La Russie affirme avoir probablement tué le chef du groupe État islamique Abou Bakr al-Baghdadi, lors d’une frappe ciblée près de Raqqa.
Éliminé ou pas? Tué par l’aviation russe ou pas? La possible mort du chef du groupe État islamique (EI) a été annoncée, ce vendredi, par Moscou … qui s’était déjà attribué celle du porte-parole de l’organisation, l’été dernier, contre toute véracité. Mais qu’elle soit avérée ou pas, la disparition du numéro 1 du groupe djihadiste changerait-elle quoi que ce soit?
Un coup symbolique, mais…
Sa disparition porterait bien sûr un coup symbolique à l’organisation terroriste. Abou Bakr al-Baghdadi a une aura religieuse auprès des militants, en raison de sa formation théologique à l’université islamique de Bagdad. Il a également par le passé occupé des fonctions opérationnelles militaires : « C’est pour cela qu’il a été emprisonné par les Américains en Irak en 2004 », rappelle pour L’Express Wassim Nasr*, spécialiste de la mouvance djihadiste.
Traqué, Baghdadi n’assurerait toutefois plus le commandement opérationnel de l’organisation, selon des responsables américains et irakiens cités par l’agence Reuters. Depuis des mois, le chef djihadiste, qui n’est pas apparu en public depuis 2014, se préoccuperait surtout de sa propre survie.
Sa mort ne porterait sans doute donc qu’un coup limité à l’EI : la force du groupe djihadiste, à l’instar de tous les mouvements de guérilla, est sa décentralisation. « Tous les commandants ont une très large liberté de décision et d’action », confirme Wassim Nasr.
Les djihadistes anticipent l’élimination de leurs chefs
L’élimination méthodique de leurs cadres peut affaiblir les groupes djihadistes à court terme. Mais à moyen terme, elle contribue à les ‘régénérer’. « Cela empêche la personnification du mouvement, estime le spécialiste. Pour le dire crûment, cela limite la frustration des ‘lieutenants’, qui peuvent ainsi grimper dans la hiérarchie. »
Le culte de la personnalité ne fait d’ailleurs pas partie de la culture djihadiste – à l’inverse des despotes de la région. « Il n’y avait pas des photos de Baghdadi partout dans Raqqa ou Mossoul, note Wassim Nasr. L’absence de personnalisation illustre aussi pragmatisme de l’EI, consciente que ses chefs sont traqués et peuvent être tués à tout moment. »
Le culte de la personnalité, contraire à la culture djihadiste
L’absence de personnalisation assure donc la survie de ces groupes. Et de même que la mort de Ben Laden n’a pas entraîné la disparition d’Al-Qaïda, la mort de Baghdadi ne signifierait pas celle de l’EI.
Les militants djihadistes tirent par ailleurs fierté de leur probable mort brutale et en font un argument de propagande, insiste Wassim Nasr. « Alors que les dirigeants arabes, meurent dans leur lit, replets, nous, nous mourrons sur le champ de bataille », peuvent ainsi pérorer les propagandistes.
Indéniablement affaiblie depuis deux ans, l’EI n’en reste pas moins dangereuse. Les innombrables attaques terroristes au Proche-Orient, en Afghanistan et en Europe, notamment, en témoignent tragiquement.
Depuis sa création, le groupe djihadiste de Baghdadi a su se replier lorsqu’il était en difficulté et patienter avant d’avancer à nouveau ses pions. Il a fait du slogan baqiya (« attendre et demeurer »), sa ligne de conduite.
L’ancêtre de l’EI a notamment connu de sérieux revers, en 2006-2007 en Irak, avant de réapparaître quelques années plus tard, beaucoup plus forte. Tant que ne seront pas réglés les maux qui ont permis leur essor, les djihadistes continueront sans doute à renaître de leurs propres cendres.