux, son avenir financier est sombre.
• De gros « fonds spéculatifs », entreprises boursicotant à grande échelle, ont voulu pratiquer de la « vente à découvert » sur les actions de la société Gamestop. Si vous vendez « à découvert », vous vendez des actions que vous avez empruntées à d’autres ; vous ne les possédez pas et vous vous engagez à racheter automatiquement les actions au prix du marché au moment de l’échéance de l’option de vente. Ceux qui font cela parient que la valeur de l’action va baisser et qu’ils vont acheter bien moins cher les actions qu’ils ont auparavant déjà vendues (à des gogos donc). Une pratique assez laide, non ?
• Un fonds spéculatif (Melvin) a ainsi vendu à découvert 120% des actions Gamestop (2.80$ à l’époque) en espérant faire chuter le cours et couler la boîte pour s’en mettre plein les poches, au détriment des autres.
• Des millions d’investisseurs amateurs, s’organisant sur les réseaux sociaux ou des forums communautaires (certain avaient déjà des actions), après que certains ont vu venir le coup, ont décidé de ne pas se laisser plumer et ont acheté en masse des actions (250%) faisant grimper le cours à 350$.
• Au début, Melvin a voulu les effrayer en maintenant ses positions et en vendant encore plus d’actions afin de faire chuter le court et inciter les petits à dégager leurs positions. Le problème c’est qu’ils n’ont pas eu assez de liquidités. Ils ont même emprunté 2,4 milliards de dollars à un autre investisseur.
• depuis quelques jours, les actionnaires du fonds requin vont pleurer sur tous les plateaux télé pour faire annuler l’opération. On voit aux Etats-Unis défiler toutes les vieilles élites de Wallstreet sur les plateaux des chaînes économiques, pour dire que tout cela n’est pas juste, que des amateurs ne devraient pas « jouer » avec les outils des grands, que l’État devrait intervenir pour réguler…
• Les plateformes comme eToro et Robinhood ont désactivé la possibilité d’acheter des actions Gamestop (vous pouvez simplement en vendre) histoire que les gros hedge funds puissent virtuellement manipuler le marché et faire plonger l’action (de façon virtuelle) afin de faire peur aux petits actionnaires ligués et de les inciter à vendre pour limiter les pertes.
• Robinhood a carrément décidé de vendre automatiquement les actions de certains utilisateurs (à des prix inacceptables, comme 188$). Une class action (recours collectif en justice pour obtenir réparation financière) est en cours aux USA contre Robinhood, avec un tel succès que le site qui l’a lancée s’est retrouvé en panne, sous l’afflux.
• L’ordre de vente à découvert du hedge fund Melvin expirait hier.
Normalement quand la vente à découvert se passe bien pour lui, le spéculateur vend au prix fort d’origine et rachète au prix faible après baisse du cours, et empoche la différence comme nous l’avons dit. Là, le problème c’est qu’ils ont vendu à 2.80 et qu’ils devront acheter à 450$ (cours de vendredi à l’ouverture avant que les plateformes empêchent l’achat).
D’après les estimations, Melvin va y laisser toutes ses dents. Ça pourrait même se répercuter jusqu’au niveau de la FED.
Il y a d’autres victimes :
Et les Echos de préciser : « Pour les boursicoteurs, engagés dans une lutte sans merci contre les vendeurs à découvert, c’est une trahison. Robinhood, le courtier emblématique de la révolution du « zéro commission », chantre de la « finance pour tous », a suspendu les achats d’actions GameStop et d’une dizaine d’autres titres jeudi. Le courtier a depuis levé une partie de ses restrictions, mais pour nombre de ses utilisateurs, le mal est fait. Les appels à se retourner contre Robinhood ont inondé le forum WallStreetBets de Reddit. »
Notez que les Echos et d’autres journaux financiers à travers le monde désignent les petits actionnaires mécontents du nom péjoratif de boursicoteurs. Or, d’une part, il ne s’agit pas nécessairement de spéculateurs mais aussi d’investisseurs, et dans tous les cas ils ne pratiquent pas la scandaleuse vente à découvert ; d’autre part les gros fonds spéculatifs, que font-ils, eux, si ce n’est du boursicotage ?!
La grosse presse est – évidemment – du côté des gros financiers.
Sans cautionner le boursicotage, le fait qu’un de ces énormes fonds, qui sont prêts à ruiner des sociétés (et mettre les salariés au chômage) et de petits actionnaires pour faire toujours plus de profit, avec des méthodes honteuses, se retrouve le bec dans l’eau sur son terrain de jeu est savoureux.
Par ailleurs, cela annonce une nouveauté permise par internet : la coalition de milliers ou millions de petits (déterminés, car ici les rebelles ne se sont pas désolidarisés en vendant chacun pour soi ses actions quand elles avaient grimpées vertigineusement) a permis de lutter contre un géant, et de le vaincre, plus facilement qu’un État actuel pourrait ne le faire.