Par Bernard Lugan :
Sous l’ancien régime les Tunisiens vivaient certes sous la « dictature », mais, du moins, mangeaient-ils à leur faim, la sécurité publique était assurée et ils ne quittaient pas leur pays. Aujourd’hui, ils « sont en démocratie », mais avec le ventre vide et des milliers d’entre eux se ruent vers l’île de Lampedusa. Quant à l’anarchie, elle est telle que les nouvelles autorités ont été contraintes d’instaurer le couvre-feu. Comme sous Ben Ali…
A court terme la situation économique et sociale ne va pas s’améliorer. Le secteur touristique, pourtant essentiel, est ainsi particulièrement sinistré. Ses 350.000 employés sont majoritairement au chômage, 25% des principaux hôtels sont en faillite, 40% vont l’être et 80% demeurent fermés. Quant aux compagnies aériennes, dont Tunisair, leur survie étant en jeu, l’Etat a décidé de leur payer une partie des vols annulés.
Face à cette réalité, les dirigeants tunisiens en sont réduits à faire appel à un « tourisme militant » (sic). Il n’est pas certain que cela suffise à faire revenir des vacanciers passablement échaudés car c’est le capital image que le pays avait eu tant de mal à constituer qui est parti en fumée.
La « révolution du jasmin », aura donc fait accomplir à la Tunisie un grand bond en arrière, sous les applaudissements des niais et des journalistes militants.
Pour des raisons bien obscures, le président Sarkozy, puissamment conseillé en cela par BHL, est « passé pardessus » son ministre des Affaires étrangères pour déclarer la guerre au colonel Kadhafi au motif qu’il fallait aider la « révolution libyenne » et sauver la population de Benghazi menacée par ses forces. Au nom de quoi, l’OTAN bombarde la ville de Tripoli, y faisant des victimes civiles, dont deux des petits-enfants du colonel Kadhafi. Sur ces morts « collatéraux », les journalistes et les pacifistes partisans de l’ « ingérence humanitaire », version contemporaine de la « guerre juste », ne se sont guère apitoyés…
Or, c’est un mensonge qui a permis de déclencher cette guerre puisqu’il n’y a jamais eu de « révolution libyenne » et encore moins de soulèvement du « peuple libyen ». La réalité est que la Cyrénaïque « rebelle » s’est une nouvelle fois insurgée[1] et que la minorité berbère de l’Ouest de la Tripolitaine, elle qui a toujours eu à souffrir de la politique d’arabisation du colonel Kadhafi, en a profité pour prendre les armes.
Preuve que toute la Libye ne s’est pas dressée contre le régime, si depuis trois mois, ce dernier tient en dépit des bombardements et de l’embargo, c’est parce que la plupart des tribus de Tripolitaine et du Fezzan lui sont demeurées fidèles. La grande responsabilité de BHL aura donc été de faire croire au président Sarkozy que toute la Libye était derrière les insurgés.
Aujourd’hui, après bientôt trois mois de guerre, le contexte a changé et le colonel Kadhafi est en passe de perdre la partie. Il ne dispose en effet d’aucune réserve stratégique, ses armements sont déclassés et il est acculé à la défensive, toute réaction de ses maigres forces entraînant immédiatement une intervention aérienne. De plus, l’embargo sur les armes, les munitions, les pièces détachées et les carburants le met dans une position d’infériorité criante face à des « rebelles » impuissants tant qu’ils étaient réduits à leurs seules forces, mais qui sont désormais ravitaillés, armés, guidés et directement conseillés par les Européens.
Dans ces conditions, combien de temps pourra t-il encore conserver ses soutiens tribaux ? Là est toute la question.
[1] Voir le dossier consacré à la Libye dans le numéro 15 de l’Afrique Réelle.